Ces cancers qui, contre toute attente, guérissent

Une saga médicale et personnelle hors du commun.

    C’est le récit substantiel de la maladie, plus que cela de la vie, d’une femme proche de la quarantaine, infirmière en soins palliatifs, mariée, trois enfants ados, chez laquelle on découvre un sarcome de la surrénale qui s’est développé sans crier gare. Elle est traitée par différents médecins et services, opérée quatre fois; une chimiothérapie lourde aussi. Au long de ce parcours elle a pris des notes, décrivant les interactions avec le système médical et de soins, et sa vie avec famille et amis. Il y a des moments d’espoir mais beaucoup d’autres de questionnement, d’angoisse. Réflexions, efforts de ressourcement, recherche de soutiens, notamment dans la spiritualité. L’histoire médicale se passe pour l’essentiel entre début 2002 et 2005, épopée mouvementée. Puis se profile et s’affirme la guérison - dont les mécanismes restent sujets à conjecture. Une de ces situations où cela ne devait pas aller… et où finalement c’est allé. Les cancers qui «disparaissent» contre toute attente restent une énigme.

    Cellules, je vous aime est une fresque impressionnante (parsemée de poèmes de l’auteure - de pensées d’autres aussi). NB: on saisit sans doute mieux l’intensité, la dureté, les bouleversements d’une telle trajectoire si on a vécu des choses du même registre. Pour qui a été épargné jusqu’ici (comme celui qui rédige ces lignes), la lecture fait se demander: qui suis-je pour commenter, puis je le faire de manière crédible? (la question reste ouverte).

    Enfants, famille

    Durant maladie et traitements, la famille, ses jeunes enfants en particulier, sont un grand sujet de préoccupation pour Sylvie Staub. «Premièrement, il me faut continuer d’inventer un avenir pour mes enfants (…) Il me semble que la meilleure protection que je puisse leur offrir consiste à leur faire confiance - pour les encourager dès maintenant à croire en eux, et à faire confiance à la vie.»

    «Je remarque que mes essais pour préparer ‘l’après’ apportent un soulagement à mon angoisse de les abandonner. Je me mets à transmettre toutes sortes d’informations utiles à la vie de tous les jours. Cela devient un véritable tremplin de vie (…) J’ai conscience d’évoquer la fondation de leur lignée et de créer des instants de présence intense qu’ils pourront convoquer ensuite, quand ils ressortiront du trou noir de leur deuil.»

     Le futur n’est plus ce qu’il était…

    «Ces moments d’intense chagrin, je les vis caché dans le sanctuaire de ma chambre, où je peux laisser libre cours à mes émotions. Cette disponibilité interne à mes courants de fond est essentielle.»
    «L’avenir est désormais un lieu incertain, il ne peut plus être celui de mes désirs et mes espoirs. Retournement de situation radical: au lieu de me répéter que j’aurai mieux plus tard, il me faut au contraire me jeter dans le présent pour en faire germer l’instant (…) Je sais que la souffrance s’étale, nous lui laissons mille fois trop de place; elle est toujours là, prête à servir. Tandis que risquer les instants de lumière dans le présent, c’est se mettre en chasse de l’inconnu et cela demande un bien plus gros effort.»

    Au moment où se décide une troisième opération – majeure: «Sortie du cabinet, je comprends qu’entre zéro et une chance, il y a tout l’univers des possibles. On peut voir cela comme une absurdité mais c’est infiniment précieux. Je ne vois aucune différence entre une chance et cent chances. Une chance, c’est réintégrer la ronde des vivants.» Un collègue raconte avoir connu une personne cancéreuse qui a guéri contre toute attente: «Je garde son histoire bien précieusement; elle va rejoindre mes trésors dans la ‘chambre des merveilles’ où je collectionne tout ce qui peut m’aider à me laver de mes chagrins.»

    Remarque sur une période post-opératoire immédiate: «Je passe la nuit dans un semi-coma morphinique. Les visions sous morphine n’apportent rien; pas régénérantes, même pas divertissantes. Le mental fabrique des images quasi inertes que l’on ne reconnait pas. Il est privé de son accès à la richesse de l’inconscient ainsi que de sa capacité à produire du sens.»

    Sylvie a consulté un psychanalyste durant plusieurs années - avant de tomber malade déjà. Durant la maladie: «C’est lui qui tournait les pages du livre pour que je continue à avancer. Il débusquait la culpabilité et les traquenards de la toute-puissance pour ouvrir un chemin dans l’inconnu. C’est lui qui indiquait le nord quand la chimie ou la parole médicale détraquait ma boussole.»

    Spiritualité

    Elle est ouverte à d’autres ressources - y compris méthodes alternatives, et à la prière. «On prie pour moi dans différents lieux du monde [des personnes ou groupes de convictions et pratiques bien différentes]. Je m’en suis souvenue depuis mon coussin de méditation. J’ouvrais alors symboliquement la boîte aux lettres où étaient stockées toutes ces ondes positives et je me laissais remplir de la grâce qui coulait sur moi. J’étendais mon cœur tout autour de la planète.» 

    Remercier? «Cela me fait méditer un conseil entendu ces dernières années: soyez reconnaissants pour tout ce qui vous arrive. Reconnaissante pour le cancer? Je tente: merci pour ma mort qui approche. Immédiatement arrive ce petit sentiment de folie qui me met en joie. Ne reste que la transparence, l’innocence fondamentale.»

    «La spiritualité est mon abri. Ce qui n’est pas toujours du goût de la famille. Pourtant c’est grâce à elle que je ne tombe pas en dépression, que j’ai malgré tout l’impression de grandir même si ma vie végète à l’extérieur.»
    «Ma vie se déroule dans une sorte de collaboration entre mon moi humain et ce moi beaucoup plus grand qui est au-delà du temps et de l’espace.»

    Vers la guérison

    En août 2004, quatrième tumeur (récidive), heureusement entièrement résécable. Mais par moments elle capitule: «C’est décidé, je ne veux plus lutter contre le cancer (…) Cela ne peut plus durer, il faut que la vie se décide dans un sens ou dans l’autre.»
    «Y a-t-il une assurance au-delà de celle de tout perdre ?» Enfin, c’est durant l’année 2005 que la guérison devient vraisemblable puis avérée. La peur de la mort s’est tue.

    Le dernier quart du livre traite de la foule des réflexions et sentiments de l’auteure par la suite. Dans un chapitre «Révolution de conscience», elle exprime des griefs vis-à-vis du système médical qui ne l‘a pas toujours informée correctement. Et elle décrit son évolution spirituelle qui acquiert une importance déterminante, notamment une démarche de méditation. «Quelque chose de très important a changé, qui me fait m’orienter vers la légèreté, la joie et l’amour plutôt que la lourdeur et l’absurde. Pour la première fois j’ai le sentiment d’une stabilité capable de résister à l’épreuve.» Elle développe ce qu’elle ressent en rapport avec la Présence, le Bien-Aimé, Dieu, l’Amour. Elle reste alors très fatiguée, dans un certain désarroi (on connait les témoignages de malades déboussolés après avoir guéri alors qu’ils avaient accepté l’idée de mourir). «Les gens pensent qu’avec la guérison tous les problèmes sont résolus; qu’il ne reste qu’à passer à autre chose. En réalité, on arrive dans un no man’s land, une terra incognita. Je luttais contre l’impression d’évoluer à l’envers de ce que les autres attendaient.»

    Petit vade-mecum de la guérison

    Extraits de ce qu’elle a rédigé: «Reste au centre. Respire. Ne te laisse pas emporter par le drame qu’on te présente. Tu n’es pas seule, beaucoup d’autres sont déjà passés par là. Tu peux choisir de vivre cette épreuve en t’offrant le confort. Le résultat n’est pas entre tes mains, la façon de vivre cette épreuve l’est (…) Prends du temps pour te relier aux forces naturelles de guérison, en toi et ailleurs, invite ces forces à circuler en toi. Collectionne tous les petits miracles qui apparaissent sur ta route.»

    Vade-mecum qui se termine ainsi: «La maladie n’est pas une punition. Tu es bien plus que ta maladie. Ta noblesse et ta dignité sont inaltérables, quelles que soient ta vulnérabilité ou tes infirmités. La mort n’est pas un échec.»

    Cellules, je vous aime est un ouvrage, riche de détails, mêlant le vécu d’une maladie grave et de ses traitements et péripéties et les sentiments et réflexions de l’auteure au cours du temps; de ses états d’âme, rêves voire visions. Ainsi que de ses relations avec famille et proches. Une contribution qui enrichit la palette des témoignages de celles et ceux qui ont passé par une telle épreuve et l’ont racontée – avec parfois une issue funeste, parfois la guérison, cas échéant inattendue comme pour Sylvie Staub. En plus de ses qualités d’écriture, l’ouverture, la transparence et la persévérance qu’illustrent ce texte méritent le respect.

     

    Phrases en exergue :

    Les cancers qui « disparaissent » contre toute attente restent une énigme

    « Primo, il me faut continuer d’inventer un avenir pour mes enfants »

    Je ne vois aucune différence entre une chance et cent chances

    Se relier aux forces naturelles de guérison, en soi et ailleurs