La société politique et économique dort – ou est très myope

Sur le front du climat (et de l'effondrement?)

Bertrand Kiefer, dans la Revue médicale suisse du 18 avril: « (…) Soit nous réduisons notre dépendance aux énergies fossiles, diminuons les inégalités et trouvons un moyen de diminuer les conflits, soit nous disparaîtrons. »

    Bertrand Kiefer, dans la Revue médicale suisse du 18 avril (1), parle de plusieurs articles du New Scientist du 20 janvier 2018, dont un intitulé  « There are disturbing hints that Western civilization is starting to crumble ». Extrait : « Oui, nous assistons à l’amorce d’une fin, voire d’un effondrement (collapse). La civilisation occidentale qui s’est mondialisée n’a rien de durable - entre autres par une perte de complexité (…) Soit nous réduisons notre dépendance aux énergies fossiles, diminuons les inégalités et trouvons un moyen de diminuer les conflits, soit nous disparaîtrons. » Bien sûr, il y a toujours eu des prophètes de malheur, mais des professions et milieux basés sur la science - comme le nôtre - ne peuvent écarter des avertissements solennels sous prétexte qu’ils sont marqués par l’émotion ; les arguments présentés doivent être examinés diligemment. Dans la même RMS, Alex Mauron(2), en démontant des critiques postmodernes de la science, parle d’anti-science adossée au populisme politique : « Dans l’Amérique trumpienne, le déni du réchauffement climatique d’origine humaine en est l’enjeu le plus visible. »

    J’assistai récemment à une soirée des « Swiss Youth for Climate » lausannois, liés pour l’occasion - mais cela devrait se poursuivre - avec les Grands-parents pour le climat (association suisse romande à ce stade, mais son extension alémanique est très souhaitée - 3). Pour les SYFC (voir leur intéressant site web en trois langues), « nous sommes la génération de la globalisation et celle qui sera la plus touchée par les décisions prises en matière de politique climatique. Nous avons donc le devoir moral d’agir ainsi que le droit de participer, d’être écoutés et informés.» A été présenté le second film consacré au climat par Al Gore, « An inconvenient  sequel » («Une suite qui dérange »), sorti en 2017. On doit reconnaitre la qualité de l’engagement de l’ancien vice-président des USA pour sensibiliser le monde de l’urgence de la situation (et spécialement son pays, empêtré dans des a priori négationnistes). Un débat a suivi, avec Martine Rebetez, figure suisse de la climatologie, le physicien Jean-Claude Keller et Marine Decrey qui, pour les SYFC, suit les thèmes politiques. Parmi les points abordés :

    Les démarches visant au désinvestissement des énergies fossiles, instrument fort de changement  (utilisant les mécanismes même de l’économie), pour lequel s’engage l’Alliance climatique suisse. Mais on fait face au lobbying constant, souvent masqué, des milieux dont les intérêts seraient touchés par une véritable transition énergétique ; avec les moyens usuels : distorsion des faits, disqualification des personnes, allégations trompeuses. Manifestation de notre tendance à rester obnubilé par le court terme et à éviter/refuser de discerner où le train de la (post-)modernité nous emporte. Kiefer : on en reste « au stade du déni halluciné… à l’arrogance hautaine vis-à-vis du réel ». Myopie de l’économie et myopie du politique qui n’entrent pas en matière sur une frugalité nécessaire.

    Une notion majeure ici est celle de « tipping point », point de bascule. Ce à quoi les avertissements du New Scientist font allusion : vient un moment où la dynamique du dérèglement climatique sera telle qu’il ne sera plus possible de réparer, de revenir en arrière. Une mécanique sera enclenchée aux conséquences irréversibles. Mais ce risque de non-retour reste hors du radar de beaucoup, de propos délibéré ou par négligence.

    Toutefois, on peut évoquer un autre « tipping point », souhaitable lui, celui de l’opinion publique - de la cité, de la polisTôt ou tard, s’agissant des « fake news » de M. Trump et d’autres, chacun reconnaîtra que « Le roi est nu ». Ce qui, on veut y croire, créera une dynamique susceptible de rétablir pour la planète une trajectoire vivable. L’historien des sciences Thomas Kuhn dit que ce n’est qu’après coup que nous réalisons qu’une révolution (scientifique, sociale) a eu lieu dans notre propre société. Peut-être donc la révolution apportant les changements nécessaires est-elle en route, sans être manifeste ?… Encore que les jeunes gens de « Swiss Youth for Climate » et leur motivation à aller de l’avant sont eux déjà visibles. Et encourageants.


    • 1.Kiefer B. Un étrange pressentiment de catastrophe. Revue médicale suisse  2018, 14, 864.
    • 2.Mauron A. Les deux anti-sciences. Revue médicale suisse  2018, 14, 859.
    • 3.Martin J. Grands-parents pour le climat. Bulletin des médecins suisses/Schweiz. Aerztezeitung 2014, 95, 1714. Publié en allemand sous le titre « Grosseltern für das Klima » - même réf.