Au fil de la journée, des solutions les plus diverses ont été proposées. Certaines étaient très intéressantes : planifier au niveau national (plutôt qu'au niveau cantonal) la répartition des infrastructures hospitalières afin d'éviter les doublons localisés à 20km de distance ; améliorer la structure tarifaire des prestations de santé de manière à enlever la tentation aux médecins de proposer des soins onéreux qui leur rapportent davantage. D'autres propositions en revanche, m'ont paru problématiques alors même qu'elles semblaient être prises au sérieux par une bonne partie de l'auditoire. J'en discuterai deux dans ce qui suit:
La première mesure proposée consiste à augmenter la participation directe des assurés aux coûts de la santé, via une augmentation de la quotepart ou de la franchise. L'espoir est de pouvoir réduire par ce biais le tourisme médical.
Il me semble qu'une telle mesure aura avant tout pour effet d'augmenter les inégalités sociales. Les personnes qui jouissent d'un revenu confortable et aiment papillonner chez les médecins ne seront pas dérangées de payer un peu plus. En revanche, cette mesure rendra la vie dure aux personnes vulnérables, celles qui ont un revenu modeste ou souffrent de maladies chroniques ou coûteuses à soigner. Actuellement, environ 30% des frais de santé sont directement à la charge des ménages (sous forme de franchise, quotepart, non-remboursement de prestation), contre 20% en moyenne pour les pays de l'OCDE (voir le Panorama de la santé 2015). Des études montrent que les Suisses en situation de précarité financière ont déjà tendance à renoncer à des soins nécessaires (Gaspoz et al. 2011, SMW), avec pour effet à long terme d'aggraver leur état de santé général. Sachant cela, comment ose-t-on encore proposer d'augmenter la participation directe des assurés ?
La seconde mesure proposée consiste à « responsabiliser » les assurés des caisses-maladies à l’aide de programmes de médecine personnalisée. A l’occasion de cette journée, un représentant de l’assurance-maladie CSS a présenté les résultats de deux projets (actuellement à l’état de pilotes) visant à récolter des données personnelles sur l’état de santé et le comportement des assurés et leur proposer des offres de santé personnalisées. Le premier projet consiste à suivre l'activité sportive et les habitudes alimentaires des clients à l’aide de différentes technologies (e.g. podomètres, montres connectées, rapports d’achats de nourriture). Une fois les données collectées, l’assurance-maladie propose au client des « offres personnalisées dans les domaines de la prévention et de la médecine curative ». Je n’ai malheureusement pas compris en quoi consistent précisément ces offres. Le deuxième projet consiste à développer un logiciel de diagnostic médical : les clients y décrivent leurs symptômes et le programme propose un diagnostic ainsi qu’un accompagnement thérapeutique. A travers ces deux projets, l’espoir est de motiver les assurés à vivre plus sainement (activité physique, bonne nutrition), et à prendre en charge leurs maladies de manière plus ou moins indépendante. Un monde fait d’individus proactifs, sain et responsables coutera forcément moins cher.
D’un côté ces projets sont louables puisqu’ils aident les gens à se sentir mieux. En revanche, je m’étonne que ce soit les assurances-maladies qui proposent ce genre de prestations. Une fois que l’on dispose d’informations précises sur l’état de santé et l’hygiène de vie de ses clients, la tentation est grande d’utiliser ces données pour chasser les bons risques et discriminer les patients en mauvaise santé. D’autre part, je suis sceptique face à l’idée de responsabiliser le patient pour qu’il prenne soin de sa santé. Le revers de la médaille est que le patient devient aussi responsable de sa mauvaise santé. Or la causalité sous-jacente à nos choix est complexe. Par exemple, des chercheurs de l’EPFL (Joost et al. 2016, BMJ) ont trouvé récemment une corrélation évidente entre le surpoids et le fait de vivre dans un cartier défavorisé de la ville de Lausanne. En clair, la volonté individuelle n’est pas seule cause (et responsable) de nos choix de vie quotidiens. Il importe de tenir compte de facteurs tels que notre niveau de revenu, l’accès à des espaces verts, ou les habitudes de vie nos voisins. Sous-estimer cette pluralité d’influences équivaut à discriminer les classes défavorisées de la population.
D’autre part, je m’étonne que la CSS n’ai pas procédé à un calcul global du prix de la santé généré par ses clients responsables, sportifs et à l’hygiène de vie irréprochable. En moyenne, ces personnes vivent plus longtemps. Or, la vieillesse va de pair avec son cortège de maladies chroniques, de poly-pathologies liées à l’âge et de démences. Les assurés responsables n’échapperont pas à l’incapacité physique et mentale de leur fin de vie prolongée, avec tous les coûts de la santé que cela implique. A ce propos je conseille la lecture de l’article très controversé de Ezekiel Emanuel (2014, The Atlantic). On y apprend qu’un américain de 85 ans sur trois est atteint d’Alzheimer et qu’à partir de 80 ans, une personne sur deux souffre de limitations fonctionnelles importantes. Actuellement l’espérance de vie moyenne des femmes Suisses est de 85 ans.
Rappelons que l’objectif du 17ème « Forum Santé » n’était pas de savoir comment rendre les gens à la fleur de l’âge plus heureux et en meilleure santé (un objectif en soi moralement louable et important). L’objectif de cette année était de réduire les coûts de la santé qui prennent l’ascenseur, notamment à cause de l’augmentation de la proportion des personnes âgées en Suisse. Pour résumer, les propositions mises en avant par la CSS ont pour effet de fournir un outil supplémentaire aux assurances-maladies pour chasser les bons risques et d’augmenter les coûts globaux du système de santé. Quels étaient au juste les motifs de la CSS pour mener ces projets ?