Il sera ainsi important de définir en quoi le genre diffère du simple sexe social, et quel impact a cette définition pour les enjeux éthiques de la recherche qui ne peut plus se penser dans la perspective de l'universel masculin (Sexe et Genre, Hélène Rouch, 2002).
Les enjeux d'une re-définition du concept de genre
Une séparation commode entre les deux sexes perçue comme naturelle, et donc nécessaire, ne suffit pas à comprendre, pour le chercheur, les enjeux éthiques et politiques posés par le concept de Genre en sciences sociales. Cette terminologie ne peut se limiter aux sciences sociales et requiert une réflexion sur les conséquences de ces évolutions sémantiques sur la recherche en sciences sociales ou en recherche médicale.
De plus, la plasticité du concept de Gender/genre ces quinze dernières années dépasse le fait que le mot genre est d'abord issu de conventions grammaticales. En situant le sexe du côté de la certitude biologique et le genre du côté du constructivisme social, on ne fait que rappeler que l'on ne parle pas exactement de la même chose et que ces deux catégories ne sont pas superposables.
Comment se situent les scientifiques par rapport à la résistance des autorités religieuses à la notion de genre, qui implique les décisions bioéthiques dans une société démocratique et pluraliste? Ces questions, loin d'être abstraites, conditionnent certaines recherches aujourd'hui et demandent donc que les chercheurs puissent se positionner en fonction des enjeux éthiques de la recherche que suscitent ce déplacement des frontières normatives. Le genre n'a pas en français la même histoire ni le même sens que le mot gender. Il vise néanmoins dans les deux langues à rejeter le déterminisme biologique (Joan Scott, 1988).
Les enjeux biopolitiques de cette notion se font de plus en plus nombreux et requièrent des éclaircissements sur la place à leur accorder dans le discours scientifique. On ne peut néanmoins faire l'économie d'une réflexion sur l'articulation entre sexe biologique, sexe social et genre aujourd'hui, précisément à partir des questions d'éthique et de société que soulèvent les possibles reconsidérations du binarisme sexuel dans les sciences elles-mêmes. Les scientifiques comme les politiques doivent prendre en considération le concept de genre et ne pas se contenter de la notion de sexe biologique car elle ne définit pas la sexualité. C'est la perception subjective de la sexualité qui est aujourd'hui sous le regard de la loi lorsque l'on évalue le droit au mariage ou à la parenté pour tous.
Biopolitique
Le terme de genre remet en question un dualisme universel, qui a structuré nos représentations et nos modes de pensée. Il permet de dénoncer la confusion de l'homme générique et l'homme masculin ; celle des universaux hérités des Lumières par des sujets parlants qui refusent d'être déterminés dans leurs désirs par une catégorisation déterminant leurs choix sociaux a priori. Il semblerait donc que malgré l'évolution des sciences biogénétiques, l'a priori reste le même quant au féminin comme sexe à la fois biologique et social, alors qu'il exige d'être repensé si nous prenons au sérieux la dimension historique des normes éthiques et l'évolution des mœurs qu'elle reflète.
L’a priori présuppose une causalité externe au langage d'ordre naturel et biologique, autant dire universelle et fraternelle. C'est précisément ce présupposé idéaliste que questionne le concept de genre. Il questionne le fait que la division des genres divise l'espèce de manière hiérarchique. Cette entreprise de re-naturalisation dans les sciences a pour enjeu de consolider la représentation de la différence et des rôles sexuels en les fondant en nature et en droit. Cette position conservatrice est nécessairement en tension avec la plasticité du vivant décrite par les sciences biologiques elles-mêmes et exige un discours réflexif et critique. Il n'est donc pas question ici de donner une définition consensuelle du genre qui masquerait les enjeux biopolitique de cette définition, mais d'éclairer les enjeux éthiques que soulèvent l'historisation de cette notion par rapport à des perspectives biologiques fixistes, qui confondraient convention et naturalisation de ces conventions.
Le féminisme comme champ interdisciplinaire a signalé les effets sociaux, dans les sciences biologiques, de la médicalisation du genre, de la re-naturalisation du corps alors que précisément les sciences interrogent les anthropologies sur le fixisme de leurs propres catégories. Le champ des sciences est globalement interpellé par la notion de genre ; ces questions ne peuvent être l'objet des seuls champs de la sociologie ou de la philosophie. C'est pourquoi cet avis nous semble devoir susciter une réflexion et une prise de position qui ne soit pas normative a priori mais donne les moyens de sensibilise les chercheurs à la complexité des enjeux sociaux soulevé par la notion de genre.
Limites de l’acceptable
Il n'est pas inutile de se poser des questions comme : pourquoi la détermination de sexe donne-t-elle lieu à des classifications ? Pourquoi le sexe est-il supposé causer le genre ? Quels effets et quelle pertinence ont ces classifications? Sont-elles cohérentes avec les données scientifiques ? Se donner les moyens conceptuels d'adresser ces questions de société nous permettrait d'éviter certaines confusions dans la compréhension de l'élargissement du concept de genre à l'éthique de la recherche. Mais aussi, d'éviter les raisonnements naturalistes et leur biais idéologiques pour des catégories d'individus qui ne se sentent pas reconnus par le modèle normatif existant, fondé sur la seule dualité d'un déterminisme biologique conventionnel.
Judith Butler écrit, dans Défaire le genre[1] :
« Il me semble que pour beaucoup de personnes, il n'est pas souhaitable que la réalité structurante de la différence sexuelle disparaisse, qu'il n'est pas possible de la mettre en question (...) Elle constitue pour ces personnes une sorte d'arrière-plan nécessaire à la possibilité de la pensée, du langage et du fait d'être un corps dans le monde (…) C'est un moment particulièrement dense d'incertitude dans le langage. » (p. 204).
Ce qu'interroge la notion de gender, c'est l'hypothèse que la différence sexuelle n'est pas que factuelle ou donnée mais qu'elle est une question pour notre temps, celle de savoir comment inclure l'altérité et l'incertitude qui vulnérabilise nos croyances face à des questions qui doivent rester ouvertes pour continuer à être pensées. La question de la naturalité de la division des sexes a des répercussions sur la légitimité de certains objets de recherche comme les embryons par exemple, car elle exclut une perspective gradualiste du respect de l'humain ; mais elle agit surtout sur les décideurs qui orienteront les enjeux sociaux de ces recherches pour des individus. Leur subjectivité ne pourrait-elle pas se voir altérée par des choix d'orientation sexuelle délégitimés ou pathologisés par la science, comme cela l'a été dans le passé en ce qui concerne l'homosexualité, ou la notion de « race » ?
Est-il acceptable, et jusque dans quelle mesure, que les Églises, ou les responsables religieux, voire même les instances normatives des instances scientifiques, s'immiscent dans ces questions individuelles qui forgent de manière inductive les valeurs d'une société et limitent la légitimité de certaines recherches, contre l'avis des hommes et des femmes concernées ? Peut-on cautionner qu’on les infantilise par rapport à leur choix de vie, ou leur désir de maternité, de paternité ? Ces enjeux sont cruciaux aux débats bioéthiques et supposent une culture du pluralisme qui, présente en Belgique, soulève moins de faux débats qu'en France. Le questionnement de l'hétérosexualité comme norme naturelle a ouvert la voie d'un débat social autour de l'expression des désirs inédits de filiation, rendus possibles par les sciences et les techniques. Le modèle a priori d'une nature humaine à préserver n'est plus valide ; il serait exclusif de tout autre modèle existant et donc foncièrement violent envers notre capacité humaine à nous réinventer.
- [1] Editions Amsterdam, 2004.