Dans sa préface : « Mes collègues climatologues et biologistes ne savent plus comment exprimer la gravité de la situation climatique pour être entendus. En tant que citoyen, je pense fermement qu’il est vital de porter cette question au centre de l’action politique. La sixième extinction massive de l’histoire de la Terre est en cours, la tendance est à l’accélération de ce processus. L’évolution des températures se fait sur des périodes beaucoup trop courtes pour que les organismes vivants puissent s’adapter comme ils l’ont fait dans le passé. Nous sommes face à ce que nous autres physiciens appelons une ‘ singularité’» (voir aussi les conclusions du Sommet mondial sur la biodiversité de Paris à fin avril 2019).
« Le système Terre étant non linéaire, il existe un certain nombre de paliers : si le prochain est franchi, même un ascétisme radical ne pourra pas inverser la tendance et les dégâts seront irréversibles […] L’augmentation du réchauffement induisant par effet domino des réactions en chaine incontrôlables est maintenant une hypothèse sérieuse. »
Dans les cinq chapitres de l’ouvrage : une quantité des données chiffrées, sorte d’état des lieux, des propositions d’actions à divers niveaux et des réflexions sur les enjeux sociétaux, éthiques et philosophiques.
Changer de modèle. « Je souhaite que notre violence extrême envers la vie [par le modèle économique actuel] fasse maintenant partie de ce qui n’est plus autorisé. » Barrau voudrait réenchanter un rapport au réel qui s’extraie de la fuite en avant matérialiste, en s’éloignant de la logique de prédation ; « tenter l’expérience d’un être-à-la-vie coopératif, symbiotique et commensaliste, comme le sont la grande majorité des relations dans la nature. »
Les politiques assumeront-ils ? Malgré le verdissement de surface de plusieurs parlements, rien n’indique que des majorités sont en vue qui entreprendraient les changements que scientifiques, observateurs et certains politiques (tout de même) jugent indispensables. Je lisais que des études sur la décadence et disparition d’empires puissants (romain, maya, asiatiques ou même le cas particulier de l’Ile de Pâques) montrent que, dans les périodes concernées, les responsables ont simplement fait faux, ont accéléré par leurs décisions les évolutions funestes. Aujourd’hui, la montée en puissance des nationalismes, la mise en oeuvre de politiques du gros bâton par les Etats-Unis - auxquelles les autres sont incités à réagir en miroir, tout cela est éminemment préoccupant.
Quelle est la vraisemblance d’un changement d’orientation - de cœur - chez les puissants comme dans les mécanismes économiques qui nous gouvernent ? Si la tendance de concurrence agressive se poursuit, cela se traduira en guerres ; nous avons déjà des guerres commerciales mais des prétextes seront trouvés pour en faire des militaires (ce qui, comme on sait, sera un puissant facteur de croissance économique !). Avec la guerre réapparaitront les deux autres grands fléaux discutés par Thomas Malthus au début du XIXe siècle, la faim et les épidémies. D’où au niveau planétaire des sommes de souffrance inouïes pour ceux qui ne sont pas privilégiés - pour la première fois à cette échelle.
Un paradoxe ici est que le dernier siècle a vu des progrès qui permettraient de combattre efficacement la faim et la maladie et de promouvoir la paix, si nous étions une société du partage comme celle qu‘appelle de ses vœux Aurélien Barrau. Bien difficile de s’en approcher au vu de notre addiction à un individualisme forcené négligeant les droits et intérêts des autres.
« Il est vital que l’écologie soit la priorité absolue de tout pouvoir politique, en s’opposant chaque fois que nécessaire aux lobbies et aux pouvoirs financiers. Engageons-nous à harceler le pouvoir politique. Montrons sans relâche que la rigueur n’est pas du côté des apôtres d’une consommation irréfléchie. »
Quelles actions ? Il n’y a plus vraiment de controverse sur la réalité du dérèglement climatique, ni sur le fait qu’il est anthropocène - d’origine humaine. Le fait est que ses mécanismes ne sont pas encore compris précisément. Néanmoins, dit Barrau : « Pour une fois, je crois qu’il faut renverser l’ordre usuel et s’attaquer aux conséquences - la négation de la vie et de l’avenir - avant de s’attaquer aux causes. Agissons maintenant en ciblant les effets et nous verrons bien quel système le permet. »
Sur les évolutions indispensables, souvent assez simples quant au principe, l’auteur présente une liste comparable à ce qu’on trouve dans d’autres documents : en plus de la promotion des énergies renouvelables et de la nécessité de laisser les combustibles fossiles « là où il sont, sous terre » : diminuer l’utilisation de l’avion, mieux isoler les bâtiments, modérer les chauffages - et la climatisation !, produire et consommer localement nos aliments - diminuer en particulier la consommation carnée (une bonne chose aussi du point de vue de la santé de chacun). Introduire de manière substantielle l’écologie dans les programmes scolaires. Et abandonner toute politique nataliste !
Mesures impopulaires. Barrau ne cache pas qu’il faudra envisager des mesures gênantes voire coercitives. « Les politiques doivent jouer leur rôle en imposant ce qui doit l’être.» Toutefois : « Il n’est pas question d’instaurer une dictature verte ! Il s’agit de se donner les moyens d’éviter le pire, de considérer que la vie a une valeur supérieure à l’argent. Pourquoi sommes-nous libres de détruire le monde et de décider que nos enfants ne pourront pas y vivre ? […] Nos biens sont protégés par la loi, est-il acceptable que la vie ne le soit pas ? ».
« Les humains sont faibles - même par rapport à leurs propres critères – et ont tendance à abuser des possibles. Nous n’avons pas la force de nous restreindre mais nous avons celle d’accepter voire de demander une loi qui nous restreigne. […] Une évolution législative plus contraignante à l’endroit de comportements ‘contraires à la vie’ tendrait vers une liberté accrue. »
Le défi social. Un problème majeur, illustré par le mouvement des gilets jaunes en France durant l’hiver dernier : « Tout changement des habitudes de vie exige des efforts. Ils doivent être pris en charge par la collectivité et pas par ceux qui sont déjà en difficulté. Lorsque l’écologie s’oppose au social, elle se suicide. Pour autant [pour prendre l’exemple de l’automobile], il n’est plus possible de poursuivre dans l’usage débridé des véhicules individuels (…), de tout sacrifier aux seuls impératifs économiques ou au seul hédonisme irresponsable de ceux qui en ont les moyens. »
La foi dans les technologies pour continuer comme avant ?« Naturellement la technologie peut aider. En matière de gaz à effet de serre, certains progrès peuvent amoindrir quelques effets néfastes. Mais la seule solution est la baisse de la consommation – ce qui ne veut pas dire la baisse des avancées intellectuelles. »
« Il n’est pas possible de stopper la destruction en cours sans rien changer à nos modes d’échange. ll n’y aura pas de ‘miracle’, pas d’invention scientifique de dernière minute. » S’agissant du passage aux énergies renouvelables : « Au vu des coûts exorbitants du changement climatique, l’inaction face à cette réalité est bien plus coûteuse que la transition énergétique. Il existe cependant des freins liés à l’incapacité du système financier à tenir compte des effets d’investissements sur des temps longs. »
Des enjeux éthiques et philosophiques.« Tout repose sur un pari : celui de la primauté de la vie. On pourrait décider qu’il vaut mieux laisser le système se crasher. Le problème de cette vision cynique tient à ce qu’elle oublie que les espèces sont constituées d’individus » (qui souffriraient et mourraient à cause d’un tel laisser faire).
« Au-delà des batailles globales que nous n’avons plus le choix de ne pas mener, il ne faut jamais oublier que le monde est aussi et avant tout (humainement) local […] Valoriser une certaine humilité responsable. »« Le changement qui s’impose est une chance d’explorer un nouveau rapport au réel. Toute une ‘magie mystérieuse de l’ici’ est à réapprendre, pour le meilleur. Il faut redessiner notre manière d’habiter le monde. »
La métaphysique dont nous sommes les héritiers a scindé le monde suivant des oppositions binaires : culture contre nature, homme contre femme, croire contre savoir, humains contre animaux, raison contre folie, présence contre absence. Aujourd’hui, la méta-crise échappe à ces vieilles catégories.
Un mot sur le monde vivant non-humain : « Certains pays commencent à donner des droits (la personnalité juridique) à des rivières ou des forêts. C’est une piste qui mérite d’être explorée. » Et un surprenant mot de conclusion : « Si le poète est celui qui sait entrevoir ce qui n’avait pas encore été imaginé, l’avenir sera poétique ou ne sera pas. »
Possibles phrases en exergue:
L’évolution se fait sur des périodes trop courtes pour que les êtres vivants puissent s’adapter
Il n’y aura pas de ‘miracle’, pas d’invention scientifique de dernière minute
Toute une ‘magie mystérieuse de l’ici’ est à réapprendre
Pourquoi sommes-nous libres de détruire le monde ?
Nos biens sont protégés par la loi, est-il acceptable que la vie ne le soit pas ?