Je pense donc je suis, mais je pense encore mieux en courant

La course à pied comme exercice de philosophie

    La question divise, forcément. Pourquoi courons-nous ? Pourquoi est-ce qu’on se ferait violence pour aller d’un point A à un point B ? Juste pour flatter notre ego ? Pour être en forme ? Pour faire partie des personnes qu’on appelle volontiers des sportifs ? Pour ressembler à quelqu’un ? Pour être en bonne santé ?

     

    Je ne peux pas parler au nom de tout le monde, je peux uniquement parler en mon nom : je cours parce que :

    -   je peux

    -   je veux

    -   c’est simple

     

    Je cours parce que ... je peux

     

    En effet, force est de constater qu’aujourd’hui notre mode de vie sédentaire nous cloue au canapé, de la chaise au bureau, puis sur le siège de la voiture ou du bus. Nous passons une majeure partie de notre quotidien assis (avec certaines professions qui font exception à la règle, bien évidemment). Donc courir, je le fais parce que je peux : je peux choisir de sortir de chez moi, chaussée d’une belle paire de baskets et j’y vais, je fonce. Le paysage défile et après quelques kilomètres je ressens cette quiétude, cette tranquillité qui vient lorsque les jambes bougent. C’est un sport accessible : dans la mesure où j’ai deux jambes et suis en bonne santé, je n’ai aucun problème à me mettre à courir. Toutefois, c’est aussi un sport exigeant : pas (trop) le temps de penser aux tracas du quotidien lorsque l’on veut améliorer son chronomètre.

     

    Je cours parce que ... je veux

     

    La deuxième raison pour laquelle je cours semble tout aussi banale que la première : je cours car je veux courir. Comme du fond du fauteuil du philosophe on ne bouge pas beaucoup, courir, bouger, voir ce que les paysages ont à offrir en direct est essentiel pour garder un équilibre. Non seulement courir me permet de maintenir un équilibre entre le privé et le professionnel, mais courir me permet également de trouver un espace à moi, où je me retrouve face à moi-même, mes doutes, et mes peurs. Et même si de l’extérieur on pourrait croire que je cours pour m’échapper aux problèmes du quotidien, ce n’est pas le cas. La tête sur les épaules lorsque je cours, les problèmes et les doutes s’invitent à l’entraînement lorsque la sortie vient de débuter, ou qu’elle n’est pas assez intensive. Les tracas du quotidien m'accompagnent jusqu’à ce que j’atteins le Wúwéi, concept de la philosophie chinoise discuté par Xunzi. Wúwéi pourrait se traduire par « l’action sans effort », « non-action  », « action non coercitive ». C’est une action naturelle, spontanée, non consciente, non forcée, efficace et pourtant réactive, en accord avec la façon dont les choses sont ou devraient être. Wúwéi porte en son cœur donc un paradoxe : celui de faire quelque chose sans essayer de le faire. En fait, le but de la course à pied c’est de trouver la juste mesure. On bouge la jambe droite puis la jambe gauche et on répète le processus. Pourtant, on ne pense pas activement à cet enchaînement d’actions à chaque foulée. Ce qu’on fait lorsque l’on atteint Wúwéi c’est atteindre, en quelques sortes la juste mesure : on court consciemment pourtant on ne doit pas forcer le mouvement pour continuer chaque pas, cela se fait naturellement et en même temps, on le fait assez rapidement pour que ce soit un challenge, pour que le paysage défile tout en maintenant une allure qui nous permette de prolonger l’expérience sur plusieurs kilomètres. C’est de cette façon que la magie opère, après un moment, le déplacement devient méditatif et des solutions nouvelles viennent à des problèmes que l’on avait soigneusement emportés avec nous au début de notre séance d’entraînement. La course, dans la bonne zone d’efforts, permet d’innover, de trouver un nouvel angle d’attaque, auparavant ignoré.

     

    Je cours parce que ... c'est simple

     

    Enfin, je cours parce que c’est simple : pas besoin de préparer pendant de longues heures, de voyager d’un bout à l’autre, dans des salles de fitness ou centre sportif à l’autre bout de la ville, si ce n’est dans une autre ville. Pour courir, il suffit de sortir de mettre le nez dehors. C’est accessible, c’est gratuit, et cela nous reconnecte dans le meilleur des cas avec l’environnement qui nous entoure : point besoin de d’aller chercher la nature sauvage au fin fond de recoins inexplorés sur terre, si ceux-ci existent. On sort, on bouge, et au fil des foulées, le bien-être nous envahit. La course à pied permet de prendre la température du monde qui nous entoure, de voir les saisons éclore pour fleurir puis s’effacer ensuite laissant place à la suivante, en une chorégraphie répétée, interminable, mais toujours aussi captivante. La course à pied est une ode au temps qui passe, au fil de nos pensées, et à la possibilité d’aller toujours un peu plus loin, avec nos jambes, et notre tête. C’est une promenade qui nous permet de nous reconnecter au beau qui nous entoure et un exercice qui nous apporte bien-être et nouvelles idées. Qu’attendons-nous pour chausser nos baskets ?