Depuis le «Sensual Turn» des années 80 (David Howes), les sciences humaines et sociales se sont largement intéressées à la sensorialité et à ses différentes modalités. Ce type d’approche a permis de ne plus considérer la perception sensorielle comme un donné, un invariant, et donc un impensé, mais d’examiner les informations spécifiques qui transitent par elle, ses médias privilégiés, ainsi que la façon dont elle varie selon l’époque, la culture et la subjectivité qui la mobilise. De nouvelles notions (culture visuelle, archéologie sonore, modèle sensoriel, Male Gaze, etc.) ont ainsi vu le jour, tandis qu’apparaissaient de nouveaux champs disciplinaires (Sensorial Studies, Sound / Smell / Food Studies, histoire du sensible, etc.), sous l’impulsion de chercheuses et chercheurs réunis notamment au sein du Centre for Sensory Studies de l’Université Concordia, pionnier en la matière. Non content de se limiter aux sens traditionnellement valorisés que sont la vue et l’ouïe, l’intérêt renouvelé pour la façon d’être au monde des corps a également permis une revalorisation de ceux traditionnellement placés tout en bas de la hiérarchie sensorielle, c’est-à-dire le toucher et, plus fondamentalement encore, les sens chimiques que sont le goût et l’odorat, à la suite, notamment, des travaux fondateurs de l’historien Alain Corbin (1982).
Constituant moins un nouveau domaine qu’une nouvelle façon d’appréhender et d’interroger des objets de recherche préexistants, l’approche sensorielle s’est développée dans des directions très variées, allant de l’histoire à la littérature, de la philosophie à la sociologie, ou encore de l’histoire de l’art à l’anthropologie.
Elle se prête particulièrement bien aux perspectives interdisciplinaires, soit que différents sens soient abordés conjointement (intérêt pour le sensorium dans son ensemble), soit que d’autres types de savoirs (médicaux, physiques ou chimiques, par exemple) soient mobilisés. Elle constitue donc un carrefour des disciplines et des discours propice aux échanges. Dans une perspective davantage réflexive, elle invite aussi les chercheuses et chercheurs à interroger leur propre sensorialité, la place faite à l’appréhension sensible de leur objet d’étude.
Dans leur diversité, ces recherches partagent généralement un certain nombre de questionnements et d’enjeux inhérents au champ du sensoriel:
Question des sources; comment accéder aux manières de sentir du passé ? Comment les archiver ? les reconstituer? Peut-on envisager une patrimonialisation des sens?
Question des différentes cultures sensorielles, des différentes manières de sentir, selon les époques, les cultures et les croyances.
Question de l’idiosyncrasie, des qualia («l’effet que cela fait»); comment construire un discours collectif sur la base de sensations individuelles à l’échelle d’un groupe social ?
Question des discours, descriptifs (scientifiques, etc.) et normatifs (religieux, moraux, etc.) tenus sur la sensorialité.
Question des représentations; comment mettre en images, en mots, en sons les perceptions sensorielles ? Quelles logiques ou idéologies sous-tendent ces représentations?
Question des supports et des médias; quels sont les supports privilégiés des différents sens? Quelles sont leurs spécificités et leurs limites? Comment évoluent-ils?
Question des usages des sens et des normes; quelle est la place réservée aux différents sens dans différents contextes? Quels savoirs permettent-ils? Y a-t-il de bonnes ou de mauvaises manières de sentir?
Question de l’expérientialité; quelle place pour la sensorialité des chercheuses et chercheurs? Quels rapports sensoriels aux objets d’étude?
Ces interrogations – en aucun cas exhaustives – constituent autant de pistes possibles pour les propositions de communications, qui sont invitées à explorer la sensorialité à la fois comme objet et comme méthode, voire comme tache aveugle, selon leur champ disciplinaire.
Agenda et contact
Les propositions d’exposés (20 min., suivis d’une discussion de 15 min.) sont attendues pour le 22 janvier 2024 au plus tard, par voie d’e-mail à l’adresse: Panayota.Badinou@unil.ch avec copie à fdi@unil.ch
Elles contiendront vos coordonnées académiques complètes et: 1) un titre; 2) une problématique de 1800 signes environ; 3) une brève bibliographie de travail, aux références complètes.