ENGAGEMENT AFRICAIN ET HUMANISME DE SARTRE
ENGAGEMENT AFRICAIN ET HUMANISME DE SARTRE Dr. Konan Rémi YA, (Université Alassane Ouattara (UAO) de Bouaké, Côte d’Ivoire) remiya779@gmail.com Résumé Réfléchir sur la question de l’engagement de Jean-Paul Sartre dans les luttes anticolonialistes et des mouvements indépendantistes négro-africains, c’est questionner en direction de l’humanisme existentialiste. Nous avons pu nous rendre compte, à l’issue de notre démarche, que les critiques qui dénient à l’œuvre de Sartre les prétentions humanistes sont parfois issues de mauvaises lectures de ses œuvres et d’une méconnaissance certaine de ses prises de position en faveur des politiques de décolonisation de l’Afrique. Sinon, en réalité, l’intérêt et les combats de Sartre pour la libération de l’Afrique confirment, sans équivoque, l’authenticité de son humanisme. Mots-clés : Africain-Décolonisation-Engagement-Humanisme-Luttes. AFRICA’S ENGAGEMENT AND SARTRE’S HUMANISM Abstract Reflecting on Jean-Paul Sartre’s engagement in anti-colonial struggles and the independence movements of Black Africa prompts a questioning of existentialist humanism. We have come to realize, at the end of our approach, that the criticisms denying Sartre’s work humanist claims often stem from misreading of his works and a certain ignorance of his positions in favor of the decolonization policies of Africa. In reality, Sartre’s interest and fights for the liberation of Africa unequivocally confirm the authenticity of his humanism. Keywords: African-Decolonization-Engagement-Humanism-Struggles. Introduction En dépit des efforts considérables consentis pour présenter son œuvre philosophique et son engagement socio-politique comme étant un humanisme, « Sartre n’en devenait pas moins dans l’esprit de bien des gens, l’antihumaniste par excellence » [1]. La plupart de ces gens-là justifient leur accusation à travers certaines affirmations sartriennes hors de leur contexte, en l’occurrence la prédisposition de l’existence humaine comme "manque ou trou d’être", comme "nausée", voire celle de l’altérité comme un "enfer". D’ailleurs, lors de sa conférence tenue le 29 octobre 1945, à Paris, et qui a fait l’objet de publication sous le titre évocateur L’Existentialisme est un humanisme l’année suivante, Sartre rappelle à grand trait les raisons du déni, des attaques contre son œuvre en ces termes : Les uns et les autres nous reprochent d’avoir manqué à la solidarité humaine, de considérer que l’homme est isolé, en grande partie d’ailleurs parce que nous partons, disent les communistes, de la subjectivité pure, c’est-à-dire du je pense cartésien, c’est-à-dire encore du moment où l’homme s’atteint dans sa solitude, ce qui nous rendrait incapables par la suite de retourner à la solidarité avec les hommes qui sont hors de moi et que je ne peux pas atteindre dans le cogito [2]. Cette idée pose le problème de l’intersubjectivité dans la pensée sartrienne. Si cette pensée est dédaignée et qualifiée d’antihumanisme, c’est en raison de la trop grande importance qu’elle accorde à la subjectivité, qui s’apparenterait au repli du sujet sur soi. À côté de cette raison purement conceptuelle et philosophique, le sartrisme est pourfendu aussi en raison de certains engagements et prises de position controversés de Sartre. Par exemple, dans Huis clos où est tenu le fameux propos, « l’enfer, c’est les Autres » [3], l’emblématique phrase de l’aversion sartrienne à l’égard d’autrui, ainsi que dans d’autres ouvrages où jouent des personnages à l’instar du Diable et le bon Dieu, Les Mouches, etc., on constate que l’amour, le pardon, la pitié, la fraternité ou l’entraide qui constituent « l’engagement au service des valeurs d’humanité et de la liberté des autres » [4], sont rares, voire inexistants. Partant de ces trous dans l’existentialisme sartrien, on peut s’interroger sur sa capacité à fonder un humanisme. L’œuvre sartrienne peut-elle être qualifiée d’humanisme ? À quelles conditions ? Ainsi, face à la controverse sur l’appartenance de l’entreprise sartrienne à l’humanisme, semble-t-il que c’est du côté de son engagement africain qu’il faut fouiller pour chercher la réponse. En effet, l’intérêt de Sartre pour le continent noir, ses écrits et son militantisme au service des combats de décolonisation semblent rendre compte de son humanisme parfait, c’est-à-dire de son engagement sans conteste en faveur de l’altérité, notamment l’être-africain. Ceci étant, un problème se pose : à quelles conditions l’engagement sartrien au service des africains peut-il être considéré comme un humanisme ? L’analyse de ce problème ne saurait se faire en faisant l’économie des questions suivantes : quel est le contexte de l’engagement de Sartre pour l’Afrique ? Comment s’y est-il pris dans sa démarche ? L’objectif de cette analyse est de nous amener à comprendre que l’existentialisme sartrien est en son fond, humaniste, parce que soucieux des autres. Sartre ne se fourvoie pas quand il rejette l’humanisme classique qui, malgré ses beaux discours, continuent dans les pratiques déshumanisantes comme le racisme, la colonisation, etc. L’humanisme authentiquement compris, est celui de « Sartre [qui dénonce et] ose décrire les violences et les agressions quotidiennes du système colonial qui déshumanise les colonisés » [5]. Deux hypothèses traverseront ce travail. La première part de l’idée selon laquelle la trajectoire humaniste de la pensée de Sartre est existentiellement fondée. La raison est que ce sont les situations concrètes et historiques qui constituent le socle de l’humanisme sartrien. La seconde doit nous permettre d’élucider les situations antihumanisantes dénoncées par Sartre. Pour vérifier ces hypothèses, notre démarche s’appuiera sur deux méthodes, à savoir, la méthode phénoménologique et la méthode sociocritique. Ces deux méthodes seront utilisées dans une démarche de va-et-vient pour présenter, d’abord, la situation d’oppression des Africains avant de nous prononcer sur les actions entreprises par Sartre pour la combattre. 1. L’humanisme sartrien : un engagement contre l’oppression Selon Sartre, l’engagement philosophique se décline sous deux modalités : la modalité des prises de position au niveau socio-politique et la modalité de l’écriture. Et ces deux voies sont complémentaires, dans la mesure où les prises de position se présentent comme une façon d’assumer les écrits. C’est ce qu’il appelle la "philosophie vécue ou jusqu’au-boutiste", quand il écrit : « Si on a une théorie d’engagement, il faut s’engager jusqu’au bout. Si vraiment la philosophie existentialiste est avant tout une philosophie qui dit : l’existence précède l’essence, elle doit être vécue pour être vraiment sincère » [6]. C’est l’action qui met en évidence la sincérité ou le sérieux des théories accouchées dans les livres. L’action se présente ainsi comme la forme achevée de la démarche philosophique authentique. Pour servir véritablement les causes sociales, il faut que la philosophie soit une action. En ce sens, Sartre peut, en effet, affirmer que « vivre en existentialiste, c’est accepter de payer pour cette doctrine, et non pas l’imposer dans les livres. Si vous voulez que cette philosophie soit vraiment un engagement, vous devez en rendre compte aux gens qui la discutent sur le plan politique ou moral » [7]. Il est resté conforme à cette vision d’engagement durant toute sa vie, parce que son objectif a toujours été de pouvoir améliorer les situations de ses semblables à travers ses combats. Aussi, sans les écrits, les prises de position sur le terrain politico-social restent sans clarté et ainsi, les actions peuvent aller dans tous les sens en manquant de sincérité. Ce qui est synonyme de lâcheté, de désordre, voire d’échec du projet. La revue Les Temps Modernes répondait bien à cette préoccupation de réunir dialectiquement l’écrit et l’action au service de l’engagement, car, la revue s’attaque à la situation politique et sociale, française comme internationale, (…), elle permet aux philosophes qui la dirigent de réagir presque immédiatement aux événements de leur époque. Elle leur offre la possibilité de s’y engager par des textes qui font figure d’actions, et d’engager leurs pensées en leur donnant une orientation pratique [8]. Cette idée souligne l’importance de l’écrit dans l’engagement sartrien en ce sens que c’est l’écrit qui éclaire et oriente l’action. L’écrit est aussi poignant que l’action comme il l’a reconnu dans Les Mots : « Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée » [9]. Cette idée revient à montrer l’efficacité des œuvres écrites, en l’occurrence la littérature engagée dans les dénonciations des tares de la société. S’engager, s’opposer ou dénoncer une situation d’oppression, par exemple, ne consiste pas seulement à l’épreuve de force physique, c’est-à-dire être enrôlé pour être envoyé au front ou s’engager dans un parti politique pour défendre un idéal de société. Ce sont des formes d’engagement, mais on peut aussi bien s’engager à travers les idées ou les livres. Face aux situations d’injustice de son époque, Sartre n’hésitait pas à s’engager, soit par des écrits, soit par des actions concrètes. Sur tous les continents, il est intervenu pour lutter contre l’oppression de l’homme contre son prochain. De la lutte antiraciste aux États-Unis, en Amérique latine pour la défense des opprimés en passant par les luttes décolonisatrices en Afrique, Sartre a toujours répondu présent là où des êtres humains sont oppressés. 1-1. L’Afrique opprimée L’histoire moderne du continent africain s’est ouverte avec la colonisation. Cela ne veut pas dire que l’Afrique a commencé à exister qu’avec l’expérience coloniale. Mais c’est avec la colonisation que le côté sombre du méandre historial africain semble le mieux mis en évidence après l’esclavage. Cela dit, qu’est-ce que la colonisation ? Coloniser c’est occuper, conquérir, annexer, posséder, déposséder matériellement, intellectuellement, voire moralement. La colonisation revient donc à être saisie comme la politique de domination d’un État fort sur un autre État faible. C’est le règne du plus fort sur le faible. Les nations occidentales, citent entre autres raisons qui les ont amenées à entreprendre l’annexion d’autres territoires la recherche de débouchés économiques, l’installation de bases navales, la curiosité scientifique, etc. Mais toutes ces raisons ont comme point de rencontre la question de la domination économique comme relevée par Jean-Noël Loucou à travers cette idée : « Le développement du commerce fut la principale préoccupation, notamment dans l’expansion outre-mer qui ne visait pas encore le partage de vastes territoires, mais la recherche de positions stratégiques pouvant servir de point d’appui au commerce » [10]. Le commerce, dans la plupart des pays développés, constitue le pilier de l’économie. Ainsi, soutenir que le commerce fut la principale préoccupation de l’expansion outre-mer revient-il à dire que ce n’est ni plus ni moins pour leurs intérêts seuls, pour satisfaire leurs besoins à eux que les Occidentaux se sont déployés au-delà de leur sphère pour soumettre les autres peuples, les Africains notamment. Dans un tel rapport, évidemment, les peuples qui soumettent se voient supérieurs aux peuples soumis. Dans ces conditions, les soumis, asservis qu’ils sont, peuvent-ils prétendre à aucune dignité face à ceux qui les soumettent ? Les colonisés peuvent-ils prétendre à la fraternité ou à la reconnaissance des valeurs universelles des Droits humains de la part des colonisateurs? La réponse à ces interrogations ne peut qu’être négative, dans la mesure où, les soumis, c’est-à-dire les noirs ne sont pas considérés comme des sujets libres, mais sont réifiés par le regard des autres, les Blancs. Être regardé pour un être humain, c’est être réduit à ce que l’on est : par exemple ouvrier, jaloux, Noir. À l’inverse, pouvoir regarder autrui, c’est pouvoir donner un sens à sa présence et donc être sujet libre. Or, être Noir, c’est être regardé mais ne pas pouvoir regarder les Blancs, c’est être sans cesse sous le regard objectivant et réifiant en une essence. C’est ne pas pouvoir retrouver, en retour dans le rapport à autrui, la liberté qui caractérise la conscience intentionnelle. Cette idée de Yoann Malinge met en évidence la situation d’oppression du Noir à l’époque de Sartre. Colonisé, le Noir n’avait plus de dignité et était ravalé au rang de simple chose qu’on pouvait maltraiter, torturer et même tuer sans être inquiété. Par ailleurs, même après l’accession à l’indépendance des pays africains, processus amorcé depuis les années 1950-1960, il semble que les peuples ne se sont pas encore remis du traumatisme de la domination. Mieux, la colonisation a pris d’autres formes avec diverses appellations comme néo-colonisation, Françafrique, Russie-Afrique, Chine-Afrique, etc. En fait, la décolonisation est un processus de libération qui n’est pas achevé. C’est une réalité qu’on ne peut nier et ces confidences de Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères de la France, faites lors d’un entretien télévisé accordé le 10 décembre 2021, restent significatives à ce sujet. En parlant des rapports de la Russie avec certains pays africains en crise, le ministre français a mis en lumière l’aspect sulfureux dans les relations à tendance né-colonisatrice entre pays faibles et pays forts. Il soutenait que la Russie a fait des vassaux en Afrique à travers la milice privée qu’est Wagner, en ces termes: Wagner, ce sont des anciens militaires russes, armés par la Russie et accompagnés par une logistique russe. En Centrafrique, ils sont allés faire de la prédation en échangeant la sécurité des autorités contre le droit d’exploiter impunément des ressources minières. (…). Au Mali, c’est pareil. Ils se servent déjà en ce moment des ressources du pays en échange de la protection de la junte. Ils spolient le Mali [12]. Ces propos de Jean-Yves Le Drian dépeignent clairement cette situation de continuité de la colonisation. Partout sur le continent noir, ce constat est fait et de plus en plus des voix s’élèvent pour dénoncer cette forme de réintroduction du système colonialiste. Parmi elles, il y a celle de Mamadou Koulibaly. Selon l’homme politique ivoirien, pourvu qu’on prenne en compte ce tableau des relations entre le sud et le nord tel que dépeint, on se rend vite compte que les problèmes actuels des Africains sont aussi dus au "gangstérisme international d’État", suivant sa formule utilisée dans son livre intitulé, La Guerre de la France contre la Côte d’Ivoire. En quoi consiste-t-il exactement ? Sinon pour les pays du nord d’empêcher l’autodétermination de ceux du sud par tous les moyens afin de continuer à les piller. Analysant la crise militaro-politique ivoirienne éclatée le 19 Septembre 2002, voici comment Mamadou Koulibaly définit ce phénomène : Alors que la France n’a pas respecté ses engagements vis-à-vis des accords de coopération militaires et de défense, elle voudrait institutionnaliser en Afrique le gangstérisme international qui consisterait à éjecter du pouvoir, des régimes démocratiques sous le prétexte fallacieux qu’ils ne sont pas capables de défendre les intérêts du pays gangster [13]. Ce qu’il faut comprendre à travers cette idée Koulibalyenne, c’est que par le système de gangstérisme international, les puissances occidentales, la France notamment, embastillent les velléités démocratiques des pays en développement et placent à leur tête des pseudo-dirigeants pour préserver leurs intérêts. Une façon de dire que les régimes au pouvoir en Afrique sont pistonnés par les puissances néo-colonisatrices. Ainsi, dans cette perspective où ce sont les intérêts qui guident les politiques internationales des puissances mondiales, ceux qui en souffrent sont naturellement les pays pauvres, comme le sont malheureusement la plupart des pays africains. Dans une interview accordée au quotidien ivoirien "Fraternité Matin", l’historien ivoirien Kouassi Yao, observateur attentif des théâtres de guerres en Afrique, répondant à une question n’a pas manqué de soutenir cette vision des choses en révélant, à son tour, cet aspect sombre des relations nord-sud quand il dit: Certains de nos problèmes sont de l’entière responsabilité du colonisateur, de l’histoire et puis enfin, il y a eu la course aux matières premières. Les sites stratégiques, pendant la guerre froide, c’étaient les pays situés aux abords des grandes routes maritimes ou qui recevaient des richesses extrêmement importantes comme le Zaïre qui était l’objet de la convoitise des deux Grands qui n’ont pas hésité à soutenir les hommes forts pour violer massivement les droits de l’homme. Ils gouvernaient de façon autoritaire pour préserver leurs intérêts stratégiques et certainement leur mainmise sur les ressources minières. Tous ces éléments mis ensemble expliquent, en partie, certains de nos conflits comme ceux du Katanga ou encore de l’Angola ou de Cabinda [14]. Selon cette idée de Kouassi Yao, les puissances occidentales sont, dans la majorité des cas, à la base de l’instabilité politique en Afrique. Pour préserver leurs intérêts égoïstes sur le continent, les puissances étrangères ne lésinent pas sur les moyens, surtout ceux qui consistent à manipuler le pouvoir politique, les détenteurs des leviers du développement. Ainsi, déshéritée, l’Afrique est-elle devenue un vaste champ de bataille où le gagnant, c’est-à-dire le plus fort s’accapare tout. Un tel contexte ne met-il pas à mal le respect des droits humains ? 1-2. Système colonialiste et violation des droits humains : de l’urgence d’une redéfinition de l’humanisme Dans la mesure où un peuple entreprend de coloniser ou d’exploiter un autre, on ne peut pas parler de respect de droits humains dans un tel environnement. Il va de soi que l’exploitant se croit supérieur à l’exploité. Pourtant, dans la situation ici, ce sont les Occidentaux, ceux-là même qui ont théorisé l’humanisme, concept qui fait de l’"Homme" la valeur absolue, qui se retrouvent dans la position de ceux qui exploitent d’autres hommes. La seule importance des Noirs, à cette époque, aux yeux des Blancs, c’était qu’ils étaient un moyen de travail, de production à bon marché. La fameuse équation césairienne entre colonisé et colonisateur posé dans Discours sur le colonialisme exprime mieux cet état de fait dans le rapport entre les Noirs et les Blancs. Césaire énonce son équation comme suit : Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production. À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification [15]. C’était cela la réalité des rapports entre les colons et les colonisés. Les traitements inhumains infligés aux colonisés les ravalaient au rang de choses, des objets. C’est sans doute pour cette raison que « les luttes de décolonisation remettent en question les prétentions à l’universalisme de l’humanisme européen (Césaire) » [16]. C’est un humanisme qui reprend de la main gauche ce que sa main droite a jeté. C’est de là, d’ailleurs que s’opère la différence entre l’humanisme classique et celui que prône Sartre. Alors que l’humanisme classique est sélectif, fermé, racial, ségrégationniste, colonialiste, etc., foulant aux pieds les droits fondamentaux de l’Homme comme l’égalité, la liberté et l’universalité, celui de Sartre se veut inclusif, donc respectueux des droits fondamentaux de la personne humaine sans distinction de race, de culture, de croyance, etc. C’est à juste titre, donc, que Sartre peut s’étonner de ce qu’on suspecte l’humanisme qu’il entend prôner. Il écrira, pour marquer son étonnement, ceci : « On m’a dit : mais vous avez écrit dans La Nausée que les humanistes avaient tort, vous vous êtes moqué d’un certain type d’humanisme, pourquoi y revenir à présent » [17]? Selon Sartre, les accusations d’anti-humanisme portées contre lui ne sont pas fondées, car sa philosophie ne méprise pas la réalité-humaine et ne haït pas les valeurs humaines. Il ne nie pas les moqueries faites dans La Nausée. Seulement, il y a eu de l’extrapolation à son égard. Sa critique dans La Nausée porte sur un type d’humanisme, en l’occurrence, « l’humanisme fermé sur soi » [18] qu’est l’humanisme traditionnel. Le véritable problème, dira-t-il, c’est qu’« en réalité, le mot humanisme a deux sens très différents. Par humanisme on peut entendre une théorie qui prend l’homme comme fin et comme valeur supérieure » [19]. C’est ce type d’humanisme que Sartre rejetait dans La Nausée, parce que, dit-il, « cet humanisme est absurde » [20], « c’est un humanisme dont nous ne voulons pas » [21], finit-il par dire. Cependant, il y a un autre sens de l’humanisme, qui signifie au fond ceci : l’homme est constamment hors de lui-même, c’est en se projetant et en se perdant hors de lui qu’il fait exister l’homme, d’autre part, c’est en poursuivant des buts transcendants qu’il peut exister; l’homme étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au cœur, au centre de ce dépassement [22]. Comme on le voit à travers cette idée, Sartre revendique un humanisme de type nouveau « et, bien que le mot ne soit pas prononcé, progressiste » [23]. La conception de la réalité-humaine change avec l’humanisme postulé par Sartre. Une humanité qui a des qualités fixes et qui s’en trouve être satisfaite perd son pouvoir de transcendance pour se réifier. Dans le cas de Sartre, par contre, la réalité-humaine n’a pas une essence figée, elle se dépasse continuellement. C’est en se dépassant que l’homme se façonne un être libre à la différence de l’humanisme classique qui conçoit l’homme comme étant un être déjà fait, un être figé. Du reste, tous les engagements de Sartre s’inscrivent dans la droite ligne de cette orientation humaniste. Ce qui a amené Fridolin Nké à faire ce constat : « Nous avons réalisé que le problème de Sartre est ailleurs, dans les colonies françaises notamment, et c’est celui-ci : comment peut-on, par exemple, entreprendre de piller, de torturer et de commettre des génocides dans les colonies et se proposer, par ailleurs, de cultiver la liberté, l’égalité, et la fraternité chez soi ? » [24]. Il est donc clair que le système colonialiste ne peut s’accorder avec un humanisme authentique qu’est à l’évidence celui de Sartre. Ses différents engagements pour la justice sociale et la liberté, ses prises de positions auprès de ceux qui souffrent, notamment les colonisés, suffiront à nous convaincre certainement de l’authenticité de son humanisme. 2. Le soutien sartrien à la libération de l’Afrique : vers un humanisme significatif Sartre a entrepris de nombreux engagements en faveur de l’Afrique qu’il convient de qualifier de contribution humaniste significative à la libération de l’Afrique. Ces engagements se sont opérés de plusieurs façons. En tant que penseur et écrivain, bien évidemment, il a opéré par des textes,[où] Sartre dénonce l’humanisme abstrait, proclamant des principes d’égalité, qui non seulement ne les met pas concrètement en œuvre mais exclut une partie de l’humanité de son application : les personnes qui subissent le racisme. Il rencontre également les questions de ce qui est aujourd’hui conceptualisé comme l’intersectionnalité, c’est-à-dire du croisement des formes de discriminations et de domination que subissent des personnes [25]. Ce qui revient à dire que par ses analyses et prises de position, Sartre a contribué à dénoncer les situations inhumaines dans lesquelles se retrouvaient les damnés de la terre, les personnes qui subissaient les actes atroces de leurs semblables. À côté de ce rôle purement intellectuel, « Sartre participa à de nombreuses manifestations, (…), son énorme activité pétitionnaire fit de lui l’un des champions de cette discipline militante (…) dans ce contexte tendu de la décolonisation » [26]. Cette idée témoigne de la forte participation militante de Sartre à la libération des pays africains du joug colonial déshumanisant. Ceci étant, comment les écrits ont-ils contribué à la crédibilisation ou à l’authentification de l’humanisme sartrien ? 2-1. Le soutien intellectuel ou la contribution à l’insurrection négritudienne Le combat contre l’anti-humanisme mené par Sartre au bénéfice de l’Afrique s’est aussi traduit par un soutien décisif à la Négritude; parce qu’en réalité, dira Léopold Sédar Senghor, « la Négritude est un Humanisme » [27] aussi. Cette assimilation de la négritude à l’humanisme rappelle si bien L’Existentialisme est un humanisme de Sartre. C’est dire que l’existentialisme et la négritude partagent la même vision humaniste, qui est celle de traiter tous les hommes sur un pied d’égalité, c’est-à-dire considérer tous les êtres humains comme étant des parties entières de l’humanité. Fort de ce constat, Sartre a intégré le mouvement négritudien conduit par le poète et homme d’État Sénégalais, Léopold Sédar Senghor qui attribue, justement, la paternité du mot "négritude" au Martiniquais Aimé Césaire à qui il rend cet hommage significatif : « J’allais oublier de rendre à Césaire ce qui est à Césaire. Car c’est lui qui a inventé le mot dans les années 1932-1934 » [28]. Après cette précision sur l’origine du mot, il est important de revenir sur son sens. Qu’est-ce que la négritude ? En effet, selon Senghor, « la Négritude, c’est ce que les anglophones désignent sous l’expression de "personnalité africaine". (…). La Négritude, c’est donc la personnalité collective négro-africaine » [29]. Cette idée signifie que la négritude défend et fait la promotion des valeurs culturelles africaines, elle restaure « l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir » [30]. Elle est un creuset de réhabilitation de l’homme africain. Selon Hubert Tardy Joubert, si Sartre a adopté la négritude et non un autre mouvement littéraire négro-africain, c’est parce qu’elle se présente comme un moyen de lutte efficace, comme il le dira dans cette phrase : « Avec Césaire au contraire, Sartre rencontre l’exemple d’une littérature qui réussit à être pleinement politique et émancipatrice » [31]. Émanciper le Noir, tel est, effectivement, l’objectif assigné à la négritude, ce mouvement littéraire qui s’est donné pour but de faire la promotion de la race noire, de valoriser les cultures africaines et restaurer la dignité africaine. Du fait justement qu’elle prend position pour un peuple, pour une race spécifique, les pourfendeurs de la négritude n’ont pas hésité à la qualifier d’exclusionniste et de raciste. Accusation à laquelle Senghor a répondu par ces mots éloquents : « Si elle s’est faite, d’abord, raciste, c’était par antiracisme, comme l’a remarqué Jean-Paul Sartre dans Orphée noir » [32]. Par cette idée, Senghor veut nous amener à comprendre que la négritude, en réalité, vient en réaction à une situation d’injustice, elle s’érige comme un instrument nécessaire de restauration, de combat face à une situation qui ne concède ou ne reconnaît au négro aucune dignité. C’est une insurrection contre un ordre ou un fait déjà établi et qui a cours. Cet ordre ou ce fait contre lequel s’est insurgée ou s’est érigée la négritude est la colonisation, le racisme contre la race noire. Le racisme, justement, c’est cette idéologie postulant la hiérarchisation des races. Dans cette hiérarchisation établie par l’homme occidental, en l’occurrence l’homme à la peau blanche, l’homme noir occupait le bas de l’échelle. Ce qui insinue qu’en lui s’éprouvait un défaut d’être. Comment « la race [qui] n’est pas une entité : une substance » [33] et qui n’est que « la fille de la Géographie et de l’Histoire » [34] peut-elle être prise comme élément déterminant le degré d’humanité d’un être humain et surtout s’adonner à infliger à la race jugée moins mature toutes sorte de maltraitances inhumaines ? Dans les années d’avant les indépendances des pays africains, l’idéologie raciale avait cours dans plusieurs contrées occidentales, notamment aux États-Unis, en France, etc. Ainsi, les personnes noires de couleur de la peau étaient exclues de certaines sphères de la société et il leur était infligé toutes sortes de cruautés, de maltraitances déshumanisantes. Ayant pris conscience de cette situation affligeante des négro-africains, des intellectuels, noirs eux-mêmes, tels Aimé Césaire et Senghor voulant y mettre un terme ont saisi la négritude comme l’instrument par lequel la lutte devait se mener. C’était le terme qui, à leurs yeux, désignait le mieux les valeurs de l’africanité et qui positivait l’être-humain-noir et ses aspirations profondes de liberté, justice, respect et fraternité. Il faut dire, toutefois, que le combat pour la dignité humaine, Sartre le menait déjà et le faisait si bien par la littérature engagée. Il fut l’un des premiers à dénoncer le racisme dont les noirs étaient victimes aux États-Unis d’Amérique comme l’a souligné Yoann Malinge en ces mots : Quant à la question des Noirs aux États-Unis, Sartre développe d’un côté une approche sociologique et économique de la situation des Noirs qui sont exclus de l’égalité politique et dont les conditions de vie témoignent de leur aliénation. Si, pendant la guerre, la mobilisation industrielle a conduit à une croissance économique, elle a eu des conséquences négatives pour certaines populations migrantes, qui subissent le manque de logement et sont prises dans des affrontements ethniques violents comme juin 1943 lors d’émeutes à Détroit qui "annoncent les luttes raciales de l’après-guerre" [35]. Sartre qui décrivait déjà les situations difficiles de travail et de vie des Noirs aux États-Unis d’Amérique avaient déjà compris l’urgence de soutenir ces derniers à se défaire du joug racial. Quand bien même il y a eu une relative abondance après la guerre du fait de la trop grande sollicitation de l’industrie américaine par les pays européens qui étaient en prise, la situation des Noirs, que ce soit sur le plan économique que social n’a pas eu d’amélioration significative, à contrario de celle des populations blanches qui percevaient une amélioration au plan salarial en plus des conditions de logement nettement meilleures Cette différence dans le traitement résultait juste d’une considération d’appartenance à la race inférieure pour les Noirs et pour les Blancs à la race dite supérieure. À côté des deux approches, sociologique et économique, Sartre entreprend une autre approche, cette fois, phénoménologique qui a été autant aussi bien perçue et soulignée par Yoann Malinge quand il affirme : Sartre propose d’un autre côté une approche phénoménologique de leur situation fondée sur les analyses du regard objectivant telles qu’il les avait développées dans L’Être et le néant. Les Noirs ne sont pas considérés comme sujets libres, mais sont réifiés par le regard des autres, les Blancs. Être regardé par un être humain, c’est être réduit à ce que l’on est : par exemple ouvrier, jaloux, Noirs. À l’inverse, pouvoir regarder autrui, c’est pouvoir donner un sens à sa présence et donc être sujet libre. Or, être Noir, c’est être regardé mais ne pas pouvoir regarder les Blancs, c’est être sans cesse sous le regard objectivant et réifiant en une essence. C’est ne pas pouvoir retrouver, en retour dans le rapport à autrui, la liberté qui caractérise la conscience intentionnelle [36]. Cette idée souligne le fait que les rapports des Noirs aux Blancs étant dans un sens descendant ou dominant du Blancs aux Noirs chosifient les Noirs et les vident de leur être intrinsèque d’être humain. Les Noirs, du fait que le regard des Blancs les a assignés à une nature qui tend à les définir une fois pour toute comme étant des sous-hommes et que, ces Blancs eux-mêmes se sont donnés la nature positive d’hommes achevés au sens véritable du terme, le combat pour la restauration devient difficile si on ne fait pas un travail d’éveil de conscience sur les Noirs. En fait, quand on arrive à amener les Noirs à croire qu’ils sont ce qu’on dit d’eux qu’ils sont, cela les affaiblit au moral et ils n’osent plus lutter. La seule importance des Noirs, à cette époque, aux yeux des Blancs, c’était qu’ils étaient un moyen de travail, de production à bon marché. La fameuse équation césairienne entre colonisé et colonisateur posé dans Discours sur le colonialisme peut permettre de mieux comprendre le rapport entre les Noirs et les Blancs. Cette équation s’énonce comme suit : Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production. À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification [37]. Même s’il s’agit, ici, dans cette idée d’Aimé Césaire, de colonisation, en réalité, cela concerne aussi bien le racisme. Victimes de colonisation et victimes de racisme subissent les mêmes traitements dévalorisants et inhumains. Entre raciste et celui qui en est victime ou entre colonisateur et colonisé, c’est le même rapport de maître à esclave ou d’être humain à chose. Analysant la préface à Orphée noir écrite par Sartre, Ozouf Sénamin Amedegnato et Ibrahim Ouattara reviennent clairement sur les raisons profondes de l’intégration de Sartre à l’insurrection négritudienne, en ces mots : Puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu’il était nègre, de le réduire à l’état de bête, il faut qu’il les oblige à le reconnaître pour un homme. (…). Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de "nègre" qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique noir, en face du blanc, dans la fierté [38]. Cette idée revient à dire que le nègre doit assumer sa couleur de peau s’il veut être réhabilité, s’il veut parler d’égal à égal avec le Blanc. En rien, la couleur de peau ne diminue ou n’élève. Pour « passer par le dépassement de la négativité qui est contenue dans le mot nègre » [39], il faut passer absolument par la négritude. Perçus dans ce sens, existentialisme et négritude posent, tous les deux, la centralité de l’humain et érige l’homme au niveau le plus élevé dans l’échelle des valeurs. Ainsi présenté, l’humanisme est un état d’esprit ainsi qu’une attitude qui pose comme principe la sacralité de l’homme qu’il convient, structurellement, de respecter et de célébrer. L’homme est à valoriser, non pour ce qu’il a, mais pour ce qu’il est. Il est un être doué de conscience, attaché à des valeurs, responsable de lui et de tous les éléments constitutifs de l’univers. S’il en est ainsi, l’humanisme garantit la "coexistence pacifique" des vivants et des groupes dans la mesure où il se situe dans le domaine du métaculturel qui promeut l’expression pluriculturel du génie humain. On dira alors, qu’au-delà de tout, se situe l’homme dont la vie et la dignité sont sacrées et sont, corrélativement, épargnées (au moins en principe) de toute forme de violation [40]. C’est au nom de ces valeurs véhiculées par l’humanisme et qui sont partagées par la négritude que Sartre a rejoint ce mouvement à travers diverses contributions écrites « avec la publication d’"Orphée noir" en 1948, Sartre inaugure la série des préfaces (…), en assumant le rôle de préfacier de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française » [41] ; car l’homme noir mérite autant que l’homme blanc, le respect de ses droits. Qu’en est-il alors de son apport pratique ou militant ? 2-2. Le soutien militant ou l’épreuve du terrain Face aux situations aliénantes de son époque, Sartre, en philosophe, ne s’empêchait pas de mener des analyses à caractère doctrinal, mais beaucoup plus destinées aux intellectuels. De cette façon, c’est sur ce terrain que semblent le réduire la plupart de ses lecteurs et admirateurs. Pourtant, l’engagement déterminé de Sartre contre les injustices, en l’occurrence le système colonialiste ne s’est pas limité au volet intellectuel ou à l’aspect littéraire de son œuvre. Cela s’est traduit aussi par un militantisme très actif, un engagement concret sur les différents champs de combat à travers un activisme inlassable soldé, parfois, par des interviews, des conférences, des meetings, des sit-in, des voyages, des tribunes d’exhortation dans la presse dont Les Temps Modernes qu’il dirigeait, etc. Anne Mathieu ne dira pas le contraire à travers cette idée : « Le combat de Sartre pendant la guerre d’Algérie ne fut pas uniquement une "bataille de l’écrit". Engagé, l’intellectuel le fut, et sur tous les fronts que lui commandèrent les événements » [42]. Cette idée confirme bien les engagements concrets de Sartre dans les combats qu’il juge nobles, à l’instar des luttes pour la décolonisation. En effet, ce soutien sartrien à la décolonisation, il est vrai, quand on en parle, fait penser au cas algérien. Alors que, renchérit Anne Mathieu, la prise de conscience anticolonialiste de Sartre ne date pourtant ni de cette date ni du soulèvement algérien de la Toussaint 1954. Depuis plusieurs années, l’intellectuel soutient, en Tunisie, la cause du Néo-Destour, au Maroc celle de l’Istiqlal (Indépendance), au congrès duquel il participa en 1948. En 1952, il accorde un entretien au journal de Ferhat Abbas, La République algérienne, et, à l’automne de 1955, apporte son appui au Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre d’Algérie [43]. Cette idée est la preuve que l’activisme sartrien dans le cadre de la conquête de la liberté des États africains est loin de se réduire à l’unique cas du conflit qui a opposé l’Algérie à la France dans le cadre de la conquête de son autonomie. Quand une nation se donne pour mission de coloniser ou de dominer une autre, nous l’avons déjà souligné, c’est pour ses propres intérêts d’abord. Dans la mise en œuvre de sa politique d’exploitation, le pays colonisateur, n’hésite pas à faire usage de moyens violents et inhumains. Les Africains ont, ainsi, subi, durant la colonisation, les atrocités de tout genre conduisant parfois à la mort, à des privations de liberté, à des expropriations des terres et même à des déportations de populations. Ces exactions constituent un anti-humanisme, c’est-à-dire une négation de la dignité ou de l’humanité des colonisés. C’est sans doute en considération de tous ces traitements inhumains infligés par les colons aux colonisés que, dans une interview accordée à la chaîne algérienne "Echorouk News" le 14 février 2017, Emmanuel Macron, alors en visite à Alger, se prononçant sur la question de la colonisation, l’a qualifiée de "crime", de "crime contre l’humanité" et de "vraie barbarie". Selon lui, en effet, « la colonisation est un crime. C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie et ça fait partie de l’histoire française (…). Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes » [44]. De tels propos, venant du candidat déclaré à la présidentielle de cette même année, une si haute personnalité d’une nation colonisatrice, ont valeur d’aveu. En faisant le choix de la stratégie de la vérité, en revenant sur cette part quand même honteuse de l’histoire de la France dans ses relations avec les autres, l’homme politique fait là, preuve de bonne foi. Il est vrai que dans ces circonstances-là, pour s’attirer la sympathie de l’électorat, surtout qu’en raison de leur histoire commune, la France comptant autant de binationaux franco-algériens, on peut nous opposer le risque de la politique politicienne ou la démagogie politique adoptée par lui pour s’attirer les faveurs de cette frange de l’électorat. Mais, même assumer une telle démarche serait aussi un gros risque, presqu’une gageure même. C’est pour cette raison qu’un tel acte doit être apprécié à sa juste valeur comme acte de vérité et de courage de la part de son auteur. Ainsi, en se dressant courageusement contre des actes criminels et barbares, qualifiés à bon droit "de crimes contre l’humanité" par Macron, Sartre fait-il preuve d’un légendaire don de soi et de justice. Un don de soi, disons-nous, parce que, pour rappel, la vie du philosophe était menacée, son appartement de la rue Bonaparte fut plastiqué à deux reprises par l’Organisation armée secrète (OAS). Et il ne s’agissait nullement des pseudo-provocations comme celles d’aujourd’hui, destinées à relancer la vente d’un ouvrage ou à déclencher des invitations à en parler dans les médias [45]. C’étaient de véritables actes terroristes perpétrés contre lui. C’est dire combien ce soutien sans concession aux causes indépendantistes africaines était lourde de conséquences pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême ainsi que l’a démontré l’OAS par ses attaques lâches contre le combattant de la justice, de la liberté et des droits humains. Parce qu’il faut le dire, les écrits contre les injustices sont bons, mais, encore, faut-il faire le saut de la démarche militante ou combattante. Pour Lewis Ricardo Gordon même, aujourd’hui, beaucoup d’entre nous se demandent également si ses critiques universitaires et politiques actuels seraient capables de défendre les valeurs auxquelles ils croient s’ils étaient menacés comme lui l’était lorsqu’il défendait celles auxquelles il croyait. Rappelez-vous ce triste moment, 5000 anciens combattants qui défilèrent sur les Champs-Élysées en 1960 en criant "À mort Sartre !" en réaction au soutien qu’il apportait à l’indépendance algérienne » [46]. Pour Sartre, en effet, l’engagement intellectuel et l’engagement militant sont deux moments nécessaires de la dialectique humaniste dans le champ politique. Et, il n’a pas manqué d’exprimer cette position dans sa préface des Damnés de la terre de Frantz Fanon en ces termes : Il faudra vous battre ou pourrir dans les camps. C’est le dernier moment de la dialectique : vous condamnez cette guerre mais n’osez pas encore vous déclarer solidaires des combattants algériens ; n’ayez crainte, comptez sur les colons et sur les mercenaires : ils vous feront sauter le pas. Peut-être, alors, le dos au mur, débriderez-vous enfin cette violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits [47]. À travers cette idée, Sartre exprime son insatisfaction à l’égard des bonnes intentions sans actions. Toute bonne intention, toute idée, pour être utile aux autres doit être concrétisée, mise en pratique par les autres mais aussi par soi-même. C’est sur cette question, d’ailleurs, que la vision de Sartre s’oppose à celle de Raymond Aron dans le cadre de la lutte pour la décolonisation algérienne. Bien que les deux penseurs ne fassent aucun mystère sur leur aversion du système colonialiste, leurs méthodes proposées pour le combattre diffèrent. Tandis que Sartre propose d’aller jusqu’à l’affrontement direct, Aron préconise que le soutien de l’intellectuel se limite à l’émission d’idées, de bonnes intentions et non à aller aux actes. C’est à juste titre que dans son article intitulé "Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et le conflit algérien", Marie-Christine Granjon a qualifié les attitudes des deux intellectuels de « deux visions antagonistes du fait colonial » [48]. Les deux philosophes, écrit-elle, sont en désaccord sur le sens du colonialisme et de la révolte algérienne, Sartre et Aron n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes interlocuteurs, ni les mêmes façons d’agir. Ils ont également des opinions différentes sur la politique algérienne du général de Gaulle. Dans sa conférence du 27 janvier 1956, Sartre préconise l’indépendance algérienne immédiate et la lutte aux côtés du peuple algérien. Position dont il ne se départira pas jusqu’à la fin du conflit. Aron plaide pour la "constitution d’une unité politique algérienne" dès avril 1956. Mais il souhaite que celle-ci soit accordée par étapes, en négociant avec les nationalistes modérés, non xénophobes. (…). Aron se met à la place des gouvernants et s’efforce de convaincre les faiseurs d’opinion (politiciens, directeurs de journaux, intellectuels). Pour ce faire, il se rend chez le président de la République, René Coty, discute avec des hommes politiques et des hauts fonctionnaires. (…). Sartre ne s’adresse pas aux hommes de responsabilité mais aux "masses", qu’il espère mobiliser à travers le PCF, ou aux jeunes, prêts à entrer dans l’illégalité et à utiliser la violence [49]. Comme on peut l’apercevoir à travers cette idée, tandis que Sartre privilégie l’action, même violente, pour mettre fin aux injustices qu’il juge inhumaines et inacceptables, perpétrées par les colons en Algérie, Aron préconise la manière douce pour y mettre fin. Granjon soutient même que « Sartre sacralise la violence "révolutionnaire" du FLN et mise sur les masses populaires (et la jeunesse) de France, Aron cherche à juguler toute violence » [50]. Sartre pense qu’il ne doit avoir de temps à perdre lorsqu’on veut lutter contre des pratiques déshumanisantes et inacceptables. Ses prises de positions radicales dans le cas du conflit algérien témoignent de son aversion viscérale pour la colonisation. Ses postures sous toutes ses formes sont radicales. Pour lui, en effet, il n’y a pas une colonisation à visage humain qui serait acceptable et une autre à visage inhumain qu’il faut rejeter comme Aron voudrait le faire croire. Soit l’homme est libre, soit il ne l’est pas. Du simple fait que le fait colonial suggère l’idée d’aliénation et d’inhumanité, il faut le combattre par tous les moyens possibles pour libérer ceux qui le subissent. C’est pour cette raison que Yoann Malinge considère les analyses sartriennes comme une sorte de béquilles sur lesquelles s’appuient les colonisés pour se défaire de leurs chaînes. Les analyses sartriennes, écrit-il, constituent en réalité un soutien libérateur pour les personnes qui sont assignées (…), en s’appuyant sur un engagement concret de chacun à défendre les victimes du racisme et appellent plus lointainement une révolution qui déboucherait sur une société sans classe. Par là, Sartre nous invite encore à lutter pied à pied pour l’égalité réelle des droits [51]. Cette idée montre que Sartre prône l’égalité entre les humains. Or, tant que les hommes seront, les uns dans une posture de colonisateurs et les autres, dans une posture de colonisés, on ne pourra jamais parler d’égalité entre eux. L’humanisme doit se vivre, il doit être et se voir dans les faits. C’est pour cette raison que cela ne doit pas être vu comme contradictoire le fait que « Sartre dénonce l’humanisme abstrait » [52] tout en se proclamant lui-même comme humaniste ainsi qu’il a titré son ouvrage, L’Existentialisme est un humanisme. Sa pensée est un humanisme au sens où il permet « d’acquérir des sentiments nouveaux pour approfondir notre condition humaine » [53]. Au nombre de ces sentiments nouveaux, il y a l’égalité entre les hommes, le respect des droits humains et l’amour de l’autre homme, même s’il peut avoir des différences entre nous comme la différence de peau, de religion, etc. L’expression de Rémi Brague pourrait très bien nous servir, ici, à l’explicitation de la pensée sartrienne, quand il dit : « Notre humanisme n’est au fond rien de plus qu’un antiantihumanisme » [54]. Cette expression "antiantihumanisme" suggère l’idée selon laquelle mettre fin à un mal par des moyens violents est un moindre mal, voire un bien. Étant donné que Sartre dénonce et combat toute idée et pratique avilissantes à l’égard de tout être humain, sans aucune distinction, il peut bien se dire humaniste. Sa philosophie qu’on peut qualifier de philosophie "du changement ou du combat contre les situations injustes" ou comme le dirait Yoann Malinge à travers son article, "La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations", est centrée essentiellement sur la réhabilitation de tous ceux à qui on a bafoué les droits. Conclusion Reprenons, en fin de compte, cette interrogation d’Alphonse de Waelhens, à travers le titre de son article: « L’Existentialisme de M. Sartre est-il un humanisme » [55]? Ce cheminement nous a fait voir la solidarité sartrienne envers ceux qui souffrent, qui sont victimes des pires injustices et dont les droits sont bafoués dans des parties du globe. L’engagement sartrien dans les luttes pour la restauration de la dignité africaine témoigne de son engagement total au service de tous les êtres humains sans exclusion. En conséquence, la pensée de Sartre « n’implique aucunement la défense de l’inhumain, mais ouvre au contraire d’autres échappées » [56] de la réalité-humaine qui favorisent sa libération et son élévation. Ceci étant, « sa doctrine est capable d’assurer vraiment le salut de l’homme et mérite donc d’être appelé un "humanisme"» [57]. Mais cet engagement africain de Sartre n’aura tout son sens que si les générations présentes et futures d’hommes d’ici et d’ailleurs s’approprient son idéal de justice en s’engageant comme il l’a fait et même plus. Il n’a fait que frayer le chemin qui a besoin d’être élargi, la flamme qu’il a activée va s’éteindre à coup sûr si on ne s’en occupe pas. « Qui peut se dire heureux ou malheureux avant de mourir » [58]? « Il ne faut pas croire non plus que la réussite consiste à atteindre tranquillement un but ; nos buts ne sont jamais que de nouveaux points de départs. Quand nous aurons conduit autrui jusqu’à ce but, c’est alors que tout commence ; à partir de là, où ira-t-il» [59]? Que deviendra l’héritage de la solidarité sartrienne à l’Afrique si on ne fait pas comme Nkrumah qui pense qu’ : « une Afrique unie pourrait mieux contribuer à la paix et au progrès de l’humanité. (…). La paix mondiale exige aujourd’hui l’indépendance totale de l’Afrique, et son unité, comme contributions à l’élimination des éléments qui créent les conditions de la guerre » [60]. Au regard de ces divisions, ces mésententes, ces guerres et attaques djihadistes dans les pays du sahel, ces coups d’État, la famine, etc., qui sévissent sur le continent africain, on se rend bien compte que ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est l’unité, la fraternité, l’amour des autres, car « un geste, un souffle, une pensée peuvent soudain changer le sens de tout le passé : telle est la condition temporelle de l’homme » [61]. BIBLIOGRAPHIE [1] Jean-Paul SARTRE, L’Existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, 1996, 109 p. [2] Ibid., p. 22. [3] Jean-Paul SARTRE, Huis clos suivi de Les Mouches, p. 75 [4] Paul SEFF, « La pensée de Sartre à travers trois pièces de son théâtre », in http://www.studylibfr.com/doc/pdf, consulté le 26 juin 2018 à 11h 11mn. [5] Yoann MALINGE, « La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations », in https://apropos.erudit.org, consulté le 26 août 2023 à 16h 20mn. [6] L’Existentialisme est un humanisme, p. 83. op. cit, p. 83. [7] Ibid. [8] Jérôme MELANÇON, « Engagement et responsabilité de l’intellectuel : À propos de deux textes fondateurs des Temps Modernes », in http://www.erudit.org/iderudit/ 801320ar, consulté le 22 mars 2019 à 20h 10 mn. [9] Jean-Paul SARTRE, Les Mots, Paris, Gallimard, 1972, p. 212. [10] Jean-Noël LOUCOU, La Côte d’Ivoire coloniale 1893-1960, Abidjan, Les Éditions du CERAP, 2021, p. 30. [11] « La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations », op. cit. [12] Jean-Yves LE DRIAN, « Le Figaro », in https://www.lefigaro.fr, consulté le 06 janvier 2023 à 20h 14mn. [13] Mamadou KOULIBALY, La Guerre de la France contre la Côte d’Ivoire, Paris, Harmattan, 2003, p. 5. [14] Kouassi YAO, « Guerres civiles. Pourquoi l’Afrique demeure instable? », in Fraternité Matin, n°13603, des 13 et 14 mars 2010, p. 3. [15] Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1973, p. 19. [16] Ibid. [17] L’Existentialisme est un humanisme, op. cit, p. 74. [18] Ibid., p. 75. [19] Ibid., p. 74. [20] Ibid., p. 75. [21] Ibid., p. 76. [22] Ibid. [23] Jacqueline LÉVI-VALENSI et Jeanyves GUÉRIN, « Peut-on être humaniste dans la France des années cinquante ? », in https://www.persee.fr, consulté le 24 janvier 2023 à 20h 16mn. [24] Fridolin NKÉ, « Sartre, le saltimbanque de la rue d’Ulm », in https://doi.org, consulté le 22 juin 2023 à 5h 42mn. [25] « La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations », op. cit. [26] Michel UTARDO, « L’intellectuel engagé », in https://classes.bnf.fr, consulté le 26 septembre 2023 à 15h 01mn. [27] Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, Négritude et humanisme, Paris, Le Seuil, 1964, p. 8 [28] Ibid. [29] Ibid. [30] Ibid., p. 9. [31] Hubert Tardy JOUBERT, « Sartre et la négritude : de l’existence à l’histoire », in https://www.cairn.info/revue-rue-descartes, consulté le 06/06/2021 à 20h 15mn. [32] Liberté 1, Négritude et humanisme, op. cit, p. 8. [33] Ibid. [34] Ibid., p. 9. [35] « La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations », op. cit. [36] Ibid. [37] Discours sur le colonialisme, op. cit, p. 19. [38] Ozouf Sénamin AMEDEGNATO et Ibrahim OUATTARA, « "Orphée noir" de Jean-Paul Sartre : une lecture programmatique de la négritude », in https://www.doi.org, consulté le 16 mars 2023 à 4h 03mn. [39] Ibid. [40] Djiby DIAKHATE, « Humanisme africain traditionnel : entre communautés fermées et organisations ouvertes », in https://fr.linkedin.com, consulté le 23 septembre 2023 à 17h 20mn. [41] « Sartre et la Négritude : de l’existence à l’histoire », op. cit. [42] Anne MATHIEU, « Jean-Paul Sartre et la guerre d’Algérie », in http://www.monde-diplomatique.fr, consulté le 20 septembre 2023 à 9h 10mn. [43] Ibid. [44] Emmanuel Frédéric MACRON, « Interview », in http://www.lepoint.fr, consulté le 12 février 2023 à 15h 03mn. [45] « Jean-Paul Sartre et la guerre d’Algérie », op. cit. [46] Lewis Ricardo GORDON, « Sartre et l’existentialisme noir », in https://www.cairn.info, consulté le 24 mars 2023 à 14h 10mn. [47] Jean-Paul SARTRE, « Préface à l’édition de 1961par Jean-Paul Sartre », in Les Damnés de la terre de Frantz Fanon, op. cit, p. 36. [48] Marie-Christine GRANJON, « Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et le conflit algérien », in Les Cahiers de l’institut d’histoire du temps présent : La guerre d’Algérie et les intellectuels français, n°10, novembre 1988, pp. 79-94. [49] Ibid. [50] Ibid. [51] « La Voie sartrienne de l’engagement contre les discriminations », op. cit. [52] Ibid. [53] Jean-Paul SARTRE, Situations, I. Essais critiques, Paris, Gallimard, 1947, p. 268. [54] Rémi BRAGUE, « L’Humanisme est-il en voie de disparition ? », in https://www.cairn.info, consulté le 01 juillet 2023 à 9h 30mn. [55] Alphonse DE WAELHENS « L’Existentialisme de M. Sartre est-il un humanisme ? », in http://www.persee.fr/doc/phlou, consulté le 02 février 2018 à 11h 45 mn. [56 Martin HEIDEGGER, Lettre sur l’humanisme, Traduit de l’Allemand par Roger Munier, Paris, Aubier, 1964, p. 127. [57] « L’Existentialisme de M. Sartre est-il un humanisme ? », op. cit. [58] Jean-Paul SARTRE, Baudelaire, Paris, Gallimard, Collection Folio, essais (n°105), 1988, p. 149. [59] Simone DE BEAUVOIR, Pour une morale de l’ambiguïté, Paris, Gallimard, 1972, pp. 363-364. [60] Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, paris, Présence africaine, 2009, op, cit, pp. 234-235. [61] Baudelaire, op. cit, p. 149.
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Notes
1. Le trou, dans le référentiel sartrien, renvoie à l'idée d'insuffisance d'être, au défaut ou manque d'être.
2. La revue ''Les Temps modernes'' a été fondée en 1944 par Jean-Paul Sartre et ses compagnons dont Maurice Merleau-Ponty, Raymond Aron, Simone De Beauvoir, etc. A travers cette revue, ces intellectuels participaient à la vie politique française et d'ailleurs, par des prises de position face aux événements d'envergure en cette période particulièrement bouillante.