Le Monde de Sophie en BD

Pour quelqu’un qui a été marqué par Le Monde de Sophie – à la fois roman et porte d’entrée dans le monde de la philosophie – matérialiser Sophie en BD est un beau défi, remporté haut la main. C'est une belle réussite.

Le tome I du monde de Sophie en BD est paru l’été dernier aux éditions Albin Michel, et circule déjà en 17 langues à travers le monde. Alors que Sophies verden d’après Jostein Gaarden a été publié pour la première fois en 1991 en Norvège, pour ensuite être traduit et disponible en français dès 1995, rencontrer Sophie en BD est une expérience nouvelle et rafraichissante car Sophie reflète la jeunesse d’aujourd’hui. En effet, Sophie n’est pas restée bloquée dans les années 1990.  

Le premier tome couvre « La philo, de Socrate à Galilée ». C’est avec impatience qu’on attend la suite et fin dans le second volume adapté du roman qui, lui, a été traduit en pas moins de 54 langues. Il faudra encore patienter jusqu’en automne 2023 pour (re)découvrir la suite. C’est par le dessin de Nicoby et le scénario de Vincent Zabus que la bande dessinée a vu le jour. Les auteurs témoignent d’une grande reconnaissance envers Jostein Gaarder, au vu de la liberté dont ils ont bénéficié pour la création de la bande dessinée du roman éponyme. C’est cette liberté qui rend Le Monde de Sophie accessible et d’actualité. Au lieu de rester caché dans l’étagère, aux côtés du roman original, Sophie a su amener des thématiques d’actualité comme la cause féministe, le changement climatique, mais également les années de pandémie COVID. C’est la preuve, écrite et dessinée, que l’actualité se prête toujours aux questions philosophiques et que le monde d’aujourd’hui se prête toujours à l’application des questions philosophiques. D’autant plus que les rapports entre les personnages sont également actualisés : non seulement notre environnement a changé depuis 1995 – par exemple, maintenant, Sophie a un smartphone – mais également nos relations se sont modifiées. Ces modifications, au lieu de dénaturer l’histoire, permettent de garder de la crédibilité et d’intéresser les jeunes d’aujourd’hui mais également les jeunes ayant connu Le Monde de Sophie sous sa première forme.

En 260 pages et 11 chapitres, Sophie parvient à capturer l’attention de son.sa lecteur.rice. Le génie des auteurs réside dans l’impression donnée que ce n’est pas une adaptation. Le défi est de taille : transformer la réception de lettres à contenu philosophique en images peut sembler oxymorique du point de vue du média utilisé. En effet, rien ne semble plus éloigné d’une bande dessinée qu’un cours de philosophie par mystérieuse correspondance. Nicoby et Zabus relèvent le défi avec une facilité déconcertante. C’est fluide, limpide, clair, à tel point qu’on en oublierait que c’est une adaptation. D’autant plus que le média utilisé, la BD, est lui-même discuté au sein de ce premier Tome, car Sophie se rend compte que nous lecteurs intrusifs épions ses faits et gestes. Cette mise en abyme apporte une touche d’humour et de réflexion et nous donne envie de découvrir la suite.

En somme, peut-être que le Monde de Sophie en BD nous permet d’interroger la notion d’hylémorphisme développée par Aristote. Peut-être que cette histoire, alors qu’elle change de format, perdure sous une autre forme, dans un autre média. Comment expliquer le changement ? Comment expliquer la persistance ? Voilà que la lecture même du Monde de Sophie devient une question philosophique, que reconnaître la BD et le roman comme étant continus voire identiques en certains aspects devient sujet à d’autres questions. C’est une réussite, le lecteur philosophe, du fait du contenu, de par la forme, de partout jaillissent de nouvelles interrogations.

Vous pouvez feuilleter les premières pages de la BD sur le site de la maison d’édition Albin Michel ici.

Source: 

•   Zabus, V., Nicoby, Ory, P., & Gaarder, J. (2022). Le monde de Sophie. Paris: Albin Michel.