Revue de presse philosophique semaine du 29/05/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 29 mai au 4 juin 2023

    Agression des élus : la double peine.

    Ces dernières semaines, plusieurs maires ont fait connaître leur mécontentement, dénonçant les agressions et les menaces qu’ils subissent. La démission de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, est le symbole de la résignation des élus qui ne veulent plus prendre de risques. Un groupe d'extrême droite a incendié la maison de Yannick Morez en raison d’un projet de centre d’accueil de demandeurs d'asile dans la commune. Dans le Tarn-et-Garonne, un élu a été filmé et menacé suite à son intervention lors d’une querelle entre deux habitants.

    Pour ces élus c’est la double peine. La première est celle de l’impuissance face à des directives émanant de l’exécutif. Certains maires regrettent la gestion très bureaucratique des communes. En effet, la plupart des problèmes ne peuvent se résoudre qu’à l'échelle locale, directement sur le terrain et en prenant des décisions adaptées. La deuxième peine est le manque de soutien d’un gouvernement responsable de la colère montante. Certes, on ne peut accuser le pouvoir en place d’être la source de tous les maux de la société et des agressions qui en découlent. Cependant, la montée de l’extrême droite et la méfiance des élus ne viennent pas de nulle part. Les manifestations d’ultra-droite sont autorisées, les termes d'« ensauvagement » ou de « décivilisation » banalisent un discours sécuritaire qui divise la société entre les gentils et les brigands. Les tensions sociales proviennent en partie de la violence politique émanant des mesures prises par un gouvernement qui reste sourd aux revendications de la rue et des syndicats et qui contourne régulièrement le Parlement pour prendre des décisions. Les maires font partie des élus qui sont à portée de main. Alors que le président est inatteignable, protégé par des groupes de CRS, les maires font directement face à la contestation qui ne fait que s’intensifier. Le quotidien d’un maire est un travail de proximité qui n’a rien en commun avec la démesure du pouvoir présidentiel français. Les maires ne résident pas dans des tours d’ivoire à donner des directives sans pouvoir prendre des coups en retour. Ils prennent des décisions sur le terrain et peuvent satisfaire une partie de la population. Seulement, lorsque le pouvoir devient trop autoritaire ou trop violent par ses lois, tout le spectre des institutions est remis en question. Les maires deviennent les cibles directes du mécontentement. Dans une période où des groupuscules d’ultradroite remettent en question les valeurs de la République, il ne fait pas bon enfiler une écharpe de maire.

    Le pouvoir politique donné par l’élection municipale doit être laissé à ses élus. Trop éloigné des préoccupations des habitants de chaque commune, le président doit accepter une décentralisation du pouvoir pour favoriser des mesures locales. Que le président se rassure, les principes républicains en resteront intacts et sa photo, affichée dans toutes les mairies, ne manquera pas de rappeler qui est le patron. Si le pouvoir n’est pas décentralisé, si les élus ne sont pas dissociés des directives du gouvernement, il faudra que ce dernier veille à mieux protéger ses élus qui se sentent aujourd’hui menacés.

    La politique locale est plus que nécessaire dans un pays où l’exécutif bafoue la démocratie parlementaire. Si les députés ne peuvent effectuer leur travail parce qu’empêchés, la politique locale pourrait, elle, répondre en partie aux attentes de ses habitants. Si le pouvoir en place reste sourd aux revendications de son peuple et de ses élus, les premiers n’auront plus d’espoir en la politique tandis que les seconds démissionneront, abandonnant toute chance de renouer le lien entre les institutions et le peuple.

     

    Retraites : dernier acte

    L’histoire de la réforme des retraites du président Macron touche bientôt à sa fin. Des mois d’opposition forte dans la rue et dans les sondages. Des mois de grèves et de blocages. Malgré tout, Macron aura rempli son objectif : adopter et maintenir la loi sur les retraites, peu importe l’avis de la population. Comment analyser un tel comportement en politique ? N’est-ce pas désolant de témoigner chaque jour d'un gouvernement qui empêche une réforme majeure d'être discutée et votée à l'Assemblée nationale ? Ne devons-nous pas nous inquiéter d'un pouvoir n’ayant aucun souci de l’opinion du peuple ? Les sondages étaient défavorables, la mobilisation dans la rue était très importante, certains élus macronistes ont même été en désaccord avec cette réforme. Une décision aussi lourde de conséquences sur le travail aurait dû être discutée, débattue à l’Assemblée nationale pour ensuite être votée. Macron estime que cette réforme est légitime, que les chiffres lui donnent raison. Seulement, quel rôle jouent l’Assemblée nationale, le Sénat, les représentants élus par le vote et les syndicats si les décisions sont prises par le gouvernement seul ? Le Parlement a été moqué. Les articles 47.1 et 49.3 sont intervenus pour écourter les débats et adopter la réforme sans aucun vote. Récemment, le groupe LIOT a émis une proposition de loi pour tenter d’abroger la réforme des retraites. Le gouvernement a encore une fois fouillé dans la Constitution pour trouver l’article qui empêcherait le sujet des retraites d’être discuté et voté à l’Assemblée. Cette fois, c’est l’article 40 qui est utilisé. Cet article permet au gouvernement de retoquer une proposition de loi si celle-ci met en danger le budget de l’Etat. En soi, cet article n’est pas choquant, il permet la protection financière. Il faut seulement le replacer dans le contexte du mandat de Macron. Celui-ci a démontré un manque de volonté manifeste de contrôler l'évasion fiscale et de taxer les méga dividendes. Au lieu de cela, l’argent est prélevé en prolongeant la durée de travail des français et en faisant des économies sur la santé et le social. Au moment où le budget de l’armée a été augmenté de manière colossale (413 milliards sur sept ans), la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites a été rejetée pour raison budgétaire.

    Les partisans macronistes qualifient cette proposition de loi de non-conforme à la Constitution. Mais ne remettent-ils jamais en question leur façon d’« utiliser » la Constitution ? Est-ce constitutionnel d’empêcher le Parlement de fonctionner pour imposer une réforme à la population ? L’essence d’un texte de loi repose sur la totalité de son contenu et l’objectif de son écriture. L’utilisation excessive de trois ou quatre articles à des fins autoritaires n’incarne à aucun moment une Constitution dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité ». L’article 3 vient nous rappeler une chose fondamentale : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » A-t-on oublié la base de notre démocratie ? Le gouvernement est au service du peuple qui délègue son pouvoir souverain à des représentants. Emmanuel Macron ne peut inverser la tendance en maniant le pouvoir exécutif contre le pouvoir législatif. Il faut le rappeler, seule une faible partie de la population l’a élu pour ses idées. Son parti n’est pas majoritaire à l’Assemblée et encore moins sur le sujet de la réforme des retraites. Le président se doit de redescendre de la tour dans laquelle il s’est niché et cesser d’exercer le pouvoir présidentiel de manière démesurée. Si des populations étrangères étaient mises au fait de l’exercice actuel du pouvoir en France, quelle image auraient-elles de notre président ? Il suffirait juste de décrire quelques faits pour les choquer. Des décisions importantes et impactantes sont prises sans l’avis réel de la population. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cet exercice du pouvoir subissent la répression policière. Le texte fondateur d’un système qui devrait être le plus juste possible sert seulement à asseoir l’autorité présidentielle. Que penseraient ces personnes ? Sûrement ce que beaucoup de français ressentent.

    Emmanuel Macron a gagné, il a réussi à imposer son idée dans la loi. Mais cette victoire ne peut qu’inquiéter. Si lui peut se réjouir de passer pour un « grand réformateur », la colère contre le pouvoir et les institutions a été la véritable gagnante de ce combat.

     

    Crise du logement : la propriété, c'est le vol.

    Le gouvernement s’est récemment emparé du dossier sur le logement, longtemps resté sous la pile. Pourtant la crise est réelle et certains chiffres le prouvent. En France, 2.4 millions de personnes sont dans l’attente d’un logement social. Le taux d’intérêt du crédit immobilier est passé de 1.06% en 2021 à 3,28% en 2023. Depuis les années 1970, le loyer moyen a doublé par rapport au revenu des locataires. Il y a plus de quatre millions de mal-logés. Parmi eux, 330 000 personnes sans domicile fixe. Selon la Fondation Abbé Pierre c’est plus du double qu’il y a dix ans.

    Les principaux acteurs du logement déplorent le manque de sérieux des mesures annoncées par Elisabeth Borne ce lundi 5 juin. Véronique Bédague, PDG de la société immobilière Nexity, juge le plan du gouvernement « minimaliste » et « imprécis ». Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre, pense que les aides pour le logement sont insuffisantes. Plusieurs maires déclarent de leur côté que trop d’appartements servent à la location touristique. Les habitants qui travaillent sur place ont de plus en plus de mal à trouver un appartement. Les loyers augmentent, la demande est supérieure à l’offre et les mesures du gouvernement sont jugées inefficaces pour pallier à cette crise. Les problèmes dus au logement en entrainent d’autres en cascade. Certains couples ne peuvent plus se séparer et doivent endurer des situations difficiles à leur domicile. Ceux qui s’éloignent de leur lieu de travail pour trouver un appartement ont des factures de carburant plus élevées et perdent des heures de loisir ou de sommeil.

    Les conditions d’achat et de location sont devenues très sélectives. Les bailleurs sont de plus en plus exigeants, demandant parfois plusieurs garants. C’est une guerre acharnée pour acheter ou louer un appartement. Certains en viennent même à mentir ou à tricher pour espérer devenir locataire. On assiste donc à une sélection sociale dans l’achat et la location d’appartements. Seuls ceux qui ont les moyens et qui, selon les stéréotypes des bailleurs, ont le « bon profil », peuvent avoir accès à la compétition du marché immobilier. Que penserait l’anarchiste Joseph Proudhon de cette sélection pour l’habitat ? Selon lui, la propriété comme accaparation des richesses sans travail réel est du vol.

    Le marché de l’immobilier dans un but touristique vole des vies. Des gens pourraient travailler dans certaines villes mais ne peuvent pas à cause de la saturation du marché et de la hausse des prix. Des quartiers pourraient renaître si la plupart de ses logements n’étaient pas vides. C’est de la vie que l’on détruit en ne promouvant que le tourisme ou le plaisir du logement secondaire. La vie à la mer, à la montagne, dans les beaux quartiers ou les beaux villages n’est réservée qu’à une petite partie de la population. Un français qui perçoit de faibles revenus doit se contenter de peu d’espace, souvent dans de grandes agglomérations. Pas de vue, un logement encore trop souvent mal isolé, pas de balcon, pas de jardin. Tout le monde n’a pas le droit à la même vie. Posséder plusieurs propriétés est donc du vol. Si l’on s'en réfère à une définition proudhonienne, voire lockéenne de la propriété, elle représente le lieu où l’on vie, où l’on cultive, où l’on travaille. La propriété ne devrait pas être un titre sur un bout de papier mais un investissement personnel sur un lieu. Être propriétaire, c’est faire vivre son quartier, c’est apporter de la richesse en donnant de sa personne, c’est faire partie des murs. Pour avancer sur le dossier du logement, le gouvernement devra adopter une vision plus radicale pour que ce « vol de vie » cesse.

     

     

    Références

    Le Monde

    Démission du maire de Saint-Brevin : le préfet et le sous-préfet affirment avoir soutenu la commune

    Après Saint-Brevin, les maires unis pour dénoncer les violences « terroristes » qui les visent

    Un maire de Tarn-et-Garonne sous protection policière après avoir reçu des menaces de mort

    Meurthe-et-Moselle : le maire de Magnières molesté

    Jean-François Kerléo, professeur de droit public : « Seule la suppression de l’article 40 de la Constitution est susceptible de redonner confiance en la vie politique »

    Réforme des retraites : le texte d’abrogation de LIOT vire à la joute institutionnelle à l’Assemblée nationale

    « Il est symptomatique qu’il n’existe pas en Allemagne d’équivalent de l’article 49.3 »

    Retraites : la proposition LIOT d’abrogation de la réforme a-t-elle encore une chance d’être débattue ?

    Réforme des retraites : « Il n’est pas incohérent que l’article 40 de la Constitution vienne encadrer l’initiative des parlementaires »

    Eric Coquerel : « Ceux qui brandissent l’article 40 mettent à mal le droit de l’opposition »

    Crise du logement : élus locaux, parlementaires et collectifs citoyens font pression sur le gouvernement

    Crise du logement : ce que prévoit le gouvernement pour faciliter l’accès à la propriété et à la location

    La crise du logement nourrit un débat sur l’efficacité des financements publics

     

    Médiapart

    À l’Assemblée, la majorité torpille la proposition de loi abrogeant la réforme des retraites

    Le plan « minimaliste » du gouvernement sur le logement

    Crise du logement : « Je me sens comme un rebut de cette société »

    Macron et le logement : un si long aveuglement

     

    Autres sources :

    L'Emission politique du 04/06 sur France Inter.