Ethérer la matière, ou la méthodologie alchimique

    Entamons un bref voyage aux premiers principes de l’être. On voyagera le plus loin possible, aux fins fonds de l’inconscient collectif. Jusqu’à aboutir aux imagos [1] les plus primaires : les premiers éléments. La pensée alchimique trahit quelque chose de tout à fait extraordinaire de l’inconscient collectif. Tenons la main de C. J. Jung, et descendons - aux sources les plus primaires de la Naturede-l’homme.

    L’univers ésotérique de la terre se compose des quatre éléments : Feu, Air, Eau et Terre. Pour la pensée primitive, tout comme pour la pensée alchimique, il en est ainsi : chacun des quatre éléments représente une dimension de la vie humaine. Pour l’alchimiste, tout comme l’homme primitif, le Principe de Correspondance est le fondement de l’axiomatique en question [2]. Ce qui se trouve en dehors de l’homme, la nature, est aussi dans l’homme. L’homme et la nature sont en analogie ontologique directe ; c’est la signification même de l’ésotérisme. Et c’est ici que le concept d’inconscient collectif entre en jeu. L’inconscient collectif est le lien, le fil conducteur entre la pensée primitive et les rêves alchimiques.

    Reprenons, comme épigrammes, les imagos en question. Le vocabulaire mythologique nous servira de guide. Le Feu représente les forces vitales : c’est la volonté incarnée, tout ce qu’il y a de plus pulsionnel. Le donateur du Feu, c’est Prométhée, et son juste détenteur n’est nul autre que le Dieu-Soleil lui-même. L’Energie solaire insuffle la vie sur la terre. Et Zeus, le plus grand géniteur de vie, n’est-il pas le maître incontestable de la forme la plus pure du Feu : le Tonnerre ? À son instar, le maniement du Feu a permis à l’homme de régner sur son environnement.

    Le Feu représente les forces vitales : c’est la volonté incarnée, tout ce qu’il y a de plus pulsionnel. Le donateur du Feu, c’est Prométhée, et le juste détenteur, nul d’autre que le Dieu-Soleil lui-même. L’Energie solaire insuffle la vie sur la terre. Et Zeus, le plus grand géniteur de vie, n’est-ce pas le maitre incontestable de la forme la plus pure du Feu : le Tonnerre ? À son instar, le maniement du Feu a permis à l’homme de régner sur son environnement.

    L’Air représente l’esprit, la conscience. Dans la pensée primitive, cette analogie se démontre directement par l’action de méditation. En se penchant sur sa propre respiration, on perçoit quelque chose de notre réalité pulsionnelle. On prend conscience du mouvent d’ouverture et de fermeture des poumons : ouvrir et fermer, c’est la prise de la conscience, puisqu’il y a concession de la conscience au mouvement pulsionnel. Respirer, c’est être.

    L’Eau représente les affects, le monde sentimental. L’eau coule, comme le lait et le sang. Boire, c’est la jouissance primordiale ; la satisfaction de la soif mène à la joie, à
    la plénitude. Au contraire, la privation de liquides représente le sentiment de manque et de tristesse. L’archétype de l’eau se rapporte, naturellement, au fait de sentir. La Jouissance extraordinaire du nouveau-né qui boit le lait de sa mère, quelques instants après s’être expulsé par violence, par une force mortelle et brûlante, qui le jette dans un monde froid plein d’air. Le nouveau-né n’a pas conscience, ni de ses mouvements respiratoires ni de ses muscles qui sucent et
    avalent ; mais le liquide qui coule dans ses entrailles offre un sentiment de jouissance sublime. Ressentir l’intérieur de son propre corps, n’est-ce pas le plus intime des affects ? L’expérience phénoménologique des sentiments parle effectivement en termes de couler ; un sentiment vient à nous comme un torrent intérieur. Enfin, dans une perspective anthropo-géographique, l’Eau n’est-ce pas le
    trésor le plus grand qu’un territoire puisse offrir ?


    La Terre, représente, naturellement, la matière. L’étymologie du mot est explicite, et l’homophonie touchante : ma-terre. Consommer et produire : la toute première monnaie de l’humanité n’était-elle pas les produits de la Terre ? Travailler c’est dur ; et il faut travailler pour manger. La Terre a toujours été l’archétype par excellence du corps maternel : dans le corps de la mère, il y avait tout pour survivre. La Terre exprime le monde des besoins physiques. La Terre, Gaia, c'est l’imago la plus vaste du corps maternel dans l’inconscient collectif. Et l’expulsion du Paradis, n’est-ce pas une des versions de la représentation du traumatisme de la naissance ? L’Age d’Or n’a existé que dans un rêve ; l’univers matériel demande de l’effort, parce qu’il relève des besoins. Jusqu’ici, nous nous trouvons en plein milieu de la théorie des quatre [3]. Quatre éléments ésotériques, quatre propriétés fondamentales de l’existence humaine.

     

    On arrive enfin au cinquième et au plus noble des éléments :  l’éther. Synonyme de la substance divine, l’éther représente le domaine des Dieux. L’univers clos de la terre est incomplet ; le Moi n’est jamais entier, comme il aurait dû l’être, dans l’Age d’Or. Les Dieux représentent le Soi-Entier : l’archétype de la complétude. Ici, c’est encore Jung et Ferenczi qui poussent l’analyse le plus loin. L’idée de la complétude de la nature d’homme, ou de l’union des éléments contraires (les quatre éléments plus l’éther), ou de l’hermaphrodisme, sont, pour les deux psychanalystes, des fantasmes ancestraux qui se rapportent au rapport du Moi avec l’inconscient. Plus précisément, le Moi n’est jamais complet, parce que les parties inconscientes demeurent toujours dans l’ombre, hors de sa portée. L’homme, n’est pas en unité avec les dieux, et c’est la raison pour laquelle il veut devenir un avec les dieux. C’est précisément sur ce point que le génie psychanalytique entre en jeu. Ce fantasme de devenir un avec le grand Autre (les dieux), s’explique par l’impact inconscient de la vie intra-utérine [4]. Dans un autre temps, nous avons tous été un avec un univers plus grand que l’univers de notre petit corps, bien délimité. Nous avons tous eu accès à l’union avec le divin ; nous avons tous demeuré dans un utérus. Et notre vœu le plus cher, y retourner ; revenir dans un état sans besoins, sans temps. Un retour à l’Age d’Or.

    L’éther représente le souhait de devenir quelque chose d’autre, de plus complet, de plus entier ; d’être en unisson avec l’univers. L’éther trahit un souhait de dépassement des quatre éléments de notre nature mortelle ; il trahit le souhait de devenir-dieu. Ce fantasme, le plus originaire, est le cadeau inconscient que la vie intra-utérine nous a offert : le retour à la caisse départ. Cet autre univers, l’éther, représente la magie pure. Il exprime une existence au-delà de la mienne. Il représente l’idée d’un être immortel et éternel, d’un être éthéré ; le contraire d’un Moi faible et abattu par la réalité terrestre. L’éther représente l’idée d’un Soi-Entier qui n’a ni début, ni fin, qui ne connaît pas les limitations physiques qui existent entre le Moi et l’Autre.

    L’éther, c’est le rêve d’un Soi-Entier. Il exprime le Grand Rêve alchimiste de la transmutation des éléments, en quelque chose de surnaturel. L’élixir de la vie éternelle, ou la pierre philosophale, qui changerait tous les métaux en or, sont les deux objets fantasmatiques dont rêvaient les alchimistes. Deux objets imprégnés d’éther ; deux objets qui auraient des propriétés divines : changer la matière même. Deux objets, qui permettraient à l’alchimiste d’acquérir les pouvoirs des dieux.

    Éthérer la matière. Insuffler du Génie dans la matière. La méthodologie pratique de l’alchimie consiste en la symbolisation de ce fait-même. En imprégnant la matière avec sa pensée et sa volonté, en « éthérisant » la matière, l’alchimiste pratique l’Opus Magnum. Pratiquer l’alchimie, c’est avant tout un désir ancestral en pleine évolution. C’est bien un acte de volonté de dépassement de soi qui s’exprime. En pratiquant l’alchimie, l’homme se soulève vers le collectif ; il abandonne son Moi, pour acquérir quelque chose de plus riche. Quelque chose d’autre, autre de lui. Il désire être de la matière dont les dieux sont faits. Par sa pratique de l’Opus Magnum, l’alchimiste se transmute tout autant. Avant tout, il transmute son soi. Dans la pratique de l’alchimie, c’est l’homme avec la matière et sa psychologie [4]. L’alchimiste projette les dimensions de sa propre psychologie sur la matière. En cela, il vise sa complétude intérieure. Il acquiert le statut d’un homme qui rêve des pouvoirs des dieux, qui aspire à atteindre leur niveau ontologique. Un alchimiste, est un être-en-devenir.

     

    Un fantasme de transmutation ?


    Le désir alchimiste représente un fantasme fondamental et ancestral de l’humanité. C’est l’expression d’un désir qui vise à la transmutation ontologique de l’homme. D’un point de vue psychanalytique, ce fantasme a ses racines dans l’impact, inconscient, de la vie intra-utérine. Après tout, la plus grande mutation dont un être humain ait l’expérience, n’est-ce pas sa propre naissance ? Vouloir sortir, échapper à son Moi, diluer les limites entre son Moi et l’Autre. Vouloir acquérir quelque chose de plus que sa propre conscience-consistance bien restreinte, individuellement. Vouloir retourner à un statut d’existence onirique ; à une plaine d’existence plus collective. Rien de plus primaire comme fantasme, il faut bien l’avouer. Et rien de plus alchimique aussi. Le rêve de l’alchimiste trahit un fantasme de transmutation perpétuelle. Et, en tant que fantasme, rêve, ou désir, il n’y a pas vraiment d’accomplissement. Le parcours alchimique exprime avant tout un parcours d’historicité individuelle. Un Moi, un élément, ne peut jamais devenir un Soi-entier, de l’éther. Mais ceci n’empêche pas l’alchimiste de projeter son désir dans le monde matériel ; les propriétés de son propre être s’identifiant aux quatre éléments. Le rêve de l’alchimiste apprenti ne s’achève jamais. Pratiquer l’Opus Magnum, c’est à perpétuité.

     

    Références 

    [1] Images archétypales, inconscientes. Laplanche et Pontalis, Le vocabulaire de la psychanalyse, éd. PUF, 2007.

    [2] Hermès Trismégiste, La table d’émeraude. 

    [3] C.G. Jung, Les sept serments aux morts, Le problème du quatrième, éd. L’Herne, 1996.

    [4] Sandor Ferenczi, Thalassa, éd. Payot, 1968.