Revue de presse philosophique semaine du 19/06/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 19 au 25 juin 2023

    Cette semaine nous analyserons la situation politique française à travers deux dossiers : la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre et la perte de l’agrément de l’association Anticor. Ces deux évènements illustrent d’une certaine manière la façon dont l’exécutif gère son pouvoir. Deux discours s’affrontent en ce moment, un discours de soutien et un discours d’opposition aux projets du gouvernement. Nous exposerons tout d’abord la gravité des conséquences de ces évènements avant d’analyser l’opposition de ces deux discours.

     

    Deux décisions aux conséquences graves

    Ce mercredi 21 juin, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a confirmé la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre. Ce collectif d’écologie politique, fondé en 2021, s’oppose à l’accaparement des terres par des sociétés polluantes et non-respectueuses de la biodiversité. Il préconise l’action directe pour pallier le manque d’effectivité et de volonté de l’Etat sur les enjeux climatiques. Cette procédure de dissolution avait déjà été annoncée par le ministre de l’Intérieur le 29 mars dernier à la suite des affrontements violents entre certains militants écologistes et les forces de l’ordre sur le site des mégabassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). La dissolution d’un mouvement ne concernait auparavant que les milices privées ou les menaces terroristes. La loi « séparatisme » d’août 2021 agrandit la liste de ceux qui peuvent tomber sous le coup de la dissolution car elle concerne tout mouvement incitant à la provocation et aux agissements violents à l’encontre des personnes et des biens. Ainsi, si le Conseil d’Etat ne censure pas cette dissolution, toute participation liée à ce mouvement, jugé violent par le gouvernement, sera sanctionnée d’une peine maximale de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende. Les militants écologistes sont désormais dans le viseur de l’Etat et figurent parmi les nouveaux « terroristes ». Le mouvement va déposer un recours pour attaquer cette décision en justice et souhaite sensibiliser tous les acteurs politiques et médiatiques sur cette décision qu’ils jugent liberticide.

    Un deuxième évènement est venu bousculer l’actualité de cette semaine. Il s’agit du retrait de l’agrément donné à l’association Anticor. Cette association a pour ambition, selon ses organisateurs, « de réhabiliter le rapport de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants, politiques et administratifs ». Anticor lutte contre la corruption en s’impliquant dans des affaires judiciaires et lance des alertes sur les dérives éthiques de candidats ou d’élus. En surveillant des acteurs de la vie politique éloignés des citoyens et qui sont difficilement atteignables juridiquement, Anticor améliore la démocratie représentative, veille à ce que les élus remplissent leurs fonctions et qu’aucune fraude ou tentative de corruption n’affecte notre vie politique. Anticor a récemment perdu son agrément, c’est-à-dire sa capacité à représenter la société dans des procès de corruption, d’emplois fictifs, etc.... De plus, cette annulation a des effets rétroactifs et concernera plusieurs affaires en cours comme les dossiers Alstom et Sylvie Goulard (ancienne eurodéputée impliquée dans une affaire d’emplois fictifs). L’annulation de l’agrément d’Anticor a été annoncée par le tribunal administratif de Paris ce vendredi 23 juin et invalide le renouvellement de trois ans de l’agrément octroyé par l’ancien premier ministre Jean Castex. Le chef de l’Etat, s’il n’est pas à l'origine de cette décision, ne soutiendra probablement pas l’association. En effet, comme le rappelle Médiapart, Emmanuel Macron avait chargé l’association lors d’une interview dans l’émission « Complément d’enquête », lui reprochant de faire trainer les procédures et de rendre pénible la vie des accusés. Cette intervention arrivait au moment de l’accusation de son bras droit Alexis Kohler pour prise illégale d’intérêts. Anticor est une association indépendante qui ne craint pas les figures du pouvoir. Rappelons qu’elle est impliquée dans plusieurs dossiers incriminant des proches du président de la République : prise illégale d’intérêt de son bras droit Alexis Kohler ou encore du garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, soupçons de corruption dans l’affaire des contrats russes impliquant Alexandre Benalla, chargé de mission sous Macron. L’association a déposé une nouvelle demande d’agrément et souhaite susciter l’intérêt des politiques sur cette affaire.

     

    Deux discours qui s'affrontent

    Malgré la gravité de ces deux évènements, le constat divise et le débat reste le plus souvent stérile, confrontant des discours irréconciliables. Même si le corps politique ne s’est pas trop exprimé sur le cas d’Anticor, les positionnements autour de la dissolution des Soulèvements de la Terre permettent d’éclairer les différents argumentaires déployés pour soutenir ou condamner certains contre-pouvoirs. Même s’il faut rester nuancé sur les types d’argumentations de ces sujets, deux tendances peuvent être observées lors de récents débats.

    D’un côté se trouvent les défenseurs des mesures prises par le gouvernement. Souvent bercés par les idées patriotiques et républicaines, c’est un côté qui se définit comme garant des valeurs de la république et de la démocratie. Ses partisans criminalisent ou ridiculisent le plus souvent toute action radicale se déroulant en dehors du cadre légal des institutions. Emmanuel Macron parle de « décivilisation » pour traiter d’une société qui ne respecte plus les valeurs de la République. Il s'en était déjà prit à ses opposants qui favorisent la décroissance en les qualifiant « d’amish ». Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, aime employer le mot « écoterrorisme » pour définir les actes des militants écologistes sur le site de Sainte-Soline. Sur des chaînes comme CNews, les militants qui jettent de la peinture lavable sur les vitres couvrant certaines œuvres sont vite qualifiés de vandales car ils détruiraient le patrimoine et la culture française. Ce premier bord est donc celui qui se range du côté des « gentils », de ceux qui raisonnent, de ceux qui défendent les forces de l’ordre en condamnant toute forme de violence. Ces partisans sont composés de personnalités politiques faisant partie du gouvernement ou de leurs soutiens idéologiques. Nous retrouvons de façon générale des figures de droite, craintives d’une transformation de nos modèles de sociétés. Raphaël Enthoven fait partie de ces « philosophes » qui s’étouffent à la vue d’actions militantes comme celles des Soulèvements de la Terre. Pour le citer : « L’infamie des méthodes n’est pas soluble dans la pureté des intentions ». Cette phrase clarifie parfaitement l’approche de ce premier camp qui refuse toute radicalité, qu'importe la vertu de ses actions. Pour eux, rien ne vient légitimer l’emploi de la force ou l’action d’une minorité de personnes, quelles que soient les motivations de sa cause.

    D’un autre côté, nous retrouvons le camp de ceux qui ne peuvent plus attendre les décisions d’un gouvernement qu’ils jugent incompétent pour agir sur les enjeux climatiques. Ce camp préconise l’action directe en y participant ou en l’encourageant. La prise de risques étant plus grande, seule une minorité de personnes, convaincues de leur combat et conscientes des risques encourus, prennent les devants et agissent dans l’intérêt de leur cause. Pour ses partisans, le gouvernement n’a plus la légitimité d’action et de monopole du pouvoir sur des questions qu’il ne traiteraient qu’en surface car il serait complice ou manquerait de réelle volonté politique pour changer la donne. L’action directe résulte le plus souvent de constats et de faits scientifiques. Tout comme l’action black bloc qui condamne les dérives capitalistes en s’attaquant à ses figures, les mouvements écologistes s’attaquent à toutes structures dont la dangerosité pour l'environnement a maintes fois été prouvées. L’inaction gouvernementale est à la base de l’action militante et, plus la première est importante plus la seconde répond par la force. Parmi ces partisans figurent certains partis écologistes, des personnalités politiques de gauche, des militants écologistes, des anarchistes, des libertaires, des anticapitalistes. Tout un spectre d’acteurs ou de commentateurs qui, par conviction ou par dépit, ne soutiennent plus les méthodes classiques qui sont jugées inefficaces ou qui n’aboutissent pas. Ces derniers se considèrent eux aussi comme défenseurs des valeurs républicaines et de la démocratie. Seulement, ces valeurs ne sont pas défendues en soutenant les institutions supposées garantes de ces principes mais les principes eux-mêmes.

     

    De l'aveuglement et de la cruauté

    Quel camp est le mieux placé pour défendre les valeurs démocratiques et républicaines ? En effet, le premier camp, défenseur des institutions, semblerait le plus légitime car il privilégierait ce qui est légal et qui rentre dans le cadre des lois de la République. Ils accusent d’ailleurs le second camp militant de ne pas respecter la loi et d’imposer leur volonté à la majorité. C’est une position kantienne qui considère toute rébellion contre un pouvoir républicain comme une révolte contre l’ordre législatif lui-même. Mais que faire lorsque les valeurs républicaines et démocratiques ne sont plus respectées au sein même de l’organe qui est censé les incarner ? Que faire lorsque l’autorité politique n’est plus légitime ? Faut-il continuer de soutenir les institutions ou faut-il les rappeler à l’ordre ? Faut-il préférer servir un régime illégitime nommé « République » ou servir des intérêts républicains qui sont illégitimes parce que non respectés par nos institutions ? Au sein du premier camp, le choix est clair car le constat est différent. Eux considèrent que nos institutions se portent bien et les comparent souvent à celles de pays autoritaires pour glorifier leur état. Selon ces derniers, nous vivons dans une démocratie qui n’est pas autant dégradée que ce que leurs adversaires affirment. Il y a ensuite, toujours dans ce même camp, ceux qui témoignent de la faiblesse de nos démocraties, mais qui ne souhaitent pas en passer par des méthodes illégales. Ces derniers préfèrent sombrer dans un cadre dit « républicain » plutôt que d’entamer des actions illégales, quitte à soutenir un système qui fonce droit dans le mur. Mais pourquoi défendre un système qui ne respecte pas les valeurs qui le définissent ? Une république démocratique intègre un gouvernement choisi par la majorité des citoyens. Elle discute avec ceux qui s’opposent à sa politique en débattant, en essayant de trouver un consensus. Elle est censée se remettre en question et à tout moment se soucier de l’avis de ceux qui sont concernés par les changements qu’elle opère. Rien de tout cela n’est respecté aujourd’hui en France. Emmanuel Macron n’a été élu qu’avec un cinquième des voix de tous les Français. Il n’a pas la légitimité des urnes et, alors qu’il promettait de tenir compte de ce résultat, il n’a fait qu’user de son pouvoir pour réformer le pays selon sa seule volonté. Le Parlement est régulièrement « contourné », les syndicats ne sont pas écoutés, les manifestations sont méprisées et réprimées. Une démocratie n’écrase pas ses contre-pouvoirs, surtout lorsque ceux-ci sont légaux.

    Que dire ensuite de la devise républicaine d’égalité ? Notre gouvernement actuel ne fait que la piétiner en s’acharnant sur ceux qui pâtissent du système et en protégeant ceux qui en profitent. D’un côté le gouvernement reste inefficace pour chasser la fraude fiscale, il refuse de taxer les superprofits et fait des cadeaux aux plus aisés en supprimant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, il supprime l’impôt sur la fortune sans le remplacer par un impôt plus efficace pour taxer les 1% des plus riches de France. De l’autre, il méprise ceux qui galèrent, ceux qui n’ont pas de travail, employant le terme de « fainéants » et de « gens qui ne sont rien ». Peut-on encore qualifier notre gouvernement de démocratique ou de représentatif lorsque la dignité humaine est bafouée ? Soutenir les actions actuelles du gouvernement peut signifier plusieurs choses. Soit il s’agit d’un aveuglement complet quant à la situation actuelle de nos institutions. Soit il s’agit d’un choix assumé de soutenir des institutions qui n’ont de démocratique que le nom et qui ne cessent de montrer des traits d’autoritarisme. Le premier cas relève de la bêtise, le second de la cruauté.

     

    De l'ignorance

    Une autre forme d’illégitimité du gouvernement est son inaction face aux promesses qu’il a faites. Le changement climatique semblait être l’une des priorités d’Emmanuel Macron lors de sa réélection en 2022. Pourquoi ne pas prendre des mesures radicales si l’écologie est une priorité ? Pourquoi la radicalité des méthodes employées par des collectifs comme les Soulèvements de la Terre ne sont-elles pas plus soutenues ? En dehors du fait que certains protègent leurs intérêts privés et ne souhaitent pas tendre vers la décroissance, c’est l’ignorance et le manque d’expertise qui rongent ces mouvements. Selon un sondage Ipsos, 37% des Français sont climato-sceptiques et pensent que le réchauffement climatique n’est qu’un phénomène naturel. Le gouvernement fait-il partie de ces 37% ? Car le constat catastrophique établi chaque année par le GIEC et autres associations devrait les alarmer. Pourtant, la France reste favorable aux pesticides dont certains sont la cause directe de cancers et de maladies comme le Parkinson. Les pesticides font chaque année des centaines de Phyto-victimes (victimes de ces substances). Les techniques de pêche industrielle, comme le chalutage en eau profonde (larges filets qui raclent les fonds marins), sont subventionnées. Les sociétés qui continuent à produire des tonnes de plastique dont les déchets finissent dans nos assiettes ne sont pas condamnées. Les producteurs de pesticides dirigent eux-mêmes les batteries de tests pour évaluer la dangerosité de leurs produits. Enfin, que dire de l’inaction de la justice française face aux entreprises comme Bayer-Monsanto qui connaissent parfaitement les risques de leurs herbicides (certains multipliant par cent le risque de cancer pour les agriculteurs) ? Ironie du sort puisque Bayer produit aussi les poches de chimiothérapie qu’utilisent les victimes de ces herbicides une fois malades. 

    La radicalité n’existe pas au sein de ce gouvernement et pourtant seules des mesures radicales peuvent mettre fin à ces dérives écologiques et sanitaires. Des mesures économiques sont adoptées, favorisant l’utilisation de produits qui peuvent potentiellement affecter les organismes les plus fragiles ou les plus exposés. Le risque mortel est accepté pour assurer une rentabilité, pour faire tourner des entreprises à grosse production. A aucun moment cette dangerosité n’est remise en question alors que les associations alertent sans cesse sur la nocivité de ces produits pour l’Homme et son environnement. Dominique Méda, sociologue chercheuse au CNRS, tente d’expliquer l’inaction d’un gouvernement qui a pourtant toutes les données scientifiques en sa possession. Selon elle, c’est l’absence de proximité avec la formation scientifique qui fait défaut à nos politiques environnementales. Cependant, malgré des concertations régulières, Dominique Méda affirme qu’il serait naïf de penser que les avis des climatologues déboucheront sur des décisions politiques. Pour cela, il faut que les citoyens s’emparent du sujet. La solution est ailleurs qu’à l’Elysée.

     

    Pas d'inaction, pas de colère

    Si les formes de contre-pouvoir légales sont réprimées, comme dans le cas d’Anticor qui lutte contre la corruption, d’autres émergeront. Si le gouvernement n’a pas la capacité d’agir sur des enjeux aussi pressants que le climat, d’autres se chargeront de le faire. Certes, la voie républicaine aurait été préférable. Mais nos institutions ne remplissent pas leurs fonctions. Si la République n’est plus qu’un nom et n’agit pas pour préserver ses principes, alors ses défenseurs n’ont aucun droit de condamner, « au nom de la République », des actions qui sont en dehors du cadre des institutions. Se faire l’avocat de la raison n’a plus aucun sens si la raison écarte les faits pour défendre des principes dénués d'action et sans valeur.

    Des solutions légales existent mais la volonté politique regarde ailleurs. Le gouvernement aurait pu faire voter des lois environnementales qui auraient eu du sens s'il avait écouté ses opposants. Il aurait pu faire le choix d’écouter de ces lanceurs d’alertes et de vérifier leurs informations sur la dangerosité de certains produits mis en vente. Une autre utilisation du pouvoir pourrait aussi être envisagée. Les associations comme Anticor sont un moyen de transformer nos démocraties vers plus de clarté et renouer la confiance entre les citoyens et les élus. Des propositions pour transformer nos sociétés sont aussi amenées. Une autre façon de consommer est possible. Le président ne souhaite pas prôner « l’écologie punitive » mais les conséquences de ses choix sur notre vie sont de fait punitives.

    En n’agissant pas sur ces sujets, le gouvernement est complice de ces dérives environnementales et sociales. Complice de la destruction de notre écosystème puisque ses acteurs le font en toute légalité. Complice des inégalités en rendant légaux la fraude fiscale et l’accaparement des richesses par une minorité de la population.

    Si le gouvernement souhaite incarner de véritables valeurs républicaines et éviter une opposition radicale, il devra remplir son rôle. Il devra cesser d’autoriser un commerce qui détruit nos ressources naturelles à grande vitesse et qui profite seulement à certains. Il devra revenir à la définition de la démocratie en décentralisant son pouvoir et en écoutant les revendications de la population. Il devra écouter le consensus scientifique et prendre des mesures concrètes pour montrer sa sincérité dans les actions qu’il mène sur le climat.

    En attendant que ce gouvernement devienne plus légitime et qu’il se soucie véritablement des enjeux importants, il est normal que certains agissent dans nos intérêts, quitte à être qualifiés de criminels ou de vandales.

    L’imaginaire du méchant militant et du gentil gouvernement républicain doit être déconstruit. La violence de l’action militante est dérisoire par rapport à celle provoquée par les décisions politiques actuelles. Violence de la censure, violence des inégalités qui se creusent, violence d’une destruction accélérée de la planète, violence du mépris vis-à-vis de ceux qui n’ont pas d’emploi, violence d’un pouvoir qui écrase petit à petit chacun de ses opposants. Comment peut-on encore condamner la violence des quelques vitres brisées, de bâches trouées ou de voitures brulées lorsque l’on est auteur ou complice d’un tel massacre social et environnemental ? Ce sont ces violences qui devraient choquer par leur démesure. Selon le géographe Bernard Barbieux, nous pouvons rester optimistes car ces faits seront intégrés par les générations futures, et les rôles des « gardiens » et des « criminels » seront justement distribués. « Ce seront eux qui, dans vingt ans, sauront désigner les vrais criminels, les vraies victimes et les vrais héros ».

     

    Références