Revue de presse philosophique semaine du 25/09/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 25 septembre au 1er octobre 2023

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    Hésitations sur la fin de vie.

    Le président était attendu fin septembre pour trancher sur le projet de loi sur la fin de vie. En avril dernier, il avait lui-même promis de formuler un projet de loi d'ici la fin de l’été 2023, juste après avoir reçu le rapport des membres de la Convention Citoyenne sur la fin de vie. Au sein de la convention, 97 % ont jugé nécessaire de faire évoluer le cadre d’accompagnement de la fin de vie et 82 % pensent que le cadre actuel n’est pas adapté aux différentes situations rencontrées. Toujours parmi ces membres, 76 % se prononcent pour une légalisation d’une aide active à mourir, 40 % veulent que les Français puissent avoir accès « indifféremment » à l’euthanasie ou au suicide assisté et 28 % pensent que le suicide assisté doit prévaloir, « notamment afin d’éviter une implication trop grande des soignants ». Fin septembre, le président n’a toujours pas tranché et s'est montré très timide sur le sujet lors de la venue du pape François à Marseille. Alors que le pape est à des années lumières d’apporter son soutien à un tel projet, affirmant « [qu’]on ne joue pas avec la vie, ni au début ni à la fin », la population française est, elle, à 70% favorable à l’instauration d’une aide active à mourir. Si Emmanuel Macron continue d’hésiter, c’est aussi parce qu’il prend en compte la position de certains soignants opposés à l'idée de donner la mort à des patients. Selon la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), il est préférable d’envisager des pistes comme celle du modèle américain Oregon, qui permet à toute personne dont le pronostic vital n’est pas supérieur à six mois de demander la délivrance d’une ordonnance médicale permettant de se procurer une substance létale à s’administrer soi-même. Le président serait favorable à cette alternative. Cependant, s'il décidait de mettre en place un modèle similaire à Oregon, il ne respecterait pas le travail de la Convention Citoyenne qui est pourtant un bel exemple d’outil démocratique. Pour se sortir de cette affaire, le président pourrait aussi décider de ne pas inclure la dépénalisation de l'euthanasie dans le projet de loi et laisser aux acteurs de l’Assemblée le choix de l’intégrer ou non. Pourtant, sa ministre déléguée à l’organisation territoriale et aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, avait fait son travail en lui remettant une première version du projet de loi dans laquelle est incluse l’ouverture d’un « droit » à l’accès au suicide assisté. Dans ce projet, influencé par l’avis du Comité consultatif national d’éthique, les patients majeurs atteints d’une maladie incurable, avec un pronostic vital engagé à moyen terme (six mois ou un an), pourraient accéder au « suicide assisté ». Mais le problème reste le même : que faire des patients qui, par incapacité physique, ne peuvent se donner la mort ? Qui leur injectera la dose létale ? L’État arrivera-t-il à endosser cette responsabilité en modifiant la loi sur la fin de vie ? Les hésitations du président témoignent de la difficulté pour la société de se rendre responsable de la mort d’autrui. Ce débat n’est pas nouveau et a évolué au fil des années, en parallèle des progrès de la médecine.

     

    Évolution du rapport à la mort en France.

    Dans l’hebdomadaire Le 1 de la semaine dernière, intitulé « Comment vivre avec la mort », l’historienne Anne Carol retrace l’évolution de notre rapport avec la mort lors de ces derniers siècles. De nos jours, nos connaissances scientifiques et médicales nous amènent à être plus exigeant, à vouloir vivre plus longtemps et en meilleure santé mais aussi à contrôler la façon dont nous allons mourir. Nous savons désormais stopper des épidémies, soigner certains cancers ou maladies qui étaient incurables auparavant. Nous souhaitons une mort rapide, indolore, car nous nous reposons sur les compétences médicales modernes. Notre rapport à la mort est incomparable à celui que l’on pouvait avoir au XVIIIe siècle, où la mort faisait partie du quotidien. À cette époque, le taux de mortalité était de 40 pour 1000, les populations subissaient famines, guerres et épidémies. De même, les gens n'étaient par ailleurs pas accompagnés de la même manière à la fin de leur vie. De nos jours, en France, une personne sur quatre meurt chez elle et seulement un tiers en présence d’un proche. La mort est devenue quelque chose de solitaire, 11% des Français partent absolument seuls. Jusqu’au XIXe siècle, la religion aidait la population à accepter la souffrance et la mort prochaine. Le prêtre se rendait régulièrement au chevet du mourant, et ce, jusqu’à sa mort. Le médecin posait un diagnostic, il laissait le prêtre s'occuper du reste. Comme le dit Anne Carol, le médecin, très démuni, n’avait rien à proposer au malade qui préférait être accompagné dans sa douleur par une figure religieuse afin de préparer son passage vers « l’au-delà ». Ce n’est qu’à l’arrivée de la morphine, au milieu du XIXe siècle, que le médecin a la capacité d’atténuer les souffrances du patient. La place du médecin devient de plus en plus importante dès lors que la médecine permet à la fois de prolonger la vie, et donc « d’éloigner » la mort, et d’abréger les souffrances. Il existe cependant un paradoxe entre, d’un côté, une évolution scientifique et médicale qui nous permet de nous rapprocher du phénomène de la mort et, de l’autre, notre distanciation face à la réalité de la mort. Bien que la question de la mort soit fréquemment abordée dans les films, séries ou récits littéraires, nous ne la côtoyons presque jamais. Peu de gens terminent leur vie chez eux, ils sont le plus souvent hospitalisés. Le corps des morts est maquillé, restauré, pour qu’il arbore encore des traits de vie avant d’être enfoui sous terre. Comme le souligne Anne Carol, plutôt que d’accepter la mort, nous souhaitons la défier, la repousser le plus longtemps possible. Les morts ne sont pas enterrés dans des fosses communes, mais placés dans des cercueils, ce qui ralentit le processus de décomposition. Si nous poussons un peu plus loin notre réflexion, nous pouvons affirmer que cette pratique reste fidèle aux anciennes valeurs chrétiennes. La religion chrétienne défend la vie à tout prix et se dresse contre toutes pratiques visant à l'écourter, quitte à maintenir un corps en vie par des actes médicaux de fait très éloignés de tout artifice divin ou évolution naturelle.

    Malgré la persistance des idées religieuses, l’évolution de la médecine a influencé notre rapport à la mort et a transformé nos mœurs sur ce sujet. Les comités d’éthique prennent aussi en compte ce qui serait « moral » et ce qui ne le serait pas avant de se prononcer sur des sujets aussi délicats. Seulement, de nos jours, une majorité de la population française estime qu’elle a droit à une mort digne et juge que les lois concernant les soins palliatifs ne sont ni respectées, ni suffisantes pour répondre à son attente.

     

    Le droit à la dignité

    Si le débat sur la fin de vie revient sans arrêt, c’est parce que les mœurs, se transformant, forcent constamment l’autorité politique à modifier ses lois. La loi Claeys-Leonetti de 2016 est venue renforcer le droit d’accès aux soins palliatifs mis en place dans la loi du 9 juin 1999. Elle permet à tout citoyen d’exprimer sa volonté de mettre un terme à une obstination médicale déraisonnable et de bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Dans l'éventualité d'une incapacité future à exprimer sa volonté toute personne a la possibilité de transmettre des directives anticipées à une personne de confiance. Le problème est que cette volonté n’est pas toujours respectée. Comme le reconnaît Sarah Dauchy, présidente du Centre national pour des soins palliatifs et de la fin de vie, « il n’y a pas de traçabilité, dans le système d’information des hôpitaux, d’une décision d’arrêt des traitements, de la sédation profonde et continue, de l’application des directives anticipées. Il n’existe donc pas de données ». Non seulement la sédation profonde est très rare (seul 1% des décès) mais en plus de cela, la souffrance qu’elle provoque est questionnable. L’agonie du patient, qui ne reçoit plus de traitement et qu’on laisse dépérir, est éprouvante et parfois très longue (en moyenne trente-trois heures). Peut-on affirmer que ce type d’aide à la fin de vie respecte la dignité de l’être humain ? Cela semble difficile alors que nos voisins belges et suisses ont adopté une loi sur l'euthanasie.

    Comme le rappelle la philosophe Cynthia Fleury, « aucun fait ne peut démentir la dignité de la personne », tout simplement parce que nous considérons que chaque personne morale a le droit de réclamer cette dignité. Il est désormais normal de prétendre à la dignité dans tous les aspects de notre quotidien : avoir des conditions de travail dignes, des relations dignes, un logement digne. Le rôle du pouvoir en place est de faire respecter ce droit à la dignité qui est le principe même d’égalité. Il peut exister certaines formes d'inégalités, comme dans le cas de la différence de salaire entre un patron et un employé. Autant ce genre de répartition inégale de la richesse peut, jusqu’à un certain point, être tolérée, autant il ne peut exister d’inégalité dans la dignité. S'opposer à ce projet de loi c'est s'opposer au droit à l'autodétermination, c'est décider pour l'autre. L’autodétermination des individus se doit donc d’être préservée car elle fait partie du respect de la dignité. Mais pour cela, il faudra que le gouvernent accepte de se "salir les mains" et de traiter des questions de fin de vie au lieu d’y échapper par divers stratagèmes. Gouverner, c’est aussi accepter les nuances lorsque celles-ci sont raisonnables. La dépénalisation de l’euthanasie pour certains n’entrainera pas une obligation de l’euthanasie pour tous. Les opposants à ce projet n’ont aucun droit d’empêcher l’autodétermination des autres individus, surtout lorsque ce choix n’affecte aucunement leur propre vie. Cela n'est pas sans nous rappeler les oppositions virulentes au mariage entre homosexuels qui n’avaient aucun sens, le mariage d’un couple homosexuel ne nuit en aucune façon à la vie d’autrui.

    Le président de la République est donc attendu au tournant et devra répondre à l’attente d’une majorité de la population. Accompagner une personne vers une mort souhaitée, ce n’est pas bafouer le rôle médical. Le soin semble d'ailleurs davantage devoir accompagner la personne vers une mort décente plutôt que de lui imposer un acharnement thérapeutique. Le serment d’Hippocrate n’est pas une entité immuable et a déjà, pour de bonnes raisons, subit de nombreuses modifications. Le rôle du médecin évolue en fonction des avancées de la connaissance scientifique. L’euthanasie n’est pas un acte meurtrier, celui ou celle qui est en charge de l’euthanasie, bien qu’il aide à « donner la mort », améliore aussi la fin de vie en respectant les souhaits du patient, ce qui reste dans l’optique du soin à la personne.

     

    Références