Discorsi Novus

Le moment des premiers signes d’un monde moderne, rationnel et techno-scientifique serait discerné dans la célèbre formule "méthodologique" de Galileo Galilei dans Discorsi (1638).

    Le moment des premiers signes d’un monde moderne, rationnel et techno-scientifique serait discerné dans la célèbre formule "méthodologique" de Galileo Galilei dans Discorsi (1638) : "Le livre de la Nature est écrit dans le langage des mathématiques, il faut apprendre ce langage." En fait, Galilei n’avait pas encore fait suffisamment de progrès depuis un monde dans lequel les humains, avec leur langage, leurs passions, leur destin et leurs superstitions, faisaient partie de ce monde, dans lequel ils pouvaient choisir d’être au centre du monde et dans lequel même l’apocalypse ne pouvait être considérée comme une "fin". 

    Galilei a dû passer par les institutions religieuses de censure pour ses œuvres, et la formule est le point de "conflit" entre un monde qui passait et un monde qui devenait. Le sens du mot "conflit" change également : les conflits n’auront plus lieu aux "points de contact" des limites, sur les lignes de "traduction" séparant les civilisations ou les cultures les unes des autres, ou dans les accidents subis lors des longues migrations d’idées et de visions. Le conflit deviendrait plutôt un facteur intrinsèquement constitutif d’une civilisation dite "moderne" et acceptée avec le temps comme la seule civilisation appartenant au "seul monde possible". 

    Une observation profonde de Sigmund Freud concernait le besoin des gens de certitude, d’un ordre complètement sûr, stable, factuel et inébranlable, plutôt que de "vérité". En effet, Au-delà du Principe de Plaisir (1920) de Freud soulignait la question de l'indestructibilité de l'inconscient pour marquer son caractère essentiel de réitération et de reproduction qui provoque le trouble de la culture. Il ne suivait pas une voie spiritualiste mais remettait en question la structure de la détermination discursive de l'individu dans les réalités des cultures. 

    L’hypothèse selon laquelle les sciences sont fondées sur la recherche de la vérité est la pensée la plus néfaste de la vie quotidienne. Si le positivisme, c’est-à-dire l’idéologie qui vise à fonder les sciences de l’intérieur, à les légitimer et à les vérifier, vise à effacer et à fonder la "vérité" et toutes sortes de "sacrés", c’est parce qu’à un nouveau désir d’exister, un sentiment de "certitude" au sein d’un ordre cosmique qui se dérègle et peut perdre son équilibre à tout moment, correspond un système de valeurs formé par ce besoin humain le plus profond. 

    La "certitude" peut être attribuée à la "parole" de Socrate : pour être beau ou bon, il faut d'abord être "gnostique", rejoindre le connu, c'est-à-dire être jugé et approuvé par le tribunal de la ration et du Logos/λόγος – le Dieu de la psychanalyse que Jacques Lacan (1967) a reformulé avec le Symbolique de l'Autre, domaine du langage. "Non, notre science de λόγος n’est pas une illusion", avait déjà prévenu Freud dans le L'Avenir d’une Illusion (1927). Il en serait un s'il prétendait chercher ce qu'on ne trouve pas ailleurs dans la science, comme le Dieu dans la religion monothéiste, Force/Ανάγχη. 

    La lutte constante entre les croyances, les langages, les conceptions scientifiques, les visions du monde, les systèmes politiques ou juridiques sans cesse détruits et reconstruits, la dissolution du confort et la lutte constante avec soi-même étaient déjà assumées au seuil de la "philosophie moderne": Thomas Hobbes (1651) et sa "loi des vers" dans le Léviathan.​ 

    Il n’y avait pas de nouveau mode "d’être humain". Au contraire, "l’humain" venait juste de naître pour la première fois et était simultanément piégé dans la recherche positiviste en tant qu’objet de science. Comment les êtres humains pourraient-ils être sauvés de ce piège avec cette position complexe et étrange? Depuis que le salut messianique a été retiré du centre d’intérêt des religions, les humains sont devenus individualisés, objectivés, voire marchandises. Les êtres humains semblaient dispersés en particules dans le vide étrange du nouvel univers copernicien. Comme l’exprimait Walter Benjamin (1921), c’était comme si l’Angelus Novus, dans les cieux du vieux monde, était emporté par une tempête et devait s’abandonner au flux d’un processus inachevé appelé "progrès".

    Pourquoi le positivisme a-t-il tenté d’accomplir son plus grand travail sur le langage? Il a appauvri le langage en lui ajoutant une toute nouvelle dimension, en essayant de découvrir les moyens par lesquels le langage pourrait être rendu exactement adapté au monde des faits et des états de choses. Cela a été réalisé dans le cadre du langage pour la science, la philosophie et la logique. 

    L'ordre discursif des pouvoirs cachés et facilement dévoilés du monde d'aujourd'hui, la perspective de la parole du scientifique et du monde des experts, sont autant de variétés de "l'expression d'une opinion", finalement d'un "jugement" esthétique et éthique. Le toit institutionnel du positivisme, avant l'académie, ce sont les forces d'État et de police et de militaire, instruments de justice et d'exécution, en d'autres termes, les fameuses forces de "violence légitime" de Max Weber. Avant l’académie et la production d’œuvres philosophiques, il faut s’inscrire dans les ordres discursifs et la vie psychique des pouvoirs.

     

     

    Références

    Benjamin, W. "Theses on the Philosophy of History", 1921.

    Galilei, G. Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze, 1638.

    Hobbes, T. Leviathan, 1651.

    Freud, S. Beyond the Pleasure Principle, 1920.
    Freud, S. Futurity of Illusion, 1927.

    Lacan, J. "La psychanalyse dans ses rapports avec la réalité,” 1967.