Par Nick Dauw

Est-ce que la philosophie rend heureux?

Est-ce que la philosophie rend heureux? Une telle question présente de nombreuses difficultés. Si au cours de son histoire la philosophie s’est montrée comme un art de la raison et de la pensée, elle a tour à tour été l’objet de nombreuses querelles entre les philosophes.

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    « Nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible ».
    Roland Barthes.

     « Ma philosophie ne m’a rien rapporté, mais elle m’a beaucoup épargné ».
    Arthur Schopenhauer.

    Est-ce que la philosophie rend heureux? Une telle question présente de nombreuses difficultés. Si au cours de son histoire la philosophie s’est montrée comme un art de la raison et de la pensée, elle a tour à tour été l’objet de nombreuses querelles entre les philosophes. D’autre part, on connaît la sentence attribuée à la parole de Socrate qui a su inaugurer la philosophie en tant que discipline, mobilisant un savoir, parmi les autres disciplines : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Pourtant, si la philosophie s’est vue naître en ces termes subversifs, comment peut-elle défendre la promesse d’une vie heureuse si elle prétend n’offrir que cette maigre certitude?

    En réalité, cette question a traversé les âges d’une discipline qui reste à définir. Étrangement, et quand bien même la philosophie était dans ses fondements antiques une pratique sociale, un art de vivre conduisant à un certain épanouissement (éthiques des épicuriens, des stoïciens, …) on ne peut répondre de façon aussi tranchée sur la question du bonheur. En effet, une fois cette interrogation posée et pensée, elle dévoile ce que la philosophie n’avait su exprimer jusqu’alors : le mystère de ce qu’elle est. Car comment savoir si une discipline non définie au préalable peut être garante d’une vie heureuse? Par conséquent, la question « Est-ce que la philosophie rend heureux? » renvoie d’emblée à la question : « Qu’est-ce que la philosophie? ». Pour clarifier cette définition, l’étymologie grecque nous renseigne. Le philos, l’ami, est celui qui est amoureux de la sophia, la sagesse. La philosophie est donc amour de la sagesse. Mais sagesse de quoi? Du savoir justement. Peut-être même d’une saveur. Mais d’une saveur rebelle et qui ne cesse d’étonner.

    Mais ce n’est pas tout. Interdisciplinaire, la philosophie a non seulement façonné les portes d’autres matières (scientifiques, esthétiques, éthiques, logiques), mais elle s’en est également nourrie pour affiner son jugement. En ce sens, la philosophie n’est pas un fatalisme comme a pu laisser (més)entendre la sage parole de Socrate. Au contraire, lorsqu’il prononce cet aveu, il annonce que, derrière la rigidité et la rudesse d’une philosophie, se cache une étincelle rebelle qui n’attend que pour danser. C’est bien par cet aveu que Platon, Aristote, et bien d’autres, oseront déplier, étaler, déployer et redéployer ce geste inaugural. Dans une certaine mesure, on peut dire que la philosophie ne se vit pleinement qu’à la confrontation d’une pensée à la lumière d’une autre pensée et peut, selon l’aspiration et l’orientation de chacun, donner un sentiment de bonheur.

    Enfin, cette saveur se rebelle encore autrement. Elle rafraîchit et stimule, autrement dit, elle rend heureux puisqu’elle permet d’épaissir le cuir de la raison – du moins possiblement. Possiblement car si la philosophie dévoile beaucoup, elle a également son revers : elle risque d’en décevoir plus d’un. A l’inverse, il ne faut pas oublier que, dans le combat qu’elle mène face à l’opulence et aux petites opinions, si elle ne rapporte peut-être pas beaucoup du point de vue d’une utilité, d’une rentabilité ou d’une production artificielle, elle en épargnera plus d’un.