Tout a commencé à l’école primaire, sur les chemins du retour à la maison – des moments privilégiés où moi, cadette de trois filles ai pu embêter ma grande sœur en route pour la goûter. Au sujet de mon dessin, par exemple, je me souviens avoir voulu demander comment est-ce que je pouvais savoir que le rouge qu’elle voyait était le même que le rouge que je voyais moi. Ces discussions, malheureusement, ne l’intéressaient pas. C'est pourquoi j’ai préféré prendre pour cible mes chers parents, que j’embêtais avec d’éternels pourquoi et des questions tordues dont les enfants ont le secret.
Les années ont passées et me voilà en fin de scolarité obligatoire. Me prédestinant au gymnase (lycée ou collège pour certains), j’ai suivi des cours de grec ancien lors de mes deux dernières années. C’est alors que, durant ces cours de grec, j’ai enfin pu mettre un nom sur ma passion pour les questions : la philosophie. Les présocratiques, Socrate, Platon, Aristote, tant de noms mystérieux mais tellement prometteurs.
Malgré un intérêt certain pour la philosophie, je n’ai pas osé sauter le pas tout de suite. Je suis donc entrée au gymnase d’Yverdon avec la ferme intention de m’épanouir dans l’option ‘biologie et chimie’ pour ensuite, après le gymnase, faire un apprentissage de boulangère-pâtissière-confiseuse. La diversité du vivant me fascinait, mais je ne me sentais pas à ma place. Ces cours de chimie et de biologie m’impressionnaient, et j’avais l’impression de ne pas être à la hauteur. J’ai donc changé de cap après quelques semaines pour rejoindre l’option spécifique musique, autre passion qui avait déjà rythmé mon enfance. Toutefois, des doutes incessants, le sentiment de ne pas être à ma place, bref, de gros nuages m’ont fait vaciller là aussi, et j’ai dû me retirer quelques mois du gymnase pour prendre soin de ma santé mentale, ayant touché le fond d’une dépression.
C’est l’année suivante, à mon retour au gymnase, que j’ai décidé de me laisser tenter par la philosophie. En fait, très honnêtement, c’était le côté psychologie de l’option « philo-psycho » des gymnases vaudois qui m’avait attirée ; et là, révélation : j’ai trouvé une discipline où les questions étaient les bienvenues et encouragées, où convergeaient enfin mes intérêts, le sentiment d’être à sa place, mon enthousiasme, celui de l’enseignant, et parfois même de mes camarades (mais pas de tous, soyons honnêtes). Les trois années de gymnase en option philosophie et psychologie seront un bon souvenir d’une période compliquée de ma vie. J’en profite pour saluer chaleureusement Monsieur Jeanmonod et tous mes camarades. La dernière année de gymnase, en plus des cours d’option spécifique, il y a le cours de philosophie obligatoire. C’est à ce moment que j’ai pu rencontrer un autre enseignant, et donc une autre approche, qui m’a tout autant convaincue – mes meilleurs messages à Monsieur Marquand au passage également.
Toutefois, la fin du gymnase s’approchant et mon goût pour les interrogations restant inchangé, j’ai remis en question une bonne partie de mes choix, personnels et scolaires. Au bout d’une longue réflexion, je me suis rendu compte que je souhaitais faire quelque chose qui était à la fois un challenge, ferait le bien autour de moi, et qui me permettrait d’avoir un emploi stable. Sans trop d’ironie, je me voyais déjà trentenaire, médecin sans frontières, adoptant chiens et enfants à tout va et œuvrant pour faire le bien.
Je suis donc partie en médecine. Et sans grande surprise, je n’étais pas prête pour la violence de ces études ; a posteriori, c'est une (belle) leçon d’humilité, nécessaire. Au gymnase, malgré mon anxiété omniprésente, j’avais de la facilité et je pensais que la suite de mes études allaient se résumer de la même manière. Or la pression, la compétition, la quantité d’informations, le stress incessant, l’environnement parfois franchement hostile, ainsi que la perte d’un membre de ma famille m’ont fait réaliser que la vie était trop courte pour faire des études qui n’allaient probablement pas m’amener à cette vision que j’avais de la médecin sans frontières heureuse, épanouie, ne doutant jamais de rien.
S’ajoute à cela une réalisation tout aussi importante : je peux faire du bien autrement qu’en devenant médecin – chacun, en faisant le métier qui lui plaît, qui lui convient, peut contribuer à un bien plus grand, qui le dépasse. C’est ainsi que je suis repartie à la recherche de quoi faire..
Après avoir fréquenté, çà et là, au fond des auditoires, des cours divers et variés, je me suis rendu compte que ma place était en faculté de lettres, en anglais et en philosophie. C’est ainsi qu’a commencé, en 2019, mon aventure universitaire au sein de la faculté des lettres à Lausanne, et l'aventure continue depuis septembre 2022 au Tessin pour mon master en philosophie à l'université de la Suisse italienne.