1. Introduction
Si Léon Tolstoï est connu et souvent à ces œuvres littéraires comme Guerre et Paix ou Anna Karénine ou à sa pensé sur la non-violence qui a influencé de grande figure politique telle que Ghandi. Pourtant, l’auteur fut aussi un penseur qui a travaillé sur de nombreuses questions philosophiques telles que la morale, la politique, l’art ou encore la religion. Malgré cet oubli, la pensée chrétienne de Tolstoï offre un nombre de réflexions intéressantes qui peuvent servir encore dans notre époque. Parmi ces réflexions, Tolstoï formula une anthropologie philosophique particulièrement riche, construite autour d’une relecture des évangiles au prisme de la raison et de la connaissance moderne, enlevant les éléments surnaturels, qui débouche sur un anarchisme communautaire et sur des réflexions écologiques.
2. Conception de la religion chez Tolstoï
Au fondement de l’anthropologie de Tolstoï, se trouve une critique des Églises chrétiennes ainsi que de ses dogmes et la recherche d’une foi débarrassée des mensonges et des superstitions.
Tolstoï reproche aux Églises chrétiennes deux choses. Premièrement, d’être des outils aux services des dirigeants pour maintenir le peuple docile et d’être responsable de nombreuses atrocités en justifiant les rapports de domination, par les guerres et les massacres qu’elles justifient, les conversions de force, etc. De plus, Tolstoï fait remarquer les incohérences entre les pratiques des Églises cités plus haut et leurs enseignements basés sur le pardon, la charité, la clémence, etc.
Deuxièmement, d’enseigner des dogmes contraires à la raison et aux connaissances qui sont en opposition avec la vraie doctrine de Jésus. Pour Tolstoï, cet enseignement a pour conséquence de former des hommes incapables de discerner le bien du mal et d’empêcher les hommes d’attendre le bonheur de la vraie foi.
Pourtant, malgré ces critiques, Tolstoï ne prend pas le parti d’un refus catégorique de la foi et de toute religion. A ces « libres penseurs », dont Nietzsche est, pour lui, la figure de proue, Tolstoï reproche que leurs positions philosophiques qu’ils « effacent toute différence entre le bien et le mal, et attribuent à la théorie de l’inégalité des hommes, de l’égoïsme, de la lutte, et de l’oppression des faibles par les forts, le caractère de la plus haute vérité accessible à l’humanité. ».
Tolstoï reste convaincue de la nécessité de la religion pour l’homme, mais il entend par religion autre chose qu’une croyance au surnaturel ou à un ensemble de rites et rituels. Pour lui, la religion est « le rapport de l’homme envers la vie éternelle, envers Dieu, rapport établi en accord avec la raison et la science contemporaine et qui seul pousse l’humanité en avant vers le but qui lui est assigné. » et, surtout, la religion est une chose qui évolue par le travail de la raison et par la connaissance. La notion de Dieu chez Tolstoï n’est pas un être transcendant, personnel, extérieur, mais est l’essence du monde, le principe de toutes choses, une chose en soi et parmi les autres.
3. L’anthropologie tolstoïenne
Pour Tolstoï, l’homme, étant pénétré par Dieu, a pour but d’agir en fonction du but qui lui a été assigné. Quand l’homme a la foi et agit en fonction d’elle, l’homme vit et atteint le bonheur. A l’inverse, quand l’homme n’a pas la foi, celui-ci devient malheureux car sans raison de vie. La foi, comprise comme connaissance de Dieu et de sa volonté, n’est pas un acte fini et solitaire, mais quelque chose de perpétuellement en mouvement et qui se fait avec l’humanité entière, dans un effort commun, qui se perfectionne avec le temps par la raison et la connaissance, or la raison fait partie de la nature humaine et cette raison l’oblige à avoir la foi et de réfléchir à agir en fonction de celle-ci, puisque c’est par l’agir que l’homme vit.
Pour agir, l’homme est parcouru par trois forces :
• Le sentiment qui comprit comme l’ensemble des passions ou désirs qui sont en nous.
• La raison qui est la faculté de l’homme pour décider ce qui doit être fait.
• La suggestion qui est la capacité d’agir sans conscience en fonction de croyances “inconscientes”.
De ces trois points, découleraient, entre autres, l’activité religieuse, car, selon Tolstoï, « Le sentiment suscite le besoin d’établir nos rapports avec Dieu ; la raison définit ces rapports, et la suggestion nous oblige à l’activité qui en découle ». Ce processus reste le même tant que la religion reste fidèle à son but, mais à partir du moment que celle-ci subit une déformation, de manière intentionnelle ou non, la suggestion prend peu à peu plus de place que le sentiment et la raison. Cela prend place, dans la vie d’un homme, quand sa raison est la plus vulnérable et amoindri, le rendant sensible à l’art corrompu, contraire à la religion et la raison à la différence de l’art véritable qui est en accord avec ces dernières, qui va le rendre perméables à la suggestion. Or, pour Tolstoï, l’époque dans laquelle il vivait était un de ces moments où la religion s’est déformée par les actions des Églises.
A partir de cette analyse, Tolstoï va rechercher la vraie doctrine chrétienne dans les quatre évangiles, à savoir celle de Matthieu, Marc, Luc et Jean. De ces textes, Tolstoï fera, dans Qu’est-ce que l’Évangile, une relecture rationaliste en y enlevant tous les éléments surnaturels comme la résurrection ou les miracles pour en conserver que les paroles de Jésus et analyser leurs propos.
En premier lieu, Tolstoï, dans le préambule, expose que Jésus n’est pas le fils de Dieu dans un sens exclusif, mais au sens où il est un des fils de Dieu et que tous les hommes le sont aussi. Cette position n’est pas un détail théologique pour Tolstoï, mais est fondamental, car en faisant de Jésus un homme parmi d’autres, il est accessible à tous de suivre son enseignement et son exemple. A l’inverse, si Jésus était un être humain différent des autres, alors il serait impossible aux hommes de suivre sa voie.
En deuxième lieu, la vraie doctrine demande aux hommes de ne pas vivre par la chair, mais dans une forme d’ascétisme en ne prenant que ce qui est nécessaire et de vivre de manière ascétique.
En troisième lieu, la vraie doctrine demande aux hommes de faire preuve de non-résistance face au mal, qu’il faut ne pas résister par le mal quand un autre agit de manière immorale pour rester soi-même dans la moralité et ne pas participer soi-même au mal.
En quatrième lieu, la vraie doctrine demande aux hommes de vivre de manière pacifique entre eux, sans distinction de nation ou de peuple et les hommes sont égaux entre eux.
En cinquième lieu, la vraie doctrine demande aux hommes de rejeter les institutions quand celles-ci agissent de manière contraire à la vraie doctrine.
En dernier lieu, la vraie doctrine demande aux hommes de ne pas se juger et de se pardonner.
A travers cette doctrine, Tolstoï donne un but à l’homme qui fait de son anthropologie chrétienne une anthropologie anarchiste qui débouchera sur des positions contre la propriété privée et contre l’état.
4. De l’anthropologie à la politique
La vision de Tolstoï sur la société urbaine et industrielle que la Russie développait lentement peut être résumer par ce passage :
« Comment ! s’écrieront ces hommes, vous voulez remplacer nos villes, avec leurs chemins de fer électriques, souterrains et aériens, leur éclairage électrique, musées, théâtres et monuments, par la commune rurale, forme grossière de la vie sociale depuis longtemps délaissée par l’humanité ? » Parfaitement, répondrai-je ; vos villes avec leurs quartiers de misérables, les slums de Londres, de New-York et des autres grands centres, avec leurs maisons de tolérance, leurs banques, les bombes dirigées autant contre les ennemis du dedans que ceux du dehors, les prisons et les échafauds, les millions de soldats ; oui, on peut sans regret supprimer tout cela. »
Comme nous l’avons vu précédemment, l’un des points de l’anthropologie tolstoïenne est que la vraie doctrine demande, entre autres, aux hommes de vivre de manière ascétique et que tous les hommes sont égaux. Or, la civilisation industrielle de cette époque, de par sa production exponentielle, ses inégalités entre les pauvres et les riches, militarisation et guerre impérialiste, la criminalité et le développement du consumérisme se montre en total contradiction avec l’idée de la voie à suivre.
De cela, Tolstoï développera un programme politique pour former une société qui correspond à la doctrine chrétienne qu’il a développé. Tout d’abord, il constate que les problèmes des inégalités viennent que les élites, qu’il voit comme oisifs et immoraux, s’enrichissent en exploitant les travailleurs comme des esclaves modernes. Il remarque aussi que cette organisation sociale détruit aussi la nature, comme a pu le constater avant lui d’autres penseurs, comme Charles Fourrier.
A partir de ce constat, Tolstoï souhaite refonder la société des principes d’autolimitation et la pauvreté choise avec un retour aux travaux manuels et agraires. Son modèle se trouve dans les mirs, des communautés paysannes russes autonomes et égalitaires.
Cette défense de ce mode d’organisation est peut-être l’élément le plus russe du penseur qui, depuis le début de mon travail et dans la lecture de ses écrits, n’a montré que peu de lien avec le reste de la pensée russe, préférant citer des personnalités comme Ludwig Feuerbach ou Benjamin Constant quand il s’agit de religion ou d’Henry Georges quand il s’agit d’économie.
Dans son système, la propriété privée se trouverats abolie. Ce modèle de société se rapproche du modèle proposé par les narodniks ou d’une forme précurseuse d’anarchisme communaliste et de décroissance.
Néanmoins, conscient que la situation politique ne permettrait pas une transformation douce de la part des dirigeants, Tolstoï développa, en inspirant des écrits de Thoreau, une action politique basée sur le refus de l’obéissance aux autorités. Celles-ci pouvaient prendre plusieurs formes, allant du refus de payer l’impôt et de servir l’armée au refus du travail dans l’usine. Le point important était que l’action ne devait jamais être violente car cela irait contre l’un des points de la vraie doctrine.
Si, en elle-même, les positions politiques de Léon Tolstoï ne se distinguent pas d’autre position que l’on peut retrouver chez des penseurs chrétiens comme Thomas More ou socialiste comme Alexander Herzen, c’est par la justification et la cohérence interne de celle-ci que l’écrivain russe se distingue.