Introduction
Aristote, dans l’éthique à Nicomaque, nous fait découvrir une éthique qui met au centre le souci d’une « vie bonne ». Cette éthique qui peut paraître assez étrangère à nos conceptions actuelles nous invite en réalité à repenser ce qu’est une vie accomplie à l’aune d’une éthique de la vertu. Mais cette éthique du bonheur - loin d’être la glorification d’une subjectivité égocentrique - est aussi une éthique de l’autre et fait la part belle à l’ami. L’objectif de cet essai sera donc de nous interroger sur le lien entre amitié et bonheur dans le cadre de l’éthique aristotélicienne. Plus précisément, la question à laquelle nous essayerons de répondre à l’issu de cet essai est la suivante : l’amitié est-elle nécessaire au bonheur ? La thèse que nous défendrons à travers plusieurs arguments est que l’amitié est effectivement nécessaire au bonheur.
Pour défendre notre thèse, il sera tout d’abord nécessaire d’apporter une vue d’ensemble sur les enjeux qui entourent notre question. Pour ce faire, il sera utile de clarifier les concepts majeurs qui entourent la conception aristotélicienne de l’amitié et du bonheur et qui seront donc fondamentaux pour le développement argumentatif. Il s’agira pour cela de mettre en lumière les trois concepts aristotéliciens que sont la vertu, le bonheur et l’amitié.
Par la suite, nous proposerons trois arguments principaux en faveur de notre thèse. Seront évoqués successivement les thématiques de l’amour de soi, de l’homme comme « animal politique » ainsi que les différentes facettes de l’ami comme constituant direct de notre bien et du bonheur. De plus, nous intégrerons à la fois des objections « communes » que l’on cherchera à démonter pour mieux appuyer notre thèse et à la fois des limites du raisonnement pour faire ressortir les (éventuelles) failles de la thèse.
Définition des concepts importants
Avant toute chose, il s’agira de définir le concept le plus périphérique à notre question – mais tout de même essentiel à la bonne compréhension des arguments – qui est celui de la vertu. Nous poursuivrons avec le concept du bonheur au sens aristotélicien : l’eudaimonia1, qui occupe une place centrale dans son éthique. Finalement, il s’agira d’expliciter la notion même d’amitié à laquelle Aristote se réfère : la philia2. Il sera alors nécessaire d’expliquer ses qualités propres, son objet ainsi que de distinguer les différentes formes « dérivées » d’amitié auxquelles les conceptions communes tendent à rattacher – à tort, selon Aristote - l’amitié véritable.
1 Désigne le bien suprême qui peut être associé au bonheur, à une vie accomplie
2 Désigne la forme d’amitié par excellence, caractérisée par la vertu
La vertu
Tout d’abord, qu’est-ce que la vertu et en quel sens entre-t-elle en jeu dans l’amitié et le bonheur ? La définition classique que propose Aristote dans l’EN comporte trois aspects majeurs. D’une part, sa nature : un « état décisionnel » (Éthique à Nicomaque, 1106b36). Un état donc, une « disposition habituelle de l’agir rationnel » (Peroli, 2006, p.16) mais qui demeure en même temps invariablement liée à l’agir et à la prise de décision. Pour parler en des termes aristotéliciens, la vertu est une puissance appelée à devenir acte. La vertu s’envisage donc toujours chez Aristote comme une vertu en acte et c’est sous cette perspective qu’elle sera mise en rapport avec l’amitié et le bonheur.
D’autre part, la vertu morale est une disposition qui s’acquiert par l’habitude (EN, 1103a17-1103a18) et l’expérience et c’est en ce sens qu’Aristote exprime l’idée que c’est en faisant des actes bons qu’on devient bon (EN, 1103a33-1103b2). Cela signifie que cet état vertueux que présuppose l’amitié véritable n’est pas le privilège d’une minorité qui serait celle des bons « par essence » mais que chacun peut être amené à atteindre une certaine forme de vertu.
Finalement, la vertu est conçue comme un juste milieu, une « moyenne entre deux vices » (EN, 1109a20-1109a23). Elle est donc toujours l’expression d’une excellence (EN, 1106b24-1106b26), d’un état d’équilibre parfait que l’être humain se doit de rechercher sans cesse. Ainsi, la vertu, en tant que fondatrice de nos choix et de ce qui découle de la rationalité humaine, oriente l’homme vers une fin (Peroli, 2006, p.15). Or, la fin par excellence, on va le voir, est celle du bonheur.
Le bonheur
Dans la partie première de l’EN, Aristote établit le bonheur comme fonction ultime de la vie humaine. En effet, Aristote met en évidence le fait que nos actes sont tournés vers des fins, elles-mêmes subordonnées à d’autres fins. Or, il doit bien exister une fin qui englobe toutes les autres, qui serait désirable en elle-même et qui constituerait alors le bien suprême (EN, 1094a18-1094a22), sans quoi nos désirs et nos aspirations seraient vaines. Cette fin, cette chose que l’on désire et poursuit pour elle-même et non en vertu d’autre chose, c’est le bonheur. Si cette définition du bonheur peut nous sembler intuitivement acceptable, certains points tels que sa nature et ses conditions préalables méritent que l’on s’y arrête.
Premièrement, Aristote ne définit pas l’eudaimonia comme une chose atteignable ou possédable en soi mais comme « une sorte d’activité […] [qui] s’inscrit dans le devenir » (EN, 1169b29-1169b30). Être heureux signifie donc fondamentalement « vivre et être actif » (EN, 1169b32) et c’est ce caractère d’actualité et de continuité de l’activité (vertueuse) qui caractérise le bonheur tout au long de l’oeuvre. On peut alors percevoir un lien direct entre le bonheur et la vertu. Effectivement, si le bonheur est « une certaine forme de vie » (EN, 1098a13-1098a14), qu’il est cette « activité rationnelle de l’âme » (EN, 1098a7-1098a8) et qu’il se caractérise par sa souveraineté, n’est-il pas la réalisation ou l’actualisation de la vertu au sens le plus fort, en tant qu’état guidé par la raison correcte qui tend à l’accomplissement de ce qui est le mieux (EN, 110b27-1104 b29) ? C’est du moins ce que semble indiquer Aristote lorsqu’il affirme que le bonheur est l’activité de l’âme exprimant la vertu finale (EN, 1098a16-1098a17). Le bonheur se situe donc fondamentalement dans l’activité vertueuse que l’on exécute.
L’amitié
Après avoir traité ces deux premiers concepts, il est temps de nous questionner sur le coeur de notre problématique qui n’est autre que celle de l’amitié. Pour comprendre réellement ce qu’est l’amitié dans sa forme achevée, il est d’abord nécessaire de comprendre ce qu’elle n’est pas en la distinguant des formes d’amitiés dites accidentelles. Celles-ci regroupent l’amitié par agrément et l’amitié par intérêt. Dans le premier cas de figure, ce qui motive la relation est la simple joie que me procure l’autre. L’ami est dans ce cas-ci toujours perçu en tant que celui qui m’apporte du plaisir (EN, 1156a16-1156a19). Pour ce qui est du cas de l’amitié par intérêt,
l’idée est similaire puisqu’encore une fois, l’amitié se trouve réduite à un rôle instrumental ; l’ami m’est utile, me permet d’atteindre certains biens et sa fréquentation m’importe parce qu’elle me permet d’accéder – directement ou indirectement – à certains privilèges. La constante des reproches que formule Aristote à l’égard de ces formes « faussées » de l’amitié tient dans l’idée qu’elles passent totalement à côté de ce qui constitue l’essentiel de la relation amicale, à savoir le souci mutuel du bien de l’autre, « une forme de partage de valeurs et d’une conception du bien », « une bienveillance active » à l’égard d’autrui (Peroli, 2006, p.14, p.18) et surtout, à plus forte raison encore, un amour de l’autre « pour lui-même » (Peroli, 2006, p.19), pour l’entièreté de sa personne et non pas pour son rôle fonctionnel. Cela ne veut pas dire que l’agrément ou l’utilité que peuvent m’apporter l’ami sont reniés puisque toute amitié est motivée par ce qui est bon ou agréable (EN, 1156b20). Seulement, ils demeurent secondaires par rapport au rapport amical profond (Peroli, 2006, p.13).
Par ailleurs, les amitiés par accident, au contraire de la véritable philia, ont un caractère éminemment instable puisque l’objet de ces amitiés est lui-même volatile ; il suffit en réalité que la personne ne fournisse plus ce pour quoi l’on était rattaché à elle pour que toute la relation se délite (EN, 1156a19-1156a21). Cela n’est en revanche pas le cas dans l’amitié véritable puisque c’est là la personne même, ce qui fait son caractère et son identité que l’on chérit. Or, ces choses-là sont plus durables. Si l’on ajoute à cela le fait que la philia est la forme d’amitié qui réunit des personnes vertueuses – la vertu étant elle-même de nature durable (EN, 1158b7-1158b8) (EN, 1156b10-1156b12) -, on comprend que l’amitié véritable est la plus stable et la plus à même de résister à l’épreuve du temps.
On l’a dit donc, l’amitié dans sa forme achevée est celle du vertueux. Mais pourquoi la vertu est-elle si fondamentale ? Pourquoi Aristote place-t-il la vertu au centre de la philia ? Cette question semble complexe mais pour tenter d’y répondre simplement, il faut comprendre comment Aristote saisit la nature de l’identité personnelle. Pour Aristote, l’identité de l’ami est largement constituée par sa personnalité morale, en somme, son caractère (Peroli, 2006, p.17). Ce qui le défini en tant qu’être rationnel c’est donc un ensemble de valeurs et de délibérations (Peroli, 2006, pp.17-18). Or, agir pour le bien d’autrui présuppose d’avoir une connaissance de ce qu’est ce bien et donc de porter son attention à l’identité de l’autre (Peroli, 2006, p.22). La compréhension de l’autre dans ce qu’il est au plus profond nécessite donc le recours de la vertu puisque c’est elle qui sait reconnaitre le caractère véritable de l’ami. Ainsi, sans la reconnaissance de la personnalité morale d’autrui et des valeurs qu’elle sous-tend, la forme de partage qu’exige la philia est rendue impossible. On comprend alors pourquoi « l’amitié achevée est celle des personnes de bien qui se ressemblent sur le plan de la vertu » (EN, 1156b7-1156b8)
En plus de tout cela, l’amitié est aussi fondamentalement un « vivre-ensemble ». Le sentiment de l’existence de l’ami étant appréciable en lui-même, c’est en passant du temps avec son ami et en partageant sa vie que son existence se fait sentir (EN, 1171b34-1171b36). « L’amitié est en effet communauté » (EN, 1171b32-1171b32). On aura l’occasion de démontrer l’importance de cette composante communautaire de l’amitié dans notre argumentation.
Pour résumer, on pourrait dire que l’amitié est le partage d’une vie et d’un ensemble de valeurs et d’aspirations communes, la reconnaissance et la participation au bien de l’autre, à la construction de son monde et, simultanément, du mien. (Peroli, 2006, p.11, p.18). La philia, c’est « partager et accompagner activement [l’ami dans son] projet de vie bonne » (Peroli, 2006, p.19).
Arguments et objections
Revenons donc à notre problématique qui concerne la relation de nécessité entre l’amitié et le bonheur. L’amitié est-elle nécessaire au bonheur ? Si l’on a pu comprendre que le genre d’amitié qui nous intéresse dans le cadre de notre interrogation est celle de la philia au sens propre plutôt que celle des amitiés « par ressemblance » - simples adjuvants au plaisir -, il est temps de faire ressortir les différents arguments défendus par Aristote qui appuieront notre thèse. Au sein de l’argumentation, une série d’objections viendront nuancer ou questionner certains des arguments avancés.
« L’amour de soi »
En premier lieu, notre argumentation portera sur ce qu’Aristote qualifie comme « l’amour de soi ». Nous tenterons ainsi d’abord de qualifier et de cerner cette forme « d’attitude amicale envers soi-même ». Par la suite, nous reprendrons l’argumentation d’Aristote visant à montrer que l’attitude amicale découle de l’attitude amicale envers soi-même (EN, 1165b37).
Pour comprendre le sens profond de l’amitié, Aristote nous propose dans le IXème chapitre un détour inattendu par le « soi », en tentant de nous faire comprendre qu’amour de soi et amitié sont, – de manière à première vue paradoxale – intimement reliés. Le point de départ de l’interrogation est de savoir si l’amour de soi est une chose louable ou blâmable. Comme à l’accoutumée, pour offrir une réponse à cette question, une distinction fondamentale est introduite entre deux formes d’amour de soi. D’une part, un amour de soi vicié, affilié à l’égoïsme. Il s’agit de la doxa populaire. En effet, nous explique Aristote, si l’amour de soi est si mal perçu par la masse, c’est bien parce que l’image qu’elle s’en fait provient de l’homme mauvais, qui est, pour Aristote, le meilleur représentant de la foule et aussi celui qui possède les caractéristiques d’un amour de soi vulgaire (EN, 1168b21-1168b23). Ce qu’entend mettre en avant la conception commune de philautia3 et qui constitue aussi le reproche fait au vilain, c’est le fait « de ne jamais se départir de lui-même lorsqu’il agit » (EN, 1168a32-1168a34). À cela, Aristote répond ceci : certes, il est vrai que cet amour de soi est blâmable, à juste titre (EN, 1169b2). En revanche, si cela est ainsi, c’est parce que cette conception est aux antipodes de ce que représente réellement l’amour de soi. Dans le fond, ce que nous dit Aristote, c’est que cet amour n’est pas réellement un amour de « soi » puisqu’il n’aime que la partie affective de son âme, qui cède aux plaisirs bas et qui se trouve incapable de voir au-delà de l’instantanéité (EN, 1168b20) (Peroli, 2006, p.23).
3 Désigne « l’amour de soi » en tant que disposition vertueuse et obéissance à la partie souveraine de son âme
4 Désigne l’action dont la fin propre est l’accomplissement d’un certain ordre d’excellence
L’amour de soi véritable, au contraire, renvoi à un caractère de vertu. C’est un amour pour ce qui constitue le « soi » au plus profond, c’est-à-dire la partie souveraine de notre être que constitue l’intelligence (EN, 1168b30-1168b36) (Peroli, 2006, p.23) ; cette part de nous qui fonde notre identité en tant qu’agent rationnel et qui nous permet d’orienter nos actions vers le Bien (et ultimement, le bonheur). C’est un dépassement de la perception du soi comme ponctualité, une compréhension de la « totalité unitaire de sa praxis4 de vie » (Peroli, 2006, p.18). Plus encore, l’amour de soi véritable n’est jamais au détriment des autres ; alors que l’amour de soi vulgaire consiste à rechercher la possession de toutes sortes de biens que l’on s’approprie aux dépens de l’autre, la philautia, qui est une disposition vertueuse, n’est pas concurrentielle (on peut acquérir la vertu sans en priver l’autre) (EN, 1168b18-1168b20) (Peroli, 2006, p.23). Autrui n’est donc pas perçu comme un opposant à mon bonheur mais - il en sera discuté plus tard - comme partie intégrante de celui-ci. Afin de poursuivre notre raisonnement, il nous faut faire appel à la thèse en [1166 a1] qui assimile la disposition amicale à l’égard de l’ami à celle que l’on entretient envers soi-même. En effet, l’ami est la personne par excellence pour qui l’on a de l’amour (EN, 1159a27-1159a28). Cet ami-là est aussi celui à qui l’on souhaite de vivre et d’atteindre le plus grand bien, celui auprès duquel on partage son existence (EN, 1166a5-1161a8). Or, ces caractéristiques sont également tenues pour vraies vis-à-vis de notre relation à nous-mêmes (EN, 1166a10). C’est donc à partir de ce constat que l’on comprend pourquoi Aristote nous invite à considérer l’ami comme un « autre soi-même » et pourquoi l’amour de soi n’est pas si étranger à l’attitude amicale. Si effectivement, l’ami est un autre soi-même et que le vertueux se rapporte à ce dernier comme il se rapporte à lui-même, alors le bien qu’il souhaite à son ami est analogue à celui qu’il se souhaite à lui-même (Peroli, 2006, p.26).
Tout ce qui semblait donc paradoxal dans l’affirmation que « de l’attitude amicale envers lui-même, vient l’amitié pour autrui » (EN, 1165b37) repose sur le fait qu’Aristote présente une définition de l’amour de soi qui est inusuelle. Au fond, celui-ci est un détachement de soi comme pur sujet centré sur lui-même au profit d’une mise en pratique vertueuse de sa rationalité (Peroli, 2006, p.25). Pour cela, l’amour de soi est peut-être à plus forte mesure une correction de son rapport envers soi-même. Cette décentralisation de soi amène à une prise de conscience à la fois de ma propre influence sur le monde en tant qu’agent rationnel et de la réalité de l’autre comme extérieure à moi et non comme fonction de ma propre perception (Peroli, 2006, p.23). Finalement, ce qui fait notre propre bonheur est en même temps « ce qui motive l’agir moral » (Peroli, 2006, p.26) ; c’est-à-dire le souci du bien de l’ami et l’action vertueuse en elle-même (Peroli, 2006, p.26). On peut même aller jusqu’à dire que pour Aristote, les deux sont indissociables et c’est la première raison pour laquelle on peut penser que l’amitié est nécessaire au bonheur.
L’homme comme « animal politique »
Notre deuxième argument en faveur de la thèse pourrait s’intituler : « l’homme, un animal politique » (Politique, 1995, 1253a8-1253a10). En effet, c’est l’explication de la « nature sociale » de l’homme et de la composante communautaire qui relie amitié et bonheur à laquelle nous nous attellerons. Dans le livre IX de l’EN, Aristote reprend rapidement cette idée que l’on a évoqué lorsqu’il nous dit : « l’homme en effet est un être fait pour la Cité et pour la vie en commun, par sa nature même » (EN, 1169b17-1169b17). Ce que semble vouloir nous dire Aristote au niveau le plus superficiel est que l’homme est un être fondamentalement social et que sa nature le pousse à rechercher la présence des siens. Mais que peut-on tirer d’autre, sémantiquement, de la formule de « l’animal politique » ? Dire que l’homme est un animal politique revient à dire qu’il est un animal certes, mais doté d’une faculté qui le rend unique et le caractérise en tant qu’être humain : le logos5. Ce qui incite les hommes à coexister est donc le partage même de cette faculté qui représente leur bien commun. Or Aristote pense aussi que « [la] Cité (donc la politique) est un fait de Nature » (Politique, 1995, 1253a1-1253a5). Par ailleurs, « la Nature ne fait rien en vain » (Politique, 1995, 1256b20-1256b22) et la finalité de la politique est le bien souverain ; à savoir, le bonheur.
5 Terme polysémique signifiant à la fois le discours, la parole et la raison. Ici, nous faisons référence à la fois à la faculté rationnelle de l’homme et au discours
Mais la nuance qu’introduit Aristote et qui rend l’argument particulièrement intéressant est que c’est par-delà l’aspect matériel et utilitaire que les hommes décident de s’associer dans la Cité. La Cité s’affranchit alors du simple rôle instrumental de remplissement des besoins vitaux et des échanges de services nécessaire à son bon fonctionnement pour devenir synonyme d’authentique « vie bonne » (Peroli, 2006, p.28).
Ce qu’il faut en comprendre en somme, c’est que selon Aristote, il y a quelque chose de bon en soi que les hommes recherchent lorsqu’ils s’unissent dans une communauté politique (Peroli, 2006, p.29) et que c’est en tant qu’animal politique que l’homme se réalise pleinement. C’est d’ailleurs cette conviction qui irrigue l’oeuvre entière et qu’il réutilise lorsqu’il insiste sur le fait que l’eudaimonia est un bonheur qui ne peut s’envisager seul et que c’est l’apport des autres qui le rend plein (Peroli, 2006, p.29).
Cette forme de vivre-ensemble que constitue la communauté, qui fonde le politique (comme une fin en elle-même) et qui lie entre eux les êtres relationnels au sein de la Cité est un partage. C’est – nous l’avions dit précédemment - le partage du logos, source de la parole politique. C’est une forme de rationalité, un discours sur le monde qui tend à construire une vision commune du bien (Peroli, 2006, p.28).
S’il est à présent évident que se font jours des liens directs entre amitié vertueuse – que l’on dit être un partage rationnel des valeurs, des conceptions qui me constituent en tant qu’agent – et amitié politique, c’est qu’Aristote lui-même les considèrent comme états semblables. La philia est en effet aussi conçue comme un « vie commune » au même titre et comprend des caractéristiques similaires (Peroli, 2006, p.28).
Si l’amitié des citoyens et la philia coïncident et qu’ils impliquent les mêmes choses ; si, de plus, l’homme est naturellement enclin à vivre en communauté et à partager cette forme d’amitié qui le rapporte aux autres et ultimement, au bonheur, il s’ensuit que l’homme a besoin d’amis – ou du moins, d’une forme de « vivre ensemble » et de partage avec ses semblables - pour accéder au bonheur. En ce sens, une déficience de cette amitié « sans laquelle aucun homme ne choisirait de vivre même s’il avait tous les autres biens » (EN, 1155a5-1155a8) (Peroli, 2006, p.29) entraverait son bonheur.
Il y a pourtant une résistance qui demeure à la suite de cet argumentaire. Si l’amitié vertueuse et l’amitié politique sont quelque chose de similaire est que l’homme est un animal politique, comment faire face au paradoxe qui a lieu entre la face unitaire/universelle que présente l’idée de « l’animal politique » et la face sélective/hiérarchique qui sépare les « bons » et les « vils », dans l’amitié vertueuse ? Aristote prétend que la vertu est une chose atteignable par tout un chacun. Pourtant, il semble qu’en pratique, bien peu peuvent prétendre à ce degré de vertu qu’Aristote assimile aux conditions de l’amitié véritable. Qu’en est-il des gens dits « normaux » ? L’amitié achevée ne peut-elle vraiment se réaliser que sous une forme restreinte, par une sorte « d‘examen » de la vertu (Peroli, 2006, p.16) ? Cette conception reflète-elle encore vraiment le rapport amical qui considère l’ami pour lui-même et de manière inconditionnelle ? Plus largement, le vertueux que présente Aristote a-t-il seulement figure humaine ou n’est-il qu’un idéal vers lequel tendre ?
L’autre comme part de mon bien
Dans notre dernier point viendront s’agréger diverses formes de sous-arguments qui déterminent l’ami de manière plus directe comme un intermédiaire indispensable à l’eudaimonia. Il nous faudra observer ces différentes formes d’arguments et comprendre en quel sens l’ami contribue au bonheur dans chacun des cas.
L’ami contribue à rendre le bonheur parfait
Dans un premier temps, intéressons-nous à l’argument qui débute en [1170 a12] et dont la construction peut laisser dubitatif. Celui-ci aboutit à la conclusion que « l’indifférence du vertueux pour son semblable est naturellement impossible » (EN, 1170a12). Mais qu’essaye donc de nous signifier Aristote par cette formulation obscure et en quoi cela entre-t-il dans notre enquête sur le lien entre amitié et bonheur ? La reformulation de la conclusion en [1170 b15] est assez éclairante à ce sujet et nous révèle la structure finalement simple de l’argument. Aristote nous dit que la vie, pour qui est homme de vertu, est une chose appréciable en elle-même (EN, 1170a20). La conscience de sa propre existence l’est tout autant puisqu’elle équivaut au plaisir associé à la conscience d’être un homme de bien (EN, 1170b8-1170b11) (Peroli, 2006, p.32). Puis, il ajoute qu’à ces conditions et si l’ami est similaire à nous sur le plan de la vertu, que son existence nous paraisse aussi désirable que la nôtre, alors le bien induit par le partage de l’existence et de nos pensées auprès de lui représente un bien supérieur à celui que pourrait vivre l’homme seul (EN, 1170b15-1170b19). L’idée globale est que donc que l’ami rend complet un bonheur qui ne pourrait être que partiel sans sa présence. Il est aussi rappelé que la conscience de l’existence de l’ami ne peut véritablement se réaliser que lorsque les amis participent à cette « communion » de vie et de pensée qui est caractéristique de l’amitié (EN, 1170b10-1170b14).
Aristote semble par ailleurs trancher assez rapidement la question de la nécessité de l’amitié en déclarant sans plus de précisions que puisque ce bien que représente l’ami est appréciable et rend complet le bonheur, « il lui faudra donc, s’il veut être heureux, des amis vertueux » (EN, 1170b15-1170b19). Néanmoins, un doute subsiste car l’explication semble un peu hâtive : il semble en effet, au terme de l’argumentation, que l’ami est envisagé plutôt comme un adjuvant au bonheur que comme constitutif de ce dernier. Dit autrement, il semble qu’il n’est là que pour accroitre un bien que le vertueux avait déjà en lui-même et ne présente donc pas ce caractère de nécessité. (Peroli, 2006, p.33)
L’ami comme médiation de soi
Pour comprendre plus justement le caractère de nécessité que comporte l’amitié dans la quête d’une vie accomplie, il est utile de se pencher sur le passage de [1169 b28- 1170 a8]. Les deux arguments qui composent le passage détaillent plus clairement le caractère indispensable de l’ami et l’indissociabilité du lien qui unit amitié et eudaimonia.
Avant toute chose, Aristote fait un renvoi à la définition du bonheur comme activité – qu’il oppose à l’idée d’un « objet de possession » - (EN, 1169b30). L’homme heureux est donc celui qui parvient à maintenir une sorte d’activité, à entretenir une forme de vie guidée par l’action vertueuse. Evidemment, on l’a déjà évoqué, cela signifie que la vie en elle-même est quelque chose de plaisant car en plus d’appartenir aux choses définies, elle est activité (EN, 1170a20-1170a21). De plus, le caractère réflexif de nos cognitions (le fait d’avoir conscience que nous pensons) est simultanément la conscience de notre existence puisque vivre c’est avant tout « sentir ou penser » (EN, 1170a32-1170b1).
Or c’est cette forme de réflexivité qui détermine la manière dont nous percevons nos actes et nous-même (Peroli, 2006, p.32). Aristote présente à cet égard une position totalement anticartésienne et défend que l’homme n’a de cette manière jamais accès à une connaissance intuitive de soi (Peroli, 2006, p.36). Il y a donc une part de non-savoir qui demeure vis-à-vis de soi. Autrement dit, l’homme ne peut jamais se voir comme le sujet qu’il est, mais seulement comme objet (Peroli, 2006, p.43). Cette considération nous permet de nous rapprocher du fond de la pensée aristotélicienne ; la pensée de la finitude de l’existence humaine. Ce à quoi procède Aristote dans ce passage peut être vu essentiellement comme un recadrage de l’homme sur sa propre nature : celle d’un être fini, incapable de se percevoir de manière « immédiate » ou tel qu’il est un sujet. Une nature donc, qui justifie le besoin de l’ami pour atteindre un bonheur qui dépasse son cadre restreint. Comment en effet, concevoir un homme isolé, un être fini capable d’atteindre par ses seuls moyens un bien qui traduit un tel ordre de perfection - un bien, finalement, qui dépasse son individualité - ? La réponse d’Aristote à cela serait probablement brève ; il ne le peut pas, c’est pourquoi il a besoin d’amis pour ériger ce bonheur supérieur.
Maintenant, en quel sens l’ami permettrait-il l’achèvement de ce bien ? Deux formes de réponses sont offertes dans le passage auquel nous faisions référence. Premièrement, Aristote engage la réflexion en rappelant la préférence pour ce qui est de l’ordre du « personnel ». On préfère en effet sa propre vertu à celle d’un autre. Néanmoins, pour les raisons que l’on a expliquées plus haut, l’homme n’est pas à même de s’observer avec la même acuité que celle qu’il porte sur son ami vertueux (EN, 1169b33-1169b36). Mais puisque l’ami est un autre soi-même, les belles actions de celui-ci sont également appréciables comme « choses personnelles » (EN, 1170a1). Cela implique que l’homme de bien peut atteindre une félicité par le seul « spectacle » de ses amis hommes d’action. Il n’a donc pas besoin de faire lui-même preuve d’activité pour profiter de l’agrément conféré par les actions de ces amis et accéder à un certain bien. Ce qui semble poser problème, en revanche, est de savoir quel ordre de félicité il peut atteindre de cette façon car on imagine bien que cette vertu « par procuration » que prodigue l’ami n’est pas suffisant à la construction d’un bonheur complet. L’activité personnelle, à un moment ou un autre, fait défaut.
Cet autre soi-même qui doit nous ressembler du point de vue de la vertu est donc une médiation de nous-même (Peroli, 2006, p.36). Cette médiation que constitue le regard posé sur l’ami, posé sur ses actes, est en fait la réflexion de ce que je suis et permet indirectement de confirmer de manière objective la valeur de ma propre praxis éthique (Peroli, 2006, p.40). L’ami impliqué dans ma vie, qui me soutient, partage et contribue activement à mes idéaux de vie semble sans doute le plus semblable à moi et l’observer est ce qui me rend le plus à même de juger mes actes. Ainsi, l’homme heureux a besoin de l’ami, de ce regard « extérieur » qui devient partie intégrante de sa réalité ; un regard qui se superposé à sa réflexivité et qui lui permet de se voir au plus près de ce qu’il est réellement (Peroli, 2006, p.46).
L’objection la plus directe qui pourrait être adressée à cela est que l’agent, lorsqu’il est capable de rationalité, a déjà un rapport réflexif à lui-même et emprunte donc ce même regard détourné qui lui permet de juger ses actes. L’on peut rétorquer que même si cela est vrai, cela n’empêche pas que cette capacité réflexive ne soit pas absolue (Peroli, 2006, p.39). Contrairement à Dieu, l’homme n’est pas une pure actualité, une « autoconscience » qui ne laisse aucune ombre sur sa personne (Peroli, 2006, p.39). C’est justement là encore une séparation fondamentale qui a lieu entre Dieu - pour qui le bien réside dans l’auto-contemplation et qui ne nécessite donc aucune extériorité (Peroli, 2006, p.39) – et l’homme. Contrairement à Dieu, le bien de l’homme est intrinsèquement rattaché à l’autre (Peroli, 2006, p.44). L’idéal de l’eudaimon6 solitaire serait donc fondé sur une méprise : celle qui confond la condition divine et humaine (Peroli, 2006, p.41). Ainsi, le bonheur solitaire pourrait exister si l’homme concerné était un Dieu, qu’il avait accès à sa « vérité intérieure ». Or c’est justement ce pourquoi Aristote insiste sur la dépendance envers l’ami et ce pourquoi le bien de l’autre et mon propre bien ne peuvent être deux choses entièrement détachées l’une de l’autre.
6 Désigne le bienheureux, celui qui vit l’eudaimonia
L’ami comme perpétuation de la continuité de l’activité
La suite de l’argumentaire remet au centre la nécessité de l’ami, mais cette fois, sous l’angle de la continuité de l’activité. Encore une fois, cet argument fait office de critique de l’eudaimonia solitaire. Aristote met ici en emphase l’inaptitude à entretenir une continuité dans sa propre activité vertueuse (EN, 1170a5-1170a7). Or, la simple possession d’une vertu sans qu’elle soit mise en acte n’est pas suffisante au bonheur, tel que cela est le cas lorsqu’on prend l’exemple du dormeur vertueux, qu’il est difficile de qualifier d’heureux à ce moment-là (Peroli, 2006, p.35) (EN, 1095b32-1096a2). A nouveau, c’est à travers ses amis que l’on peut remédier à cette vertu « par intermittences » car c’est à condition d’être « en compagnie d’autres et en relation avec d’autres » que la vertu peut être rendue continue (EN, 1070a6-1070a8). Si l’on reprend la métaphore de la navigation pour représenter le parcours du vertueux entre défaut et excès, on s’aperçoit que l’ami contribue aussi, par sa propre activité vertueuse à nous ramener vers le juste milieu, que constitue la vertu. En effet, maintenir cette constance par soi-même n’est pas toujours chose facile et c’est précisément en ce sens que peut intervenir l’ami lorsqu’il agit vertueusement, en nous rappelant ainsi à notre propre projet de vie bonne et en nous aidant à retrouver le cap dans les moments ou la vertu nous fait défaut.
Mais évidemment, cette relation n’est pas à sens unique. Bien qu’il puisse momentanément se suffire du « spectacle de la vertu » que dispense l’ami lorsque ce dernier agit à sa place, c’est avant toute chose à sa propre action que le vertueux doit son bonheur. En ce sens, à nouveau, il a besoin d’amis pour exercer sa vertu et l’on peut alors comprendre pourquoi l’on dit que c’est « aux moments de bonne fortune que l’on a besoin d’amis » (EN, 1169b12-1169b14).
Limites dans la conception ambivalente de l’ami
Malgré tout, certains points demeurent problématiques et flous à mes yeux. En effet, le texte me semble parcouru d’une tension constante dans la vision de l’amitié. Deux tons plus ou moins implicites se superposent en effet dans la conception de l’amitié que propose Aristote. D’un côté, la thèse qui fait de l’ami une nécessité pour le bonheur nous demande de considérer et d’aimer l’ami de manière désintéressée : « pour lui-même ». Elle situe celui-ci en dehors d’enjeux instrumentaux ou utilitaires. D’un autre côté, le contraire semble aussi être affirmé de manière implicite. En effet, l’ami ou son bien ne semble dans les faits jamais vraiment être considéré comme une fin en soi mais comme une médiation à notre propre bonheur. Cette idée de « l’autre soi » que constitue l’ami aux yeux du vertueux n’apparait-elle pas problématique en ce sens qu’elle semble nier son altérité pour la ramener au « soi » ? De plus, on peut noter les termes employés par Aristote pour caractériser la relation d’amitié. C’est à travers une métaphore économique, mathématique et sous les termes de débiteur, créditeur, de prix, de service, de redevance et de pouvoir que transparait bien souvent la description de la relation amicale, notamment dans les sections 6.2 et 6.3 du IXème chapitre...
Conclusion
À l’issu de ce travail, plusieurs raisons pour défendre la thèse de la nécessité de l’ami dans la vie du bienheureux ont pu être mises en avant. Nous l’avons d’abord montré par le cas de l’homme s’aimant soi-même : en démontrant que cet amour de soi est ce qui permet de se rapporter à l’ami et que le juste rapport qu’on entretient avec soi et avec l’ami sont de même nature, nous avons montré l’intrication et l’implication mutuelle du bien pour l’autre et du bien pour soi et ainsi, la nécessité de l’ami dans une vie heureuse. Ensuite, nous avons utilisé l’idée de la nature « sociale » de l’homme pour justifier la thèse. Il nous a fallu établir l’amitié au sein du polis comme forme de philia et défendre que le bonheur humain est un bonheur en « communauté ». Finalement, dans la dernière partie argumentative, nous avons essayé d’entrevoir en quoi l’ami peut contribuer directement au bonheur. Nous avons observé de quelle manière l’ami pouvais agir là ou l’homme est insuffisant pour son propre bonheur. Que ce soit en assurant une continuité de l’activité vertueuse, en faisant office de reflet pour le philoi – qui peut ainsi se rapporter plus objectivement à lui-même au travers de l’ami - ou encore en lui permettant d’exercer sa propre bienfaisance, nous avons pu montrer, encore une fois, que le bienheureux a besoin d’amis. En parallèle, l’argument contraire à la thèse qui défend la position d’un homme autosuffisant à son bonheur a pu être invalidée en objectant qu’elle confond condition divine et condition humaine. Ainsi, une telle position qui fait de soi le seul support à son bonheur et qui nie tout apport extérieur à celui-ci ne peut que dénoter une hybris démesurée et un renfermement sur soi.
Certaines critiques internes aux arguments ont également pu être formées mais il s’agit globalement plus de ce que j’ai perçu comme des contradictions ou des positions paradoxales dans le raisonnement ou les prémisses que comme une vraie critique de la thèse en elle-même. J’ai effectivement rencontré des difficultés à trouver des objections aux arguments même qui soutiennent la thèse. De plus, il a été difficile de séparer les arguments les uns des autres car j’ai eu l’impression grandissante, au fur et à mesure du travail, qu’ils étaient tous reliés les uns aux autres d’une certaine manière et que la même idée de fond – « le bien du vertueux passe
nécessairement par le bien de l’autre » ou encore « l’homme ne s’envisage jamais sans passer par l’autre » - ressurgissait de manière constante dans chacun des arguments.
Au terme de l’argumentation, il semble que nous ayons pu mettre en avant plusieurs raisons pour dire que l’amitié est nécessaire au bonheur bien que certains flous demeurent, notamment comme on l’a dit, quant à la conception de l’amitié.
Notre travail touche désormais à sa fin et même si nous avons pu apporter des éléments de réponse quant au rôle que peut jouer l’amitié dans l’eudaimonia humaine, il reste une multitude de perspectives sur l’amitié qui peuvent être explorées. Il serait par exemple intéressant de s’interroger plus en détail sur le rôle politique de l’amitié, sur la façon dont le dialogue entre amis permet - pour reprendre les mots d’Arendt - « d’humaniser le monde » (Arendt, 1986, pp.34-35).
Bibliographie
[1] Aristote (2004) Éthique à Nicomaque (Trad. R. Bodéüs). Éditions Flammarion
[2] Aristote (1995) Politique (Trad J. Tricot). Vrin
[3] Arendt H. (1986) Vies politiques (Trad. B. Cassin et P. Lévy, Gallimard). Gallimard
[4] Peroli, E. (2006). LE BIEN DE L'AUTRE. LE RÔLE DE LA PHILIA DANS L'ÉTHIQUE D'ARISTOTE. Éditions du Cerf | « Revue d'éthique et de théologie morale », 242