Quatre mois après le meurtre du jeune Nahel, 17 ans, tué lors d’une interpellation par deux policiers, déclenchant une série d’émeutes en France (voir RDP du 26/06), le gouvernement répond « aux violences urbaines » et présente ses mesures pour les quartiers populaires. D’abord à la Sorbonne le 26 octobre, où Elisabeth Borne s’est exprimée devant 250 maires des villes touchées par les émeutes. La Première Ministre a mis en avant son plan, celui de « réaffirmer l’autorité et l’ordre républicain », aligné sur les paroles du chef de l’État qui, lors des émeutes, avait préconisé un « retour de l’autorité, à chaque niveau, et d’abord dans la famille ». Dans cette logique de responsabilisation (ou de culpabilisation), les parents des mineurs concernés par les accusations de violences devront faire face à plusieurs mesures. Parmi elles, des mesures éducatives qui encadreront l’enfant mineur. Ceux-ci seront suivis de près et pourront être placés dans une unité éducative d’accueil de jour de la protection judiciaire de la jeunesse où ils seront obligés de participer à certaines activités. Ceux qui ne respecteraient pas ces mesures seraient alors placés dans un centre éducatif fermé ou en détention. Le gouvernement souhaite faire appel à des unités militaires pour gérer ces centres éducatifs fermés (classes de défenses, réalisation de travaux d’intérêt général, dispositifs d’encadrement militaire). Les parents pourront eux aussi avoir droit à des travaux d’intérêt général s’ils se soustraient à leurs obligations légales envers leur enfant mineur et pourraient même être tenus de verser une somme d’argent (entre 100 et 500 euros) à des associations d’aides aux victimes. D’autres mesures prévoient des amendes en cas de non-respect du couvre-feu (jusqu’à 750 euros).
Le lendemain, la Première Ministre s’est prononcée sur le plan d’action concernant les quartiers populaires. Après avoir traversé, sans croiser beaucoup de monde, les rues des quartiers de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), Elisabeth Bornes a présenté une soixantaine de mesures qui n’ont pas convaincu. Renaud Epstein, sociologue et spécialiste sur la politique de la ville, n’y voit « rien de neuf », ajoutant que, « sur la stratégie, les objectifs, les instruments, la territorialisation, on ne sait toujours pas ce que ce gouvernement veut faire pour les quartiers populaires ». Nous ne reviendrons pas sur l’ensemble de ces mesures qui ressemblent à celles déjà annoncées par le président dans son projet « Quartiers 2030 ». Nous avions déjà relevé, dans la RDP du 26/06, le manque de volonté politique du gouvernement pour améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers populaires. Nous nous intéresserons ici à la nature autoritaire des mesures qui concernent les mineurs inculpés dans des affaires de violence. Nous verrons que celles-ci sont révélatrices d’un pouvoir libéral-conservateur.
Image d’un gouvernement aux méthodes dépassées.
Des récentes interventions de la Première ministre, nous pouvons retenir deux choses. La première est l’absence de toute accusation du système policier qui a pourtant démontré sa nature répressive et son emploi abusif de la force ces dernières années. La deuxième est la nature répressive du gouvernement, qui fait écho celle du système policier, exposée par la continuité autoritaire de la réaction de ce système aux problèmes sociaux et sociétaux diagnostiqués en France. Ces deux aspects résument parfaitement le processus de réaction et d’action du gouvernement :
· Absence de remise en question du système et des méthodes en place
· Refus du changement
· Enfermement idéologique
· Réponse autoritaire.
Prenons quelques exemples pour illustrer nos propos. Dans le cas des émeutes de cette année, le discours récent d’Elisabeth Borne témoigne de l’absence de remise en question du fonctionnement du système policier. Les mesures prévoient des sanctions qui concernent les mineurs incriminés et leurs parents. Cependant, les forces de l’ordre ne sont à aucun moment interpellées par cette même autorité. Pourtant, plusieurs faits de violences se sont enchaînés et ont témoigné de la brutalité des méthodes employées par la police. Le cas de Nahel n’est pas isolé. Pendant les émeutes, un autre jeune homme de 27 ans est décédé après s’être pris un tir de lanceur de balle de défense (LBD) par un membre du RAID (unité spécialisée de la police) à Marseille. Il y eut aussi le cas d’Hedi, laissé pour mort sur la voie publique. Le jeune homme de 22 ans a aussi été victime d’un tir de LBD, utilisé à une distance non règlementaire, et s’est ensuite fait rouer de coups par trois des cinq policiers impliqués dans l’affaire (voir RDP du 24/07). Si, dans la logique de l’État, il est normal de blâmer les parents pour les bavures de leurs enfants, pourquoi ne pas blâmer le système policier pour les actes commis par les agents qu’ils ont engendrés ? Nous nous retrouvons à nouveau dans le schéma du gouvernement actuel. L’absence de remise en question du système policier exprime un refus de changement. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ne condamne jamais l’aspect systémique de ces violences. Il déplore que certaines énergumènes dérapent, mais ne remet jamais en cause le système policier. Alors qu’il se place du côté de la répression policière, le ministre de l’Intérieur s’emploie à disqualifier ses opposants politiques et les militants qui se dressent contre les projets du gouvernement. Il utilise les mots « éco-terrorisme », n’hésite pas à présenter ces militants comme responsables « d’extrêmes violences », comme dans le cas de l’opposition au projet de l’autoroute A69, où l’opposition était majoritairement pacifique. Le refus du changement est volontaire, parce qu’idéologique. Il existe aussi un refus d’écouter et de comprendre l’opposition. Qu’il s’agisse de Darmanin ou des autres membres du gouvernement, le gouffre entre leur vision de la société et celle qui est exprimée en face est abyssal. Le gouvernement, parce qu’il a été « élu », se sent légitime à travers toutes les décisions qu’il prend et ne peut donc tolérer la désobéissance civile, même si elle lutte pour plus de justice. Deux visions de la légitimité s’affrontent et témoignent de la défaillance d’un système électoral qui, parce qu’il fait élire des présidents impopulaires, donne naissance à un gouvernement au pouvoir exécutif écrasant et à une opposition massive qui ne peut rien faire contre les moyens répressifs de ce pouvoir. C’est là que le dernier point du schéma entre en jeu, la réponse autoritaire, qui sert à asseoir un pouvoir qui, plutôt que de se remettre en question, s’enferme dans son idéologie et ferme la porte à tout dialogue.
L’épisode de la réforme des retraites reprenait le même schéma :
· Pas de remise en question du système capitaliste. Pas de remise en question de notre façon de travailler, de la place du travail dans nos vies, du sens du travail.
· Refus de modifier ou de supprimer le projet de loi malgré une impopularité importante.
· Enfermement idéologique : le gouvernement était seul contre tous mais n’a jamais dévié de son cap.
· Réponse autoritaire : répression policière lors des manifestations.
Pareillement pour le projet de l’autoroute A69 dont nous avons parlé la semaine dernière :
· Aucune remise en question d’un projet à la fois impopulaire, écocide et à contre-courant avec les enjeux environnementaux et sociétaux actuels.
· Refus de changer le cap d’un projet vieux de vingt ans, lancé par et pour un industriel.
· Enfermement idéologique : vision ultra-libérale de la société, incapable de saisir les enjeux écologiques de la poursuite de ce projet.
· Réponse autoritaire : refus de procéder à un référendum, évacuation de toute tentative de ZAD (zone à défendre).
Ce comportement reste le même sur beaucoup de sujets, notamment parce que le gouvernement est à la fois impopulaire, mais aussi convaincu de sa légitimité et de la pertinence de ses choix politiques qui résonnent pourtant avec une dynamique ultra-libérale fortement décriée de nos jours.
Libéralisme et conservatisme
La politique rigide, autoritaire et punitive qui découle des accusations unilatérales faites par le gouvernement Macron n’est pas sans rappeler les discours d’une partie de la droite et de l’extrême droite qui a d’ailleurs salué les propos d’Elisabeth Borne. Ce qui peut sembler a priori paradoxal, c’est la proximité entre ce versant autoritaire, voire, comme nous l’expliquerons par la suite, conservateur, avec l’autre versant libéral du gouvernement qui présente une image progressiste et inclusive, notamment en défendant la mixité sociale et sociétale. Pour comprendre cela, il faut savoir que le libéralisme macroniste était présenté en 2017 comme une association du libéralisme économique, culturel et politique. Très proche d’une conception rawlsienne (du philosophe John Rawls) de la justice, le libéralisme macroniste se présentait à ses débuts (et continue de le faire) comme égalitaire. Il avait pour projet de donner des libertés de base égales pour tous, tout en freinant les inégalités économiques pour que le principe d’égalité des chances soit conservé. Comme l’explique l’auteur Patrick Juignet, le discours d’Emmanuel Macron de 2017 incarnait ces différentes facettes du libéralisme :
« - La défense des libertés de base : de conscience, de travailler, d’entreprendre, d’innover et d’association.
- La défense de l’égalité des chances par l’éducation des enfants, la formation continue des adultes par la parité et par des mesures antidiscriminatoires dans les entreprises.
- La correction de la situation des plus désavantagés avec l’augmentation des minima sociaux (l'allocation vieillesse et adulte handicapé) et les mesures pour les sans-abri.
- La création d’un système universel des retraites et d’une assurance chômage universelle qui opère une égalisation des statuts. »
Sur le papier, le libéralisme économique pourrait cohabiter avec le libéralisme égalitaire et politique. Mais il faudrait pour cela, comme le pensait John Rawls, que les inégalités de richesse ne soient tolérées à la seule condition que ces inégalités contribuent à l’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés (par une redistribution des richesses par exemple). Emmanuel Macron, en privilégiant le libéralisme économique, sans freiner les inégalités qui en découlent, s’est engouffré dans un néo-libéralisme aux conséquences désastreuses pour les plus défavorisés. Le problème actuel ne réside donc pas dans le fait d’exprimer un penchant pour le libéralisme. Il est davantage dans le mélange d’un libéralisme effréné (néo-libéralisme) avec un conservatisme qui devient l’expression de la rigueur et de l’intolérance. Comme l’écrit Joseph Proudhon dans Du principe fédératif, toute autorité politique doit essayer de trouver un équilibre entre autorité et liberté. Seulement, dans la manière de gouverner d’Emmanuel Macron, nous retrouvons les deux extrêmes de l’autorité et de la liberté qui, parce que ces deux extrêmes agencés ne s’annulent pas, créent un profond déséquilibre social. Ainsi, s’il était paradoxal de penser un projet libéral égalitaire tout en agissant de façon conservatrice, il est moins étonnant de voir ensemble ultra-libéralisme et conservatisme, tant ces deux aspects dénotent de l’apathie pour les plus défavorisés et les minorités les plus discriminés. De nombreuses figures adoptent aujourd’hui ce modèle de pensée libéral-conservateur (Jair Bolsonaro au Brésil, Javier Milei en Argentine, Donald Trump aux États-Unis).
Même si nous ne pouvons directement associer ces hommes politiques à Emmanuel Macron, nous pouvons constater la tendance entre eux de rapprocher les aspects néfastes du libéralisme avec ceux d’un souverainisme au gout de patriotisme et d’intolérance.
D’un côté, nous retrouvons un ultra-libéralisme, symbole d’un individualisme exacerbé et cause de nombreuses égalités. Les ultras riches, tout comme le système capitaliste qui les a engendrés, ne sont jamais dénoncés. Les plus grosses fortunes françaises sont souvent présentées comme des personnes qui ont mérité leur place et qu’il faudrait remercier parce qu’à la tête d’entreprises aux milliers d’employés. Il devient donc légal, et moral parce qu’encouragé, d’amasser des sommes astronomiques d’argent pendant que d’autres peinent à se nourrir ou se loger. Le libéralisme macroniste est alors la loi du plus fort ou du plus méritant. Il néglige les inégalités sociales et individuelles et tolère une loi de la jungle au nom du respect de la liberté individuelle.
De l’autre côté se tient le versant conservateur du gouvernement, incarné par les relents patriotiques et traditionalistes Celui-ci revêt les pires extrêmes de l’autorité politique. Cela n’est pas pour dénoncer toute autorité, ce mot n’est pas un mal en soi. L’autorité politique sert à l’élaboration de la liberté, mais doit être définie par ceux qui subissent les contraintes qui lui sont liées, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs d’une société. Le gouvernement actuel, en plus d’être le représentant d’une partie minoritaire de la population française, défend une conception toxique de l’autorité, celle de la peur du changement et de l’étrangeté. L’image du gouvernement est rigoriste et dogmatique. Elle a peur des mœurs qui la questionne, elle fantasme sur la modification de la langue française, sur la perte des valeurs françaises (qui ne sont jamais précisément définies), elle fait éloge des élites et humilie ceux qui ne « réussissent pas », elle ne supporte pas le récréatif qui a mauvaise image (drogue, raves party). L’autorité de ce conservatisme ne procure la liberté qu’à ceux qui profitent du système en place ou qui adhèrent à sa morale. Le conservatisme et l’ultra-libéralisme sont les deux ingrédients toxiques des démocraties modernes. Présentés comme des solutions, ils ne font qu’enfermer la population dans une idéologie hermétique à tout changement, intolérante face à la différence, sourde aux contestations, violente face aux contre-pouvoirs et souple envers la minorité qui profite de ce système.