par Gaia Barazzetti

Analyse du génome humain et liberté individuelle

Depuis quelques années, une nouvelle technologie a fait son apparition dans le domaine de la génétique, ouvrant une véritable « boîte de Pandore », pour ainsi dire, en raison des nombreuses craintes et espoirs qu’elle suscite. La technologie en question est ce qu’on appelle « séquençage de nouvelle génération » (Next Generation Sequencing – NGS).

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    À la différence des tests génétiques prescrits actuellement, qui n’analysent qu’un seul gène à la fois pour confirmer ou exclure une suspicion de maladie, le NGS permet d’examiner un nombre important de gènes, voire l’ensemble du génome, à la recherche des mutations responsables de maladies génétiques rares, ou pouvant contribuer à la survenue de maladies plus communes (1). De plus, l’avantage de la technique NGS est qu’elle permette de réaliser des analyses du génome à des coûts beaucoup plus réduits par rapport aux tests génétiques classiques.

    La disponibilité de cette nouvelle technique et ses potentielles applications cliniques a permis d’envisager une nouvelle approche en médecine, appelée plus fréquemment médecine « personnalisée », bien que les termes de médecine « génomique », « individualisée » ou « de précision » soient également utilisés. Selon les promoteurs de la médecine personnalisée, les progrès réalisés dans l’analyse du génome permettront une prise en charge qui tiendra compte des spécificités génétiques de chaque patient, ainsi que le développement de nouveaux tests diagnostiques, la découverte de nouveaux traitements, et la mise en place de programmes de prévention plus efficaces (2-3).

    Des marqueurs génomiques commencent à être utilisés dans le cadre de thérapies plus individualisées, permettant de garantir l’efficacité du traitement, de minimiser les effets secondaires et d’optimiser le dosage des médicaments, particulièrement dans certaines chimiothérapies, dans le traitement du sida ou de l’hépatite C (3). On commence aussi à envisager l’utilisation de tests génomiques dits « prédictifs », pour réaliser des diagnostics toujours plus précoces des risques génétiques, jusqu’au stade asymptomatique des maladies, afin d’intervenir en amont des processus pathologiques et dans certains cas les prévenir.

    Des ressources conséquentes, en termes d’infrastructures et de financements, sont mises à disposition dans plusieurs pays pour promouvoir la recherche en génomique et son transfert en applications cliniques. Un exemple paradigmatique est le programme Precision Medicine Initiative lancé par l’administration Obama aux Etats-Unis, financé à hauteur de 215 millions de dollars pour la seule année 2016 (4-5). Plus récemment, on observe la prolifération de compagnies qui commercialisent sur le Web « directement auprès du consommateur » (direct-to-consumer) des analyses NGS pour tester la prédisposition à une quantité de maladies, de cancers héréditaires, comme ceux du sein et de l’ovaire, aux maladies génétiques rares comme la mucoviscidose (6).

    Aussi bien dans le cadre des grands programmes de santé publique que sur les sites web des compagnies commercialisant les tests en ligne, les analyses génomiques sont souvent associées à la notion d’« empowerment » des individus. L’idée sous-jacente est que la possibilité de connaître son risque génétique de développer certaines maladies donnerait à l’individu un plus grand pouvoir de maîtrise sur sa propre santé. La disponibilité des analyses génomiques permettrait donc de promouvoir l’exercice de la liberté individuelle au sens « positif » (7), une liberté qui consiste à être son propre maître et à orienter son existence en fonction de ses propres désirs et objectifs, selon sa propre vision du bien-être.

    Pourtant, dans le cas des analyses génomiques, cette notion de liberté individuelle se heurte à une série des difficultés. Premièrement, dans la mesure où le risque génétique peut concerner les apparentés, la pondération par l’individu des implications des analyses génomiques ne peut pas se faire sans considérer les conséquences pour ses proches. Dans ce cas de figure, la liberté de l’individu de « savoir », ou de « ne pas savoir » quel est son risque de développer telle ou telle autre maladie, pourrait avoir des implications importantes pour la santé et le bien-être des membres de sa famille, tant pour les descendants que pour les parents, frères et sœurs, qui partagent en partie son patrimoine génétique.

    Une deuxième difficulté relève de la particularité des nouvelles techniques de séquençage du génome par rapport aux tests génétiques classiques. Ces techniques permettent en fait de générer une très grande quantité d’informations, concernant non seulement les facteurs de risque génétique visés, mais aussi des résultats « inattendus » (incidental findings), ou « secondaires », qui n’étaient pas recherchés. En cas de résultats ayant une pertinence clinique incertaine ou inconnue, la communication de l’information génomique n’est pas évidente. Si le respect de la liberté individuelle exigeait que l’ensemble des résultats soit communiqué, le risque que l’incertitude des résultats suscite des préoccupations injustifiées chez la personne concernée soulève des problèmes de pondération, voire des tensions entre le respect de sa liberté et la protection de son bien-être.

    On pourrait également évoquer des tensions possibles entre l’exercice de la liberté individuelle et les buts visés par des politiques de santé publique orientées à la prévention des maladies génétiques dans la population. Les analyses génomiques pourraient en fait servir à mettre en place des programmes de screening permettant de cibler les groupes d’individus plus à risque de développer certaines maladies, comme par exemple des cancers héréditaires. La pondération entre le respect de la liberté des personnes et les intérêts collectifs poursuivis par ces politiques de santé publique pourrait s’avérer parfois difficile, notamment dans le cas où l’évaluation de l’utilité clinique des tests génomiques ne correspond pas à l’appréciation de l’utilité « personnelle », pour l’individu, de l’information génomique. On pourrait donc se demander si les nouvelles possibilités ouvertes par les analyses génomiques ne nécessitent pas, en premier lieux, la mise en place de dispositifs de réflexion collective autour des buts visés par ces techniques, qui ne réduisent pas a priori le spectre des problèmes et des tensions possibles pour l’exercice de la liberté individuelle. Dans le cadre des initiatives publiques, en particulier, la mise en place de dispositifs de débat public et de gouvernance participative, associant les citoyens et les patients à la définition des usages pertinents de ces outils, pourrait permettre de donner du sens à la notion d'« empowerment » si souvent évoquée.


    Références :

    1. Clarke A. What do we mean by « genetic testing » in 2013? Bioethica Forum 2013 ; 6 : 105-106.
    2. Green ED, Guyer MS. Charting a course for genomic medicine from base pairs to bedside. Nature 2011 ; 470 : 204-213.
    3. McCarthy JJ, McLeod HL, Ginsburg GS. Genomic medicine: a decade of success, challenges, and opportunities. Science Translational Medicine 2013 ; 5 : 189sr4.
    4. Pour plus d’informations sur le programme Precision medicine Initiative, voir: https://www.whitehouse.gov/precision-medicine
    5. National Institutes of Health (NIH). Precision medicine Initiative Cohort Programme. Disponible sur : https://www.nih.gov/precision-medicine-initiative-cohort-program
    6. Niemiec E, Howard HC. Ethical issues in consumer genome sequencing. Use of consumers’ sample and data. Applied & Translational Genomics 2016 ; 8 : 23-30. Disponible sur : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212066116300059
    7. Berlin I. Eloge de la liberté. Paris : Calmann-Lévy, 1988 (traduit de l’anglais par J. Carnaud et J. Lahana : Two concepts of liberty. An inaugural lecture delivered before the University of Oxford on 31 October 1958. Oxford, Clarendon Press : 1959).