Nature du pouvoir macroniste
Questions :
· Comment juger de la justice d’une décision politique ?
· Comment la violence s’exprime-t-elle en politique ?
Le lundi 15 mai 2023, Emmanuel Macron faisait une allocution à la télévision dans laquelle il promettait une réduction d’impôt pour les classes moyennes. Alors que cette promesse pourrait être perçue comme un coup de main solidaire envers cette tranche de la population, d’autres pensent qu’elle est en adéquation avec une politique qui n’a rien de sociale. Pourquoi ne pas faire confiance en une mesure qui, a priori, semble être généreuse ?
Une première raison vient du fait que la baisse d’impôt sur les classes moyennes ne fait que diminuer les fonds pour les services publics. Au lieu d’augmenter les taxes sur les superprofits, de lutter contre la fraude fiscale déguisée en optimisation fiscale, le président améliore le salaire net des classes moyennes en détruisant les structures qui rendent possibles la solidarité nationale. Et pourtant, les budgets de l’armée et de la police vont eux augmenter. Autant dire que le gouvernement français a fait son choix entre la sécurité et le social.
Une deuxième raison montre l’indifférence réelle de la situation des classes moyennes : la suppression de taxe comme celle sur les entreprises qui se font de gros bénéfices hors taxes, la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises). La suppression d’une telle taxe (ajoutée à la suppression de l’impôt sur la fortune) se traduit par un manque à gagner pour les services publics. Ces taxes auraient pu participer à la réduction d’impôt sur les classes moyennes. Mais, pour ne pas opposer deux classes, pour ne pas prendre aux plus aisées pour redistribuer à ceux qui en ont moins, le président fait des cadeaux fiscaux à tout le monde et met à mal un système qui repose sur l’entraide fiscale. Donc non, on ne peut se réjouir de cette baisse d’impôt. Pour connaître l’impact et la volonté d’une mesure gouvernementale, il faut analyser la manière dont le gouvernement fonctionne. Six années ont servi à analyser la politique macroniste et démontrent plus de violence politique que d’apaisement.
La tribune des philosophes Philippe Dardot et Haud Guegen accompagnés des sociologues Christian Laval et Pierre Sauvêtre tente de prendre du recul par rapport à la politique macroniste pour révéler sa nature violente. En effet, celle-ci ne serait que la continuité d’un héritage néolibéral aux allures thatchéristes. Le néolibéralisme est souvent perçu comme un pouvoir illimité du marché sans intervention de l’État. Mais la politique néolibérale semble très bien se conduire lorsque l’État assure justement cette liberté totale du marché tout en empêchant le peuple d’intervenir. Comme l’indique cette tribune, le plus grand ennemi de la finance reste la démocratie. Les inégalités sociales et les revendications des travailleurs sous-payés ou vivant des conditions de travail désastreuses sont des entraves à la liberté totale du marché. Ces contestations sont le terreau de toute démocratie. Elles sont les expressions de contre-pouvoirs qui rappellent au gouvernement que l’humain ne doit pas servir l’économie mais l’inverse. En critiquant les opposants de ses réformes qui seraient des ennemis du progrès, en les qualifiant d’amish ou de factieux, Macron crée de toute pièce des ennemis pour mieux les décrédibiliser. Seulement, si le président français ne veut pas s’embourber dans une situation d’extrême tension, il faudra qu’il fasse le choix du dialogue plutôt que celui d’une censure sociale au profit d’un libre marché sans entraves.
Alors comment mesure t’on le degré de violence politique d’un gouvernement ? Comment évaluer la justice d’une mesure qu’il a prise ? Nous pourrions tenter de résumer la violence politique comme il suit. La violence politique peut se mesurer par sa capacité à améliorer ou à saper les droits humains fondamentaux et leur universalité. L’idéal démocratique incarne ces droits qui donnent la possibilité au respect de la dignité humaine (accès à la santé, à l’éducation, permettre une égalité des chances, une aide aux plus défavorisés). Cet idéal est extrêmement complexe à atteindre et requiert un travail permanent de remise question. Il ne peut se réaliser qu’en agissant pour l’accès à ces droits fondamentaux pour toutes et tous.
En choisissant de rompre le dialogue avec le débat public pour privilégier la croissance économique, Emmanuel Macron fait le choix de la violence politique. Le trop plein de liberté accordé à certains détruit celle de la majorité. Le principe d’égale-liberté n’existe plus. En diminuant les seuls espaces de liberté disponibles, Macron s’expose à un retour de sa propre violence qui, comme celle-ci, ne passera pas par l’espace démocratique pour s’imposer.
La justice et les élites : deux poids deux mesures ? (Affaire Sarkozy, Tariq Ramadan)
Questions :
- Quelle est l'influence du médiatico-politique sur la justice ?
- Quelles sont les inégalités face à la justice ?
La semaine dernière eurent lieux deux affaires de justice. La première concerne Tariq Ramadan, Islamologue et écrivain influent, accusé par une femme de l’avoir violé, frappé et insulté en octobre 2008 dans une chambre d’hôtel à Genève. La seconde implique l’ex-président Nicolas Sarkozy, condamné ce 17 mai à trois ans de prison dont un an ferme. Quelle est le point commun entre ces deux affaires ? Ces deux cas mettent en exergue la toute-puissance de l’influence médiatico-politique sur la conduite de la justice.
Tout d’abord, nous pourrions nous réjouir de plusieurs aspects concernant ces deux procès. Dans le cas du procès de Tariq Ramadan, l’affaire est conduite par la justice Suisse a une procédure différente de la France. Comme le souligne Le Monde[1], « elle ne recommence pas l’instruction d’une affaire à l’audience ». Les propos de la victime sont analysés, répétés clairement par le procureur. Ceci afin de vérifier la cohérence des propos tenus par la victime. Ainsi, la vacuité des témoignages du polémiste Dieudonné, venu à Genève défendre Tariq Ramadan, ne devraient pas faire le poids face à des faits qui seraient cohérents. Nous pourrions donc nous réjouir d’une justice qui fait fi de l’influence médiatique des accusés et témoins pour mettre en lumière les faits et seulement eux.
En ce qui concerne le procès de Nicolas Sarkozy, certains éléments montrent une insistance de la justice face à un individu qui est impliqué dans plusieurs affaires : condamnation en 2021 à un an de prison dans l’affaire Bygmallion (financement illégal de campagne), affaire des financements libyens, affaire du « Quatargate » et du rachat du PSG et affaire Mimi Marchand. Même un ancien élu de la République ne peut se soustraire aux accusations qui lui sont lancées.
Cependant, dans ces deux cas de figures, l’influence des accusés pèse sur les procès. En effet, les moyens regroupés pour constituer leur défense ne sont pas les mêmes que ceux d’une personne aux faibles revenus et aux fréquentations moins élitistes. De plus, l’influence médiatique des accusés rend parfois le procès difficile lorsque l’opinion vient s’en mêler. Tariq Ramadan est soutenu par de nombreux fidèles qui, lorsqu’ils soutiennent massivement leur idole tout en invectivant la victime, peuvent semer le doute quant à la poursuite d’une affaire face à ces personnes influentes. Pourtant, ces personnes sont accusées de faits graves : viol, violence, corruption, détournement d’argent, financement illégal de campagne. Un individu lambda accusé de tels crimes ne serait pas plébiscité avec autant de ferveur. Dans le cas de Tariq Ramadan, c’est même l’extrême inverse que l’on peut témoigner. Les victimes sont parfois menacées, accusées de mentir. La victime, au lieu de bénéficier d’un certain soutient, devient la victime d’une nouvelle forme de violence. L'accusé devient quant à lui victime et se désigne comme la cible d'une attaque contre sa personne et son idéologie.
Ce mois de mai, François Ruffin, député de la France Insoumise, s’exprimait à l’Assemblée nationale. Il s’interrogeait sur l’inégalité face à la justice. Un caissier qui fait perdre un bon d’achat à son entreprise subit des répercussions immédiates. Une entreprise privée d’autoroute qui fait perdre des milliards aux contribuables français n’écope de rien, ni ceux qui ont pris la décision de privatiser les péages. La justice se doit d’être impartiale dans le traitement des accusés et doit les poursuivre avec autant de virulence qu’elle le ferait pour n’importe lequel des individus. Aucun traitement de faveur ne doit prospérer. L’immunité présidentielle devrait être questionnée. Est-ce parque que l’on est chef de l’État que l’on doit s’exempter de tels procès ? Il semble que non. Les moyens de la défense et des accusés doivent être les mêmes pour tous. L’influence médiatique et l’apport financier qu’elle engendre ne doit pas servir à créer des inégalités dans la défense d’une affaire judiciaire.
Nicolas Sarkozy a fait appel en cassation. La victime de Tariq Ramadan, acquitté ce mercredi 24 mai, va faire appel devant la chambre pénale d’appel et de révision de Genève. Tariq Ramadan et Nicolas Sarkozy ont tous deux droits à la présomption d’innocence et la justice se chargera de décider de leur sort. Mais, à observer le déroulement de tels procès et à voir les moyens qui sont mis sur la table pour constituer leur défense, il semble qu’il est plus que pertinent de questionner les inégalités qui règnent face à la justice.
Discours sur la violence : comment ne pas détruire le dialogue
Questions :
- De quelle manière la violence devient inneficace pour mener des combats politiques ?
- Comment celle-ci devient un manquement à l'exercice démocratique ?
Dans la revue de presse précédente, nous avions questionné la légitimité de la violence comme exercice de contre-pouvoir. Nous avions vu qu’il ne semblait pas légitime de condamner les violences de la rue tout en exerçant un pouvoir politique violent. Cependant, cela ne donne pas de légitimité à toute forme de colère et encore moins de violence. Certes, dans une société où seule la radicalité permet de s’émanciper des contraintes imposées par un gouvernement tyrannique, celle-ci est plus qu’envisageable. Seulement, la violence, peu importe sa provenance, ne peut servir le débat démocratique.
Ces dernières semaines, des scènes de violence se sont produites un peu partout en France et le débat se radicalise. Alors qu’il n’existe aucun doute sur le fait de condamner les violences d’extrême droite envers les associations d’aides aux exilés comme Utopia56 ou envers le maire de Saint-Brevin-les-Pins où un centre d’accueil de demandeurs d’asile devait être installé, d’autres formes de radicalités non-comparables sont tout de même questionnables. Que dire des menaces de décapitation scandées dans les cortèges (et par certains élus) ? Que penser des affiches où l’on voit Emmanuel Macron ressemblant à Adolf Hitler ? Ou de l’agression de son petit-neveu à Amiens lors d’une manifestation ? Certes, la colère est plus que compréhensible, Emmanuel Macron est un des déclencheurs de cette colère. Sa surdité face aux revendications de la rue et la répression lors des manifestations ont attisé le foyer de la haine et du ressentiment envers l’appareil politique actuel. Mais comment rendre la contestation possible si la surenchère est permanente ? Que fait-on une fois que l’on a qualifié les membres du gouvernement de tyrans, de « tous-pourris », de têtes à décapiter ? Aucune nuance ne résonne dans ces pensées. Aucun discours n’est possible après cela. Ces discours n’ont rien à voir avec une forme de désobéissance qui use de l’action directe pour faire respecter les paroles des chefs d’état sur les engagements qu’ils ne sauraient tenir. Ces discours se nourrissent d’une haine, autorise l’interprétation complotiste et empêche le changement de se faire par la prise de décision raisonnée. Car, même dans l’opposition, les idées d’un monde nouveau ne sont pas les mêmes. Même au sein de groupes socialistes les solutions diffèrent. Rappelons les querelles entre anarchistes et communistes, entre anarchistes individualistes et anarchistes communautaristes.
Comment alors changer les choses si le discours est saturé par une analyse biaisée de la réalité ? Certes, Emmanuel Macron est un président menant une politique néolibérale au profit des plus aisés. Plusieurs preuves nous permettent de dresser ce constat : suppression de l’impôt sur la fortune, suppression prochaine de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, refus de taxer les superprofits, prises de paroles maladroites sur les « gens qui ne sont rien »… Là sont les signes de son goût pour la croissance économique et son manque de sensibilité envers ceux qui en pâtissent. Seulement, peut-on le qualifier de tyran ou de dictateur ? Faisons attention aux mots que nous employons. Accusons les gens de ce qu’ils sont réellement pour mieux les discréditer et les combattre. La surenchère ne fait que diminuer le poids de la parole. Si toute parole devient exagéré, alors la parole sensée se noie sous l’invective permanente. Nous avons des exemples de tyran contemporains, Victor Orban et Vladimir Poutine pour ne citer qu’eux. Comparer Emmanuel Macron à l’un des deux seraient une erreur, tout comme comparer Orban à Poutine serait aussi un manque de nuance.
Références
Le Monde
« Le macronisme n’est pas violent par hasard »
Médiapart
Macron s’entête à baisser les impôts
Au procès de Tariq Ramadan, « la version constante, crédible et cohérente » de la plaignante
Autres sources
France inter radio : émission "Question politique" du 21/05
Émission C politique du 21/05