Remaniement ministériel.
Ce jeudi 20 juillet, le gouvernement français a procédé à un remaniement ministériel. Certaines figures emblématiques du gouvernement d’Emmanuel Macron conservent leur poste. Élisabeth Borne reste Première ministre, Gerald Darmanin ministre de l’Intérieur, Bruno le maire ministre de l’Économie et des Finances, Olivier Dussopt du Travail, Catherine Colonna des Affaires étrangères, Sébastien Lecornu des Armées. Parmi les nouvelles recrues, Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, Aurore Bergé, ministre des Solidarité et des Familles, Fadila Khattabi, ministre déléguée au Handicap, Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics, Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État à la ville, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale. Le choix des ministres est représentatif de la gestion de l’autorité politique. Bien que les compétences personnelles soient centrales dans la sélection des ministres, leur personnalité et leur comportement jouent aussi un rôle dans leur travail. Les ministres ne peuvent gommer totalement leurs traits personnels lorsqu’ils « endossent » le costume. Il faudrait être non-humain pour demeurer neutre et ne pas laisser son jugement personnel interférer avec ses décisions. Ou alors il faudrait être une figure divine, capable de savoir ce qui est bon pour l’Homme, car créateur de son espèce. Étant « seulement » humains, chaque ministre doit gérer les tâches de son ministère par ses compétences tout en analysant la société de façon biaisée, influencé en cela par une personnalité et un bagage social. Emmanuel Macron est conscient de la personnalité et du comportement de chacun de ses ministres. Le choix de son gouvernement traduit donc de sa manière de gérer le pouvoir. L’analyse de son ministère nous permettra de cerner les messages qu’il renvoie volontairement ou inconsciemment à ses citoyens.
Des doutes et des casseroles
Commençons par Gabriel Attal. L’ancien ministre des Comptes publics est désormais en charge de l’Éducation nationale. Cette nomination surprend car le nouveau ministre est un produit de l’école Alsacienne, école privée sous contrat dont les frais trimestriels s’élèvent à plus de 1000 euros. Il ne s’agit pas de discréditer une personne ayant bénéficié d’un soutien financier important pour accéder à des études privées. La question que nous pouvons nous poser concerne la capacité d’un homme, privilégié dans ses études et propulsé dans la sphère politique par ses relations, pour diriger un ministère censé favoriser l’égalité des chances de réussite. Le système éducatif est moyen qui doit permettre à tous les enfants, adolescents et jeunes étudiants d’accéder de manière égale à la connaissance et à de bonnes conditions d’apprentissage. L’école privée va à rebours de cette pensée. Elle permet à seulement certains d’accéder à un enseignement disposant de plus gros moyens. L’élitisme scolaire souligne un phénomène de classes et une ségrégation dès le plus jeune âge. Certes, il n’est nul besoin de vivre une situation pour s’y intéresser et souhaiter la transformer. Nous pouvons cependant nous demander si Gabriel Attal est sincèrement préoccupé par des problèmes qui ne furent pas les siens. Nous pouvons aussi nous demander s’il sera capable de supprimer des privilèges qui ont, eux, été les siens et qui l’ont aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui.
Vient ensuite Aurore Bergé, nouvelle ministre des Solidarités et des Familles. Ici aussi, l’ironie de cette nomination est palpable. La présidente du parti Renaissance a défendu fermement la réforme des retraites et vivement critiqué son opposition, l’accusant d’être la responsable d’un passage en force de la loi. Quelle solidarité se cache derrière une réforme qui fait travailler deux ans de plus tous les Français, dont certains ont déjà du mal à envisager la fin de leur carrière ? De quelle solidarité parle-t-on lorsque l’on reste sourd à la contestation de la majorité de la population ? La politique macroniste de la rentabilité semble très éloignée d’une politique de solidarité. Récemment, Aurore Bergé s’est exprimée sur une éventuelle réforme du congé maternité. Cette dernière souhaiterait le raccourcir et mieux le rémunérer parce que certaines femmes « voudraient parfois rester en emploi », ne pouvant pas se permettre de se payer cet arrêt. Pourquoi ne pas raisonner d’une façon plus solidaire ? Au lieu de diminuer le temps passé entre la mère et son enfant, pourquoi ne pas s’attaquer aux causes de la précarité de ces femmes ? Ces causes seraient-elles liées à une politique d’austérité défendue par la ministre ? En attendant, aucune augmentation financière du congé maternité ne saurait remplacer le temps consacré à la construction du lien entre enfant et parents. Voilà donc déjà des raisons de douter de la solidarité d’Aurore Bergé.
Enfin, que dire des anciennes et des potentielles futures casseroles des ministres du gouvernement ? Le conseil des ministres en est fourni : mise en examen d’Éric Dupond Moretti pour prise illégale d’intérêts, accusations de viol pour Gérald Darmanin, condamnation récente de Fadila Khattabi aux Prud’hommes, potentiel futur conflit d’intérêt entre le nouveau ministre de la Santé Aurélien Rousseau et sa femme, seconde de l’Assurance Maladie.
Le nouveau gouvernement ne renvoie pas une image d’exemplarité. Emmanuel Macron ne devrait-il pas prendre en compte l’image que renvoient ses collaborateurs ? Surtout si nous regardons les données sur la confiance des Français envers les membres du gouvernement. Selon le baromètre de confiance politique d’Euro Agency, la confiance envers Emmanuel Macron est à 43%, 38% pour Élizabeth Borne, 37% pour Bruno Le Maire, 23% pour Olivier Dussopt.
Un devoir d’exemplarité
Nicolas Machiavel, célèbre théoricien politique de la Renaissance et ancien conseiller pour la République de Florence, traite de l’exemplarité en politique. Dans le Discours sur la première décade de Tite-Live, il décrit l’importance des bonnes mœurs, créatrices de bonnes lois qui, à leur tour, influencent les bonnes mœurs. Seules les bonnes intentions peuvent être à l’origine de bonnes lois, c’est-à-dire de lois défendant l’intérêt commun. Ces lois-là ne peuvent être appliquées correctement par un gouvernement dont le pouvoir est corrompu par des individus aux intérêts contraires à l’esprit de ces lois. Surtout si les voix qui s’élèvent contre cette corruption (contre-pouvoirs) sont ignorées ou empêchées par le gouvernement. La création d’un texte de loi se fait par le dialogue et tient compte des oppositions, symboles de l’expression de l’intérêt d’une partie de la population, elle-même essentielle à la constitution des règles d’une société. Si le pouvoir exécutif ne respecte pas l’esprit des lois, profitant des privilèges du pouvoir pour s’exempter de leur devoir de citoyen, il devient corrompu et inefficace.
Le point de vue de Machiavel n’est pas éloigné de celui que portent les citoyens sur le corps politique. Les élus se doivent d’être exemplaires et chaque écart les éloigne de la fonction politique. Adrien Quatennens s’est mis en retrait de son poste de coordinateur à la France Insoumise après avoir avoué avoir mis une gifle à sa femme. Julien Bayou s’est mis en retrait de la coprésidence du groupe écologiste à l’Assemblée à la suite de signalements d’harcèlement sexuels le concernant. Certains ministres ont dû démissionner après avoir commis des fautes moralement inacceptables : Jérôme Cahuzac, ex-ministre du Budget, après la révélation de ses comptes à l’étranger ; Richard Ferrand, ex-ministre de la Cohésion des territoires, dont la société « Mutuelles de Bretagnes » fut accusée de détournement de fonds publics ; Damien Abad, ex-ministre des Solidarités, ciblé par une enquête concernant un viol par le parquet de Paris. D’autres sont partis volontairement, impliqués dans des affaires qui ternissaient l’image du gouvernement : François de Rugy, ex-ministre d’État à la Transition écologique, épinglé par Médiapart pour ses nombreux repas fastueux (homard, champagne), Marlène Schiappa, ex-secrétaire d’État chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, affaiblie par l’affaire des Fonds Mariannes (voir revue de presse du 12 juin 2023). Le devoir d’exemplarité existe bel et bien au sein de nos institutions. Il est essentiel. Le jugement moral pesant sur les élus joue un rôle de contre-pouvoir. Lorsque des révélations importantes et nombreuses ciblent certains individus politiques, ces derniers ne peuvent continuer à exercer leurs fonctions. Ainsi, il faut encourager le plus de transparence possible. Le comportement privé et la personnalité de chaque ministre jouent sur leurs prises de décision. On ne peut être ministre du Budget si l’on commet la fraude sociale. On ne peut être ministre de l’Écologie en prenant l’avion régulièrement et en conduisant un 4x4 en ville.
Pour surveiller les élus, des associations comme Anticor luttent contre la corruption du gouvernement et des élus. Cette association est désormais en danger après avoir perdu son agrément, c’est-à-dire sa capacité à représenter la société dans des procès de corruption, d’emplois fictifs… (voir revue de presse du 19 juin 2023).
Un choix symbolique
Quel message se cache derrière la nomination des ministres d’Emmanuel Macron ? Commençons par la reconduction d’Éric Dupond-Moretti, mis en examen pour prise illégale d’intérêts. En 2017 pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron disait qu’un « ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen ». Lors de cette affaire, le président français a toujours soutenu le ministre et essayait de justifier une attaque contre son autorité politique. Cette excuse non-argumentée est bien commode. Il semble que sous le gouvernement Macron, les fautes politiques ne résultent que rarement en mea culpa ou par la condamnation de leurs auteurs. Au lieu de cela, la faute est renvoyée au camp adverse. Lorsque les banlieues brûlent, aucune remise en question n’est perceptible au sein du gouvernement, responsable en partie de la crise sociale des quartiers populaires. La faute est renvoyée aux familles, aux enfants violents qui joueraient trop aux jeux vidéo. Lorsque la violence est montée d’un cran lors des manifestations contre la réforme des retraites, le gouvernement aurait pu prendre note des diverses revendications, apercevoir la détresse de certains corps de métiers qui demandaient depuis plusieurs années de meilleures conditions de travail et qui, au lieu de cela, doivent travailler deux années supplémentaires. La cause de cette violence est rejetée sur les partis de gauche qui, selon les députés de la majorité, jetaient de l’huile sur le feu. Le maintien d’Éric Dupond-Moretti n’est pas surprenant. Il est le symbole du manque de remise en question du gouvernement et de sa stratégie de diversion.
Pour le reste de son gouvernement, il ne faut pas non plus s’étonner de l’image technocrate qu’il renvoie. Emmanuel Macron veut des ministres qui ne « parlent pas dans le poste ». Le président veut de l’efficacité. Le problème vient de cette notion d’efficacité qui est plus rattachée, dans le vocable du gouvernement, à l’application sans concessions de réformes sévères, souvent aveugles au vécu et au ressenti des citoyens. Elizabeth Borne reste à son poste de Première ministre, tout comme Olivier Dussopt au ministère du Travail. Ils ont tous deux été « efficaces » aux yeux de Macron sur le sujet de la réforme des retraites. Ils ont réussi, contre vents et marées, alors que tout sondage allait contre cette réforme, alors que le vote au Parlement leur semblait défavorable, à maintenir ce projet et à faire passer cette loi. En choisissant des technocrates, Emmanuel Macron continue d’adopter une politique du chiffre plutôt qu’une politique humaniste et soucieuse des problèmes endurés par une partie de la population. Seulement, derrière les chiffres se cachent des réalités bien plus complexes qui subissent la loi du calcul. En faisant des moyennes, en tronquant, en adoptant des réformes sans écouter, ceux qui sont déjà en marge de la société ne font que s’en éloigner davantage.