Revue de presse philosophique semaine du 12/06/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 12 au 18 juin 2023

    Lutter contre la fraude sociale : ne pas se tromper d'ennemi.

    Les faits

    Le chef de l’Etat l’avait annoncé il y a plusieurs mois, il faut « lutter contre toutes les formes de délinquance, contre toutes les fraudes, qu’elles soient sociales ou fiscales ». Emmanuel Macron a promis de durcir la lutte contre tout type de fraude et c’est son ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, qui a entamé cette lutte en s’attaquant à la fraude sociale. Plusieurs mesures ont été annoncées ce 29 mai, toutes faisant partie d’un plan qui devrait aider l’Etat à faire des économies de plusieurs milliards d’euros. Même si la cour des comptes affirme ne pas pouvoir donner le chiffre exact de la fraude sociale, son estimation s’élèverait à une quinzaine de milliards d'euros par années. Parmi la fraude sociale figurent deux types de fraude. La première, la fraude aux cotisations et aux contributions sociales, serait à hauteur de 8 milliards d’euros par an. La seconde, la fraude aux prestations sociales, varierait entre 6.8 et 7.5 milliards d’euros par an. Elle est composée de la fraude aux allocations familiales (2.8 milliards), aux prestations retraites (200 millions) et à l’assurance maladie (3.8-4.5 milliards).

    Cette somme de 15 milliards n’est pas négligeable et Gabriel Attal compte bien jouer sur le sentiment d’injustice que peuvent ressentir les classes moyennes qui paient leurs impôts sans véritablement en voir les fruits. Cependant, opposer classes moyennes et fraudeurs du social est un jeu dangereux. Le terme de fraude sociale est souvent mal compris, et rapidement sont pointés du doigt les allocataires du RSA (Revenu de Solidarité Active) qui ne déclarent pas des journées de travail, les retraités qui ne déclarent pas l’intégralité de leurs ressources pour percevoir un minimum vieillesse ou encore les locataires qui ne déclarent pas leur conjoint pour percevoir des aides au logement. Mais ce genre de fraude est minoritaire par rapport à celle des patrons qui trichent sur les cotisations patronales et celle des professionnels de santé qui surfacturent leurs prestations. Ces deux types de fraude représenteraient les trois quart de la fraude sociale. Lutter contre la fraude sociale n’est donc pas véritablement un enjeu de droite puisqu’elle surveillerait des professions médicales et les patrons des entreprises. Cependant, plusieurs choses sont à constater.

    D’abord, la lutte contre la fraude fiscale semble être un prétexte pour aller chasser les petits fraudeurs et durcir des réformes comme celle du RSA. Bien que Gabriel Attal annonce aussi un durcissement des mesures pour surveiller les surfacturations médicales, il semble que ceux qui perçoivent le RSA doivent eux aussi rendre des comptes d’une autre manière, en allant travailler 15 à 20h par semaine (voir la revue de presse du 22 mai). Il ne s’agirait pas de se tromper de cible.

    Ensuite, il faut savoir que beaucoup de personnes ayant droit aux aides sociales ne le font pas. Il y aurait environ 34% de « non-recours » sur des allocations comme le RSA, ce qui représente des milliards d’euros que le gouvernement ne donne pas chaque année. Certes il faut veiller à faire respecter les cotisations et l’honnêteté quant aux prestations sociales. Seulement, les individus concernés sont parfois ceux qui réclament plus de moyens. Les bénéficiaires du RSA sont le plus souvent en détresse financière, s’acharner à les poursuivre pour quelques fausses déclarations semble malséant. Mais surtout, que dire de la fraude fiscale qui, elle, concerne les personnes les plus fortunées de France qui ne payent pas l’intégralité de leurs impôts ?

    La fraude fiscale représente entre 80 et 100 milliards d’euros en France selon le syndicat Solidaires Finances publiques. Gabriel Attal se félicite d’avoir récupéré 14,6 milliards d’euros, mais ce chiffre est bien trop faible. L’évasion fiscale n’est possible que parce que la politique des pays qui perdent cet argent le permet. L’économiste Gabriel Zucman le déplore : « les gouvernements n’ont guère brillé jusqu’à présent par leur audace ou leur détermination ». La politique du président Macron ne témoigne d’aucune volonté politique d’éradiquer la fraude fiscale puisqu’il a adopté des mesures qui profitent aux plus riches, voir à ces mêmes personnes qui font de l’évasion fiscale : baisse de l’impôt sur les sociétés (de 33% à 25%), remplacement de l’impôt sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), l’adoption de la flat taxe sur les revenus du capital. Comme le dit Zucman sur C politique en décembre 2021 : « In fine les plus grands gagnants du quinquennat ce sont les 1% les plus riches ». La politique menée par le gouvernement actuel n’inquiète pas les gros fraudeurs. Les fortunes les plus considérables de France ne paient que peu d’impôt en comparaison au français moyen. En effet, si l’on regarde l’impôt des 370 ménages les plus fortunés en comparaison avec leurs revenus économiques, il ne dépasse pas les 2%. Et pourtant, dans l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est écrit que « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

    Certes, l’ISF était un impôt inutile, qui taxait d’avantage les classes moyennes supérieures que les ultras riches. Cependant, Macron n’a pas poursuivi la suppression de l’ISF par des mesures concrètes censées taxer réellement les grandes fortunes. Le message politique est clair et la volonté du gouvernement aussi. La fraude fiscale n’est pas l’enjeu principal d’un gouvernement qui a clairement choisi le camp d’une politique ultralibérale. Pourtant, des solutions existent selon Zucman : taxes douanières pour les pays qui ne coopèrent pas dans la transparence financière, taxe sur les capitaux, cadastre financier international. Les Etats auraient les moyens de lutter contre les paradis fiscaux. Ces pays où la fiscalité est basse sont le plus souvent de petits territoires qui ne peuvent pas vivre sans des accords d’échanges internationaux. Une coalition internationale permettrait de mettre la pression sur ces pays pour qu’ils coopèrent sur les données bancaires afin que les avoirs placés sur leurs comptes soient dument taxés. Pour cela, de véritables efforts politiques sont nécessaires. L’évasion fiscale en France traduit simplement la coopération politique avec ces fraudeurs. La base légale permet à certaines personnes très fortunées d’échapper aux lois fiscales. Ce manque à gagner est colossal et permettrait au reste des Français d’avoir des services publics de meilleure qualité ou de payer moins d’impôt.

     

    Qu'en penser ?

    Encore une fois, la légitimité de l’autorité politique du gouvernement français est remise en question. L’opacité financière est facilitée par le manque d’effectivité des politiques des pays qui la subissent. Le manque de radicalité du gouvernement français face à la fraude fiscale concerne la quasi-totalité des Français. Et parmi eux, personne ne voterait pour un président qui n’agit pas pour récupérer de l’argent qui est volé à l’Etat français et donc à ses contribuables. Seulement, cette inaction est masquée par des pseudos luttes contre l’évasion fiscale qui font semblant de s'en prendre à ces fortunes envolées. Un travail de vulgarisation économique est nécessaire. Il faut rappeler ce qui se passe dans les paradis fiscaux, il faut nommer les grands fraudeurs qui sont épinglés, dénoncer avec force les fortunes qui font défaut à l’effort national. Les faits sur ces grandes fortunes doivent prévaloir sur les fantasmes concernant les petits fraudeurs.

    En ce qui concerne le philosophe, sa tâche est de s’imprégner de ces faits économiques et sociaux. L’examen de la volonté politique ne peut se faire qu’en observant les actions menées par un gouvernement et le résultat de ses actions sur la société. Une fois que le constat des faits économiques est présenté, il faut composer avec. Mais ces faits doivent ressortir et exposer les incompétences de ceux qui gouvernent. Tout comme pour l’enjeu climatique, l’enjeu des inégalités doit être abordé avec de la radicalité. La radicalité n’implique pas un manque de réflexion. Elle doit suivre la réflexion une fois que les faits sont relatés. Les fraudeurs arriveront toujours à contourner un système qui n’est pas radical. Plusieurs mesures ont déjà été prises pour contrer l’opacité financière. Mais tant que nous n’imposons pas des mesures fortes, les exceptions qui perdurent sont des portes de sorties pour ces fraudeurs. Le gouvernement est complice de cette fraude en empêchant des mesures radicales de voir le jour. Il devrait rendre des comptes régulièrement sur cette inaction et être condamné pour ses fautes. Nous, citoyens, sommes tenus de respecter des règles et de ne pas briser l’ordre social. Comment ne pas alors condamner un gouvernement qui accentue les inégalités en laissant la porte ouverte à la fraude fiscale et en aidant les plus fortunés à échapper à l’effort commun ?

     

    Fond Marianne : de l'usage d'une fausse honnêteté

    Les faits

    Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative, a été entendue mercredi par la commission sénatoriale sur le fond Marianne. Ce fond avait été créé en 2021 en réponse à l’attentat terroriste d’octobre 2020 dont la victime était Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, décapité par un fanatique religieux. L’enseignant avait montré deux caricatures de Charlie Hebdo à ses élèves dix jours auparavant pour l’enseignement moral et civique. Son assassinat provoqua la colère de nombreux enseignants qui estimaient que Samuel Paty n’avait pas été suffisamment protégé. Marlène Schiappa créa le fond Marianne quelques mois plus tard, dans le but de financer des associations qui luttent contre des discours de haine ou qui font l’apologie du séparatisme, notamment sur les réseaux sociaux. Toute association allant dans cette direction est donc susceptible d’être financée. Ce fond était dirigé par le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR), avec à sa tête Christian Gravel. Au total, 2.2 millions d’euros ont été reversés à 17 structures. Récemment, ce fond a été pointé du doigt pour mauvaise gestion sur les méthodes d’attribution et de distribution. Aucun contrôle n’avait lieu lors de la gestion de ce fond, une enquête a donc été ouverte par l’Inspection Générale de l’Administration (IGA). Celle-ci a constaté un manque de transparence de l’appel à projet. Cette enquête fait suite à une investigation du Journal Marianne (ne pas confondre avec le fond) qui a révélé au grand jour qu’une grosse somme d’argent avait été versée à une association n'étant pas experte sur les questions de laïcité. Cette association se nomme USEPPM (Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire), elle a perçu 355 000 euros. Christian Gravel défend ce choix en disant que la présence de son directeur, Mohammed Sifaoui, est une « caution scientifique ». Pourtant, le journaliste, expert de la lutte contre l’islamisme radical, est une figure controversée. Lui et son associé Mohamed Karunageran ont touché des sommes importantes, liées à une fonction à temps plein alors qu’il a déjà une fonction de consultant. L’accusé répond qu’il a « une capacité de travail supérieure à la normale ». Ce qui n’a évidemment pas convaincu les Sénateurs.

    Autre association touchée par l’enquête, Reconstruire le commun a bénéficié de 300 000 euros du fond Marianne. Selon Médiapart, « cette association venait d’être créée et n’avait aucune activité connue ». De plus, on retrouve dans cette association des discussions de jeunes militants macronistes qui cassent du sucre sur le dos des opposants politiques d'Emmanuel Macron en pleine campagne présidentielle. Cette association aurait-elle perçu de l’argent par favoritisme ? Dans tous les cas, elle ne figure clairement pas parmi les associations les mieux préparées pour répondre aux enjeux de lutte contre le séparatisme.

    En résumé, deux associations ont perçu presque 700 000 euros sans que leur contenu ait été méticuleusement contrôlé. Marlène Schiappa, initiatrice de ce projet qu’elle annonçait fièrement sur les plateaux radios, nie toute implication dans la gestion de ces fonds. Elle ne saurait pas ce qui se serait déroulé au sein de son cabinet, ne connaitrait pas les échanges qui eurent lieu. Aucune personne de son cabinet ne l’aurait informée. Elle aurait oublié certaines choses. Mais, malheureusement pour elle, une preuve vient montrer qu’elle était au courant de la somme donnée à l’USEPPM. Un mail du 6 avril 2021, soit quelques jours avant l’existence du fond Marianne, l’ancienne ministre a envoyé un mail concernant une subvention de plus de 300 000 euros pour cette association, somme qu’elle jugeait « énormissime ». Enfin, son ancien directeur de cabinet, Sébastien Jalet, a confirmé qu’elle était intervenue personnellement dans le dossier de SOS racisme, à qui elle avait refusé des subventions. Cela prouve que Marlène Schiappa était impliquée dans la gestion financière de ce fond.

     

    Qu'en penser ?

    Que nous dit cette affaire ? Tout d’abord, il faut féliciter un système qui, même s’il ne le fait pas de manière systématique, rappelle les membres du gouvernement à l’ordre. Un système qui fonctionne est celui qui remet en cause les actions de n’importe quel membre de la République lorsqu’elles ne sont pas en adéquation avec ses valeurs, qu’il s’agisse d’un élu ou non. Ce que nous montre aussi cette enquête, c’est une certaine ironie. Développons. Marlène Schiappa, même si les preuves prouvent l’inverse, dit qu’elle est innocente parce que non-impliquée dans le dossier. Son aveu est clair : elle avoue son incompétence dans sa mission. Elle-même à l’origine de ce projet dit ne pas avoir été au courant des affaires de son cabinet. Une chef de cabinet qui ne sait pas ce qu’y s’y trame est en effet plus qu’incompétente. Ce qui est ironique ici, c’est l’aveu de l’incompétence pour s’extirper d’une culpabilité bien plus à charge, celle d’être responsable d’une gestion de fonds catastrophique qui a favorisé des associations qui n’ont aucune compétence dans le projet initial. L’ironie est là : la seule fois où un membre du gouvernement Macron avoue son incompétence est pour cacher sa culpabilité sur une affaire sensible et pour ne pas prendre ses responsabilités quant à ses actions. Encore raté ! Nous aurions tant aimé un aveu de la sorte sur la réforme des retraites qui, d’après le Conseil d’orientation des retraites, n’atteindra pas les objectifs prévus. On aurait aimé un président qui avoue son incompétence sur le sujet de la santé, du social, du logement. On ne pourrait qu’apprécier entendre le chef de l’Etat s’excuser de son incompétence pour réduire les inégalités qu’il ne cesse de creuser par ses mesures. Au lieu de cela, nous avons un gouvernement droit dans ses bottes, ne se questionnant jamais. Et quand, enfin, l’un de ses membres avoue son manque de sérieux et sa défaillance, c’est pour mieux mentir. Les preuves le montrent, Marlène Schiappa était au courant de ce qui se passait dans son cabinet. La secrétaire d’Etat aurait pu être incompétente mais honnête. Elle n’est finalement qu’incompétente. Il est triste de constater que l’honnêteté n'est plus qu’un moyen et non une fin. Certes, être honnête ne signifie pas être bon. Silvio Berlusconi était honnête, il n’hésitait pas à faire des déclarations homophobes et misogynes. Il s’attaquait aux juges, injuriait ceux qui ne votaient pas pour lui en les traitant de couillons. Et pourtant, il a été élu trois fois président du conseil. L’honnêteté et l’authenticité de son discours ont pourtant séduit. Le discours de Marine le Pen attire aussi les foules, elle dirait tout haut ce que certains pensent tout bas. Malgré la notoriété de ces figures d’extrême droite, l’honnêteté nous permet de connaître le fond de la pensée politique de chacun. La pensée du Rassemblement National est dévoilée lorsque ses membres crachent leur venin sur les questions migratoires. La langue de bois est bien plus dangereuse que l’honnêteté d’un xénophobe. Elle permet de faire des promesses sans les tenir, elle permet d’esquiver les questions pour ne pas révéler le fond de sa pensée. Il est plus difficile de combattre un danger lorsqu’il n’est pas défini correctement.  Nous ne sommes pas dupes, la politique macroniste n’a plus grand-chose à cacher en agissant comme elle le fait. Mais en n’avouant pas qui il est, le camp qu’il défend et les gens qu’il combat, le gouvernement actuel continue de faire des dommages en naviguant dans le flou de son image.  

     

     

    Références