Rétrospective 2023

Rétrospective des principales thématiques des revues de presse.

    Cette revue de presse sera la dernière de l’année mais aussi la dernière… tout court ! Nous profiterons donc de cet ultime article pour faire une rétrospective des thèmes que nous avons abordés depuis mai. Pour rappel, les anciens articles avaient pour but de décrire, à partir d’une information liée à l’actualité politique française, un questionnement philosophique lui étant lié. La philosophie politique est un domaine de réflexion qui, selon ses auteurs, peut présenter plusieurs visages. Certains philosophes ne s’appuieraient jamais sur de tels faits sauf pour exemplifier la construction d’une théorie philosophique politique qui, elle, fait abstraction du réel. Pour les métaphysiciens ou les moralistes en faveur d’une société de la « Raison » ou de la « Vérité », le réel importe peu et ne peut être utile à la construction de nos rapports humains et donc à la politique. Par cette approche, cette philosophie se place au-dessus du politique et, par des démonstrations logiques, tente de trouver LA théorie qui incarne la Vérité ou la Raison, théorie universelle et ainsi incontestable qui devrait s’appliquer à chaque société pour que Justice et paix soient possibles. L’approche philosophique que nous avons défendu via les revues de presse est différente puisqu’elle met en avant des faits politiques et sociétaux pour tenter d’expliquer des pensées philosophiques qui s’affrontent. Bien qu’en philosophie, plusieurs courants opposés revendiquent une approche théorico-pratique, il nous semble plus efficace d’effectuer un aller-retour entre les faits et les idées. Nous partons des faits pour dénicher les pensées qui s’y cachent derrière et nous les décortiquons pour trouver des solutions transposables dans le réel. Ce travail consistait donc en partie à traduire des faits politiques en pensées politiques pour mieux les analyser par la suite.

     

    La légitimité de l’autorité politique.

    Le sujet qui est le plus revenu est celui de l’autorité politique. Les mesures du gouvernement français présentes dans les revues de presse étaient, pour la plupart, fortement contestée et présentaient parfois des effets jugés catastrophiques pour les domaines social et environnemental. Puisque les faits peuvent nous heurter personnellement et mener à des conclusions hâtives, il nous a semblé essentiel de les décrire en plusieurs temps. Les revues de presse commençaient par la description brute des faits. Y figuraient le lieu, les acteurs, les conséquences avérées, les conséquences anticipées, les potentielles victimes… Ce premier temps est celui de l’information et doit être le plus neutre possible (même si le choix des sujets, souvent critiques envers le gouvernement, peut indiquer un positionnement idéologique). Le deuxième temps de ces articles était fréquemment le lieu d’une extraction des idées politiques liées aux faits tandis que le troisième temps, plus libre, procédait à la critique (cette fois ci personnelle) de ces idées. Les revues de presse traitaient souvent de l’autorité politique, les décisions gouvernementales étant souvent fortement critiquées en France et perçues comme non-légitimes.

    Le gouvernement Français a donné matière à discuter de la légitimité de l’autorité politique. La fragilité démocratique sur laquelle reposent les institutions de la République française est une cause importante des contestations régulières des mesures politiques du gouvernement actuel. Élu avec seulement un quart des voix, le président français, qui possède un pouvoir exécutif conséquent, peut mener à bien son projet politique malgré son faible score aux élections. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait qu’une grande partie du pays se soulève quand ses droits fondamentaux sont affectés par la politique libérale du chef de l’État (lors des épisodes des Gilets jaunes ou de la réforme des retraites). Le président peut user d’articles de la Constitution pour faire passer en force son projet contre une opposition trop grande. Ce fut le cas lors des multiples utilisations de l’article 49.3, ce dernier permettant à l’exécutif de contourner le vote des députés de l’Assemblée nationale (pouvoir législatif). Si la stratégie de diversion du gouvernement est de pointer du doigt les extrêmes en les accusant d’être les fossoyeurs de la démocratie, leur comportement nous suffit à comprendre qui sont les véritables auteurs de ce déclin. Le taux d’abstention en France est conséquent pour chacune des élections : 21,3% pour les élections présidentielles, 51,3% pour les législatives, 65,7% au second tour des régionales, 55,4% pour les municipales. Pour traduire, plus d’un français sur deux ne va pas élire les députés, les conseils régionaux ou les maires. Lors de la dernière élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron a récolté 18,7 millions de voix, Marine Le Pen 13,2 millions, tandis que presque 17 millions ne sont pas allés voter. Non seulement l’autorité politique ne possède aucune légitimité démocratique mais elle participe aussi à l’éloignement des Français des urnes en usant excessivement de mesures comme le 49.3. En effet, si les députés ne peuvent pas voter des lois sur le budget, sont-ils en mesure de défendre nos intérêts ? Pourquoi les élire ?

    Il semblait donc essentiel de présenter ces chiffres. Ils rappellent à chacune et à chacun que les mesures prises par ce type de gouvernement ne représentent les intérêts que d’une faible partie de la population qui, elle, a des cartes à jouer dans la politique libérale d’Emmanuel Macron. Ils rappellent que ce système dit « représentatif » ou « législatif » ne représente plus grand monde. Il n’est donc pas surprenant que la contestation politique passe de plus en plus par des luttes qui s’écartent de la politique politicienne. Ceux qui défendent ou croient encore en ce modèle accusent occasionnellement les abstentionnistes d’être les responsables de la gouvernance des capitalistes (argument des démocrates de gauche) ou de la montée des extrêmes (argument des démocrates de droite) qui ont, eux aussi, un coup à jouer au sein de cette colère générale. Mais la déception ne sort pas de nulle part et a ses raisons. Sous Emmanuel Macron, il était possible d’entendre des constats et des diagnostics déjà fait sur l’écologie ou les banlieues. Plutôt que d’agir concrètement, le gouvernement préfère commander de nouveaux diagnostics qui nous diront encore les mêmes choses. En plus de l’inaction, les scandales politiques n’aident pas à redorer l’image du monde politique français (conflits d’intérêts, fraude fiscale, corruption…). À cela s’ajoute le pouvoir écrasant et imparable conféré aux membres du gouvernement. Malgré leur manque de légitimité, ces derniers parviennent à mettre en place des politiques écocides et sources d’inégalités sociales. L’impossibilité pour les citoyens de contester de façon efficace les décisions du gouvernement en dehors de l’Assemblée (lors des manifestations, via les associations ou les syndicats) n’induisent pas le respect d’un système politique sourd aux revendications.

    Le manque de légitimité est un problème qui en amène d’autres. Puisque les oppositions deviennent plus importantes et se diversifient en s’écartant des partis politiques qui fédèrent normalement l’opinion et la lutte, le gouvernement se rigidifie. La peur de cette diversité d’opinion et le climat de contestation donnent de la force à l’argumentation autoritaire. Pour aller au terme de leur politique face à une opposition trop importante, la répression policière et les passages en force politique sont les outils que le gouvernement peut utiliser.

     

    La désobéissance civile

    Dans l’imaginaire français, la légitimité de l’autorité politique repose majoritairement sur un argument volontariste. C’est-à-dire que l’obligation politique est justifiée si une grande majorité de la population y consent. Puisque ce consentement est impossible à obtenir par la voie démocratique empruntée par nos institutions politiques, l’autorité politique n’est pas légitime. Le gouvernement tente tant bien que mal de faire valoir d’autres justifications de l’obligation politique. De temps à autre, ils usent de la rhétorique déontologique visant à promouvoir leurs décisions, considérées plus justes que celles de leurs adversaires. Cette situation était observable lors de l’épisode de la réforme des retraites. Le gouvernement soutenait la « justice » et la « justesse » de sa proposition de loi alors que la grande majorité de la population s’y opposait. Mais cet argument peinait à se faire entendre tant les opposants démontraient l’injustice de cette réforme. Si les arguments déontologiques et volontaristes ne sont pas valables, alors il n’existe aucune justification de l’obligation politique.

    Chaque citoyen est détenteur d’un pouvoir politique en tant qu’il est une source d’interaction et de choix humains. Si le gouvernement n’est pas capable d’appliquer les décisions pour lesquelles il a été élu ou n’est plus qu’une pâle figure de la démocratie (une grande partie de la population ne va plus voter), ce pouvoir politique doit s’exprimer ailleurs. Nous retrouvons des expressions de ce pouvoir au sein des manifestations, lors d’initiatives locales visant à améliorer les conditions de vie des habitants concernés, au sein d’associations qui défendent le vivant sous toutes ses formes, mais aussi à travers des actes de désobéissance civile. Cette dernière forme de contestation suscite de nombreux débats puisqu’elle exprime un mécontentement par des actions qui ne sont pas en conformité avec la loi. Deux visions de la Justice s’affrontent donc. La première est celle du gouvernement, qui pense avoir l’avantage d’être inscrit dans l’esprit républicain en tant qu’élu. La seconde conteste à la fois la légitimité d’un gouvernement qu’elle pense illégitime, mais aussi les décisions qu’il prend. La force de ceux qui prônent la désobéissance civile vient de la fragilité de la légitimité démocratique du gouvernement qu’elle affronte. En effet, si le gouvernement et tous les élus avait été choisi par 80% des électeurs français et que le taux d’abstention ne dépassait pas les 5%, la désobéissance civile n’aurait que peu d’ampleur et serait fermement condamnée par la majorité. Or, ce n’est pas ce que nous avons pu observer ces dernières années. Des centaines de milliers de Français ont participé et/ou encouragés des mouvements de désobéissance civile comme celui des Gilets jaunes (obstruction de rond-point, destruction de radars, de vitrines, de poubelles, affrontement avec la police). Ce mouvement a pris beaucoup d’ampleur parce qu’il a concilié plusieurs luttes et a encouragé tous ceux qui s’opposaient à la politique du gouvernement à aller dans la rue. Le soutien à ce mouvement, qui pourtant relevait souvent de la désobéissance civile, était important (plus d’un français pendant la quasi-totalité du mouvement). Ce soutien est justement majoritaire puisqu’une majorité de la population ne se retrouve pas dans la politique actuelle et dans les décisions qui sont prises. Il existe en parallèle plusieurs raisons à cette contestation, qu’elles soient idéologiques ou qu’elles relèvent d’une défiance envers les politiciens en général ou d’un ras-le-bol d’une vie précaire. Tous ces mouvements convergent alors lorsqu’un mouvement parvient à exprimer toutes les formes de mécontentement.

    En réponse à cette colère, le gouvernement, se pensant légitime, répond par la force et la violence. Beaucoup de lois sont adoptées sans être votées, les manifestations sont réprimées tout comme les tentatives de désobéissance civile. Les représentants de la police et de l’État se défendent en se présentant comme les défenseurs de la République et de la démocratie. Ce dont ces personnes ne se rendent plus comptent est l’absence de toute démocratie au sein de l’organe politique qu’ils incarnent et défendent. En l’absence de toute légitimité, l’autorité politique ne repose donc plus que sur des mots vidés de leur sens premier.

    La désobéissance civile n’est que l’enfant du manque de légitimité de l’autorité politique. Sans cela, elle ne pourrait pas exister. Certes, au sein de toute démocratie exemplaire, qui parviendrait à fonctionner aussi parfaitement que ses défenseurs l’espèrent, la désobéissance civile serait faible. Le gouvernement, si véritablement représentatif, est l’incarnation de la voix politique de citoyens conscients des représentants qu’il élit et des décisions qui seront prises par la suite. Un système démocratique sain est celui au sein duquel chaque citoyen est consentant, c’est-à-dire éclairé du choix qu’il fait. Mais peut-on prétendre aujourd’hui en France fonctionner sous un régime qui permet à chacun de s’informer correctement sur les mesures qui sont prises, qui donne au vote blanc (vote de contestation) un véritable poids électoral, qui favorise l’égalité des chances, qui est soucieuse de la santé et de l’épanouissement de ses citoyens ?

    La centralisation de la politique française, le pouvoir exécutif fort du président et la rhétorique politicienne perturbent la possibilité pour un citoyen d’être un acteur dans la construction du pouvoir législatif. La centralisation du pouvoir étouffe la voix de l’électeur et l’empêche d’agir concrètement sur des situations le concernent. Il existe bel et bien des élus locaux. Mais ceux-ci sont souvent impuissants face aux décisions du président qui prévalent sur les leurs.

    La désobéissance civile actuelle, en tant que ses acteurs sont nombreux, est-elle une transition politique vers un nouveau système ? L’évolution et le résultat de ses luttes nous le diront. Ce qui semble certain, c’est que la surdité du gouvernement et sa tendance à s’embourber dans un système qui n’a de représentatif que le nom n’amènera qu’à la progression de la désobéissance civile. Le seul moyen de s’en écarter sera de changer d’attitude ou de modèle démocratique, ce qui est loin des préoccupations du gouvernement français.