Revue de presse philosophique semaine du 08/05/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 8 au 14 mai 2023

 

    L’extrême droite montre les dents

     

    Questions de l’article :

    ·       Doit-on interdire l’expression d’ultradroite ?

    ·       Que faire lorsque le dialogue politique n’est pas possible ?

     

    Dimanche dernier, Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti écologiste français Europe Ecologie Les Verts (EELV), a attaqué frontalement la chaîne de télévision CNews et l’hebdomadaire Valeurs Actuelles en se demandant s’il ne faudrait pas les interdire. Ces deux médias sont connus en France pour leur contenu souvent réactionnaire et s’intéressant principalement aux questions pouvant susciter des polémiques. Ils incarnent la pensée d’extrême droite en France. Le propriétaire de CNews n’étant autre que Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire du groupe Canal. Il est un fervent défenseur d’une France catholique et dirige fermement la ligne éditoriale des médias qu’il dirige. L’hebdomadaire Valeurs Actuelle est quant à lui dirigé par Geoffroy Lejeune, proche d’Éric Zemmour, ex-candidat d’extrême droite à la présidentielle.

    La question suivante se pose donc après cette intervention de Marine Tondelier : doit-on interdire les médias d’extrême droite ?

    Cette question se pose dans un contexte où un climat de tension s’installe en France suscité par des manifestations et violences d’ultradroite. Les quelques faits récents prouvent que l’extrême droite souhaite affirmer sa présence dans la prise de décision publique et ne souhaite pas se laisser oublier : incendie de la maison de Yannick Morez, maire de la commune de Saint-Brevin-les-Pins où un centre d’accueil de demandeurs d’asile devait être installé, manifestations de l’ultra-droite le 6 mai, colloque de la droite royaliste « Action française » le 13 mai et hommage à Jeanne d’Arc par ce même groupuscule le jour suivant à Paris, perturbation d’un atelier de lecture organisé par des drag-queens en Bretagne ce même week-end.

    Que faire face à de telles actions ? Bien que les actes de violence soient facilement condamnables puisqu’ils portaient atteinte à la propriété d’un maire qui se sentait concerné par le sort des migrants, que faire des plateformes d’expression de l’opinion de l’ultradroite ? Doit-on interdire les manifestations ? Faut-il dissoudre tous les mouvements d’ultradroite ou encore refuser la création de médias partageant ces valeurs ?

    Dans un monde idéal, on serait tenté de souhaiter le dialogue, préférable à la censure qui ne gomme aucune idéologie. Mais peut-on soigner cette haine par le dialogue ? Peut-être. Comme le pensait William Godwin, philosophe et théoricien politique, la raison finira par triompher et elle seule nous permettra de fonder une morale commune. Cette pensée, accordant une trop grande foi à la raison et au temps qu’on lui accorde pour soigner nos différents, ne répond que partiellement à la question. Le dialogue permet la transmission des connaissances si les participants acceptent de tendre l’oreille vers des idées et des pensées qui n’appartiennent pas à leur conception du monde. Ce monde du dialogue permanent et de l’écoute attentive est plus que souhaitable mais n’existe que partiellement dans notre société. Les débats à l’Assemblée nationale résultent souvent de querelles interminables. Les idées sont trop ancrées dans les esprits. Le discours du gouvernement est représentatif de cette fermeture au dialogue. Pas de débat sur la réforme des retraite, une répression policière forte, manque de soutien aux élus locaux menacés par l’ultradroite, discours sécuritaire permanent. Thomas Hobbes, philosophe contractualiste du XVIIème siècle, se plairait dans la France contemporaine.  Le philosophe adoptait une vision de l’Homme comme un être naturellement enclin à son plaisir personnel et ne se socialisant que pour satisfaire ses propres intérêts. Les discours d’ultradroite expriment l’indifférence de la souffrance de tout être non-français souhaitant rejoindre le territoire, les discours des membres du gouvernement prônent l’ultralibéralisme et l’individualisme. Chacun pour soi et que chacun s’en sorte comme il le pourra.

    Dans une France coincée entre des discours extrémistes de plus en plus présents et un gouvernement qui ne fournit pas les efforts pour les combattre, poser la question de l’interdiction de l’expression de l’ultradroite permet une chose : mettre en lumière le fait qu’en France il est légal d’inviter des chroniqueurs condamnés pour incitation à la haine, de publier des articles discriminant des populations, de marcher dans la rue en revendiquant l’exclusion de la diversité.

     

    Politiser le quotidien

     

    Questions de l’article :

    ·       Comment analyser la politique du président français ?

    ·       Comment rendre le quotidien plus politique ?

     

    Dans cet article, je souhaite saluer le travail du philosophe Jérôme Lèbre qui, dans son article Le macronisme, la loi et le quotidien, prend un recul philosophique pour tenter d’expliquer la politique macroniste. Pour tout lecteur suisse ne s’intéressant pas nécessairement aux détails de la politique française, cet article permet tout du moins de comprendre comment certains politiques passent leur temps à contourner la critique et à justifier leurs plus grandes incohérences.

    Comme l’explique Lèbre, le gouvernement n’a cessé d’adopter la posture d’un parti politique réfléchi, n’agissant que pour la justice, réformant de manière courageuse contre des hordes de manifestants obnubilés par leurs inclinaisons sensibles. Macron serait-il kantien ? Poursuivrait-il un impératif catégorique ? Aurait-il en lui des greffes de principes immuables de justice que lui seul (et son gouvernement) pourrait saisir ? Non, Emmanuel Macron n’a pas le monopole de la raison et ses prises de paroles ne sont pas plus éclairées. Lui-même déroge à la justice et c’est ce que nous montre Jérôme Lèbre. En effet, il est écrit dans la constitution française que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum », « aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Ainsi, l’utilisation excessive des textes de lois dans le seul but d'encadrer les discussions de l’hémicycle est contraire au principe même de la constitution qui empêche toute dérive autoritaire. Ainsi, le président français, pensant ses mesures légitimes parce qu’en accord avec la constitution, met totalement de côté l’essence du texte en ne composant qu’avec certaines lois qui l’arrangent. Comme dans tout travail philosophique, prélever certaines phrases à ses fins personnelles empêche toute compréhension du texte intégral. Et en même temps, comme nous le dit Lèbre, le président se permet de légitimer certaines de ses stratégies en justifiant que « tout ne doit pas passer par la loi ». Lui-même qui a modifié les lois en faveur de sa politique néolibérale (loi sur le travail, loi sur les retraites, loi sur les transports), il lui est arrangeant de contourner celles qui ne sont pas modifiées et qui entravent la liberté totale du marché.

    Pour redorer la façade d’un gouvernement qui peine à montrer la légitimité de son autorité et des mesures qu’il prend, Emmanuel Macron fait des promesses. Il souhaite améliorer le quotidien des Français et prendre des mesures pour la planète. Mais, comme l’écrit Lèbre dans son article, l’effort écologique sera inégal entre les riches et les pauvres : on peut distinguer l’effort écologique des riches, qui consiste principalement à rouler dans des SUV pesant plus de deux tonnes, et celui des pauvres, qui consiste à utiliser les autocars issus de la loi Macron et à ne plus se chauffer : à chacun sa manière d’améliorer son quotidien.

    Pourquoi attendre une popularité drastiquement basse pour proposer du bonheur à sa population ? Pourquoi ne pas avoir travaillé sur cela avant ? La réponse de Lèbre nous éclaire : la politique macroniste dépolitise le quotidien. En ne faisant que des promesses non-tenues, en adoptant des éléments de langages creux, servant seulement à se sortir sain et sauf d’une interview ou d'une prise de parole publique, l'essence politique s’efface. Le monde ultralibéral défendu par Emmanuel Macron est d’une extrême violence avec le monde du travail. Pour atténuer cette brutalité et faire passer ses réformes, le président brouille les échecs de sa politique.

    Lèbre nous explique que la solution est ailleurs, dans la politisation du quotidien. Politiser, c’est agir pour anticiper ou régler un problème. Ce n’est pas proposer une analyse d’un problème déjà diagnostiqué pour ralentir les échéances. C’est la nécessité d’agir au présent pour un avenir qui nous semble meilleur. Pour cela, il faudra certes des actions, mais aussi un discours clair, qui ne cache pas son but. Lorsque le discours est sans ambiguïté, le message politique est visible et l’impensable ou l’amoral ne peut se dissimuler derrière de belles figures rhétoriques.

     

    Colère et violence

     

    Questions de l’article :

    ·       Doit-on rejeter la colère et la violence en politique ?

    ·       Comment distinguer la colère de la violence ?

    ·       La violence est-elle légitime en politique ?

     

    Un des sujets de la semaine était la colère. La violence des dernières manifestations contre la réforme des retraites a fait couler beaucoup d’encre sur ce sujet. La colère sert-elle au débat public ? La violence est-elle légitime pour mener des combats politiques ?

    Un premier élément de réponse nous est donné par l’écrivaine Lydie Salvayre qui, dans un article pour le journal le 1, fait l’état de plusieurs colères à ne pas confondre. Selon elle, il ne faudrait pas mettre dans un seul panier toutes les colères. Il existe des colères « hideuses », « ivres de destruction » incarnée dans les politiques nazis et fascistes ou dans les écrits antisémites comme les pamphlets de Céline. Il existe ensuite, comme l’énonce l’écrivaine, les colères « poignantes » de Victor Hugo qui défend les enfants devenus esclaves ou encore les colères qui s’élevèrent lorsque George Floyd fut assassiné par un policier et dénonça un traitement honteux de la population noire aux USA. Il existe des centaines d’exemples de colères qui se dressent contre l’oppression et qui souhaitent défendre les droits humains fondamentaux. Ces colères ne peuvent être comparées à des incitations à la haine. Elles ne peuvent pas, comme l’a fait la première ministre Elisabeth Borne, être confondues. On ne peut lier des agissements d’extrême droite avec la colère d’une gauche que l’on nomme radicale parce qu’elle commence à devenir plus violente après des semaines de surdité gouvernementale. Pour autant, colère et violence ne sont pas nécessairement associées. La colère peut mener à la violence comme elle peut aussi engendrer d’autres actions transformatrices de nos sociétés. Il semble essentiel de faire cette distinction.

    Que faire des violences ? Faut-il toutes les condamner fermement et sans distinction comme le font les membres du gouvernement ou des philosophes comme Pierre-Henri Tavoillot ? Ou faut-il considérer la violence comme moyen de contestation de l’ordre établi ?

    Comme nous le dit le philosophe Tavoillot, la violence n’est pas souhaitable, ni chez Hitler, ni chez Staline. On ne peut, au nom d’un idéal, accaparer le monopole de la force pour l’imposer aux autres. Cet argument est convenable. Mais que faire lorsque les institutions ne semblent plus pouvoir assurer la légitimité démocratique mais pourtant conserve le monopole de la force ? N’a-t-on pas affaire dans ce càs-là à une autre forme d’autoritarisme qui, sous couvert d’être respectueux de la constitution, passe en force des mesures qui va dans son sens et les fait respecter par la force policière ? Que faire face à cela ? Aucun moyen d’expression ne semble fonctionner. Le vote n’a pas permis d’élire un président avec une majorité de voix, les textes de loi sont adoptés avec des passages en force grâce à des utilisations excessives d’articles constitutionnels, les manifestations pacifiques ne sont pas considérées, les représentants des grands syndicats ne sont pas invités lors des périodes de débat à l’Assemblée nationale… Que faire face à un président qui, grâce aux pouvoirs qui lui sont conférés par la Vème République, adopte des mesures impopulaires et ne tient pas compte des oppositions nombreuses ? N’est-ce pas dans ce cas-là la démonstration d’une violence politique ? Il semble important de condamner toutes les violences lorsque l’on se dit opposé à la violence de manière générale. La violence politique est tout aussi condamnable que la violence physique de la rue. La violence des lois travails qui rendent le travail de plus en plus difficile, la violence de la loi sur les retraites qui allonge ce temps de travail, la violence d’une politique libérale qui ne fait que creuser l'écart entre les richesses. Alors condamnons la violence, si elle nous est si choquante. Mais condamnons alors toutes les violences. Si la violence politique reste légitime, alors celle qui se dresse contre elle lors des manifestations doit l’être aussi.

     

    Références