Vision de la pauvreté en France
La semaine dernière, nous traitions de la volonté politique qui se cachait derrière le projet de baisse d’impôt sur les classes moyennes. Cette semaine nous faisons de même avec la réforme sur le RSA (Revenu de Solidarité Active). Cette réforme souhaite relancer les chômeurs dans une activité et améliorer l’accompagnement à la réinsertion. Pour le ministre du travail Olivier Dussopt, le RSA n’a pas rempli ses objectifs. Seuls 34% des allocataires ont un emploi et moins de la moitié est suivi professionnellement. Cette réforme vise donc à diminuer le nombre d’allocataires en leur proposant des solutions pour se réinsérer professionnellement. Tout comme la mesure sur les impôts, cette réforme peut sembler a priori convaincante. La volonté d’accompagnement qui nous est présentée semble devoir être encouragée. Il existe un effet d’exclusion sociale lorsque la misère est trop grande et qu’elle s’installe dans certains foyers. Le manque de moyens pour se nourrir et se loger empêche toute réinsertion professionnelle. Il est donc honorable de vouloir aider ces personnes-là à réintégrer le corps sociétal. Seulement, il semble qu’il existe des raisons de rester dubitatif quant à la volonté du gouvernement Macron d’aider ces personnes. Alors que le pays s’enfonce dans le triptyque du macronisme “travail, ordre, progrès”, il est de plus en plus difficile de croire le président capable d’un tel élan social. Certains de ses actes prouvent l'inverse : suppression des taxes sur les grosses fortunes (ISF) et sur le chiffre d’affaires des entreprises (CVAE), sorties médiatiques où on l’entend parler des « gens qui ne sont rien ». Le président n’a jamais caché son mépris pour les gens qui s’opposent à ses réformes et qui en souffre. Lui-même l’affirmait en 2017 lorsqu’il disait qu’il ne cèderait rien "aux cyniques, aux fainéants ou aux extrêmes". En plus de mélanger tous ses opposants pour mieux les décrédibiliser, le président adopte une rhétorique qui accuse presque la pauvreté d’exister. Le 13 juin 2018, Emmanuel Macron faisait un discours sur les minimas sociaux qui coûtent "un pognon de dingue". Il parlait de "responsabiliser tous les acteurs". Autant dire que le gouvernement de Macron nous a peu montré les signes d’un engagement pour l’aide envers les plus démunis.
L’idée principale de la réforme du RSA reste intéressante mais elle doit être amenée avec du tact et s’adapter à des individus aux profils différents. Olivier Dussopt souhaite intégrer un contrat entre l’allocataire et la personne qui le suit. En échange de la prestation sociale, l’allocataire devra montrer son désir de retourner au travail en faisant 15 à 20h d’activité par semaine. Cette activité, rassure le premier ministre, peut avoir plusieurs formes : volontariat, recherche active d’emploi ou de solutions pour aller vers l’emploi. Il ne s’agirait pas de « travail forcé » de 15h. Seulement, il n’est guère envisageable d’annoncer une réforme sur le RSA tout en méprisant constamment les pauvres. Le discours doit changer et le ton s’adoucir. Si les actes passés du gouvernement ont sapé l’esprit des tranches les plus démunies, les prochaines réformes devront être accompagnées de moyens suffisants pour convaincre d’une réelle volonté d’aider ces personnes. L’accompagnement ne peut se faire que si les conditions le permettent. Chaque profil est différent, certains demandent plus de temps que d’autre (présence d’un handicap, situations personnelles difficiles). Le gouvernement devra recruter massivement pour que les accompagnants ne fassent pas un burn-out. Une fois de plus, la volonté politique de cette réforme se dévoilera par les actes du gouvernement. Dans l’attente de tels actes, d’autres, plus actuels, ne vont pas dans ce sens. Il suffit d’observer les récents évènements de délocalisation des sans-abris de la capitale vers les autres régions de France dans des conditions jugées inacceptables pour certaines associations. La route sera longue pour Emmanuel Macron s’il souhaite convaincre de son altruisme pour les plus pauvres. Pour le moment, sa politique est plus ressentie comme une agression sur les pauvres plutôt qu’une lutte contre la pauvreté.
Le décryptage des idées politiques est essentiel à la compréhension de toute réforme ou de toute décision du gouvernement. Seuls les actes peuvent confirmer la volonté qui émane a priori d'une proposition de loi ou d'un projet de réforme.
Légitimité de la parole philosophique dans les médias
En France, les philosophes sont régulièrement conviées sur les plateaux de télévision ou à la radio pour donner leur avis sur l’actualité politique. Leurs interventions varient entre l’opinion brève et générale sur les faits récents et le débat plus approfondi sur une thématique spécifique. La parole du philosophe est souvent écoutée et respectée. Cette parole, lorsqu’elle est maniée soigneusement, impacte le spectateur. Alors doit-on se méfier de la parole des philosophes et de l’effet qu’elle peut avoir sur le débat public ? A priori, il semble que non. Le recul de leur analyse et les nombreuses années de recherche devraient témoigner du sérieux de leur analyse. La plupart des interventions philosophiques sont d’ailleurs de grande qualité lorsqu’elles sont encadrées au sein d’un débat et lorsque les invités sont invités à discuter d’un sujet très spécifique qui entre dans leur domaine de recherche. Mais ce n’est pas toujours le cas et la parole du philosophe peut aussi s’avérer dangereuse lorsqu’elle ne fait que témoigner d’un sentiment personnel sans analyse ou quand elle s’appuie sur des faits erronés.
Alain Finkielkraut, philosophe habitué des médias et animant régulièrement une chronique philosophique sur France Culture, fait partie de ces philosophes qui, quand on les écarte de leurs domaines d’expertises, argumentent sans connaître la totalité des faits. Le résultat devient alors une analyse qui d’apparence semble convaincante, le discours philosophique étant souvent pointu et bien construit, mais qui se révèle être un jugement falacieux. Une semaine après le procès de l’ex-président français Nicolas Sarkozy, Alain Finkielkraut défend l’accusé en fustigeant la justice. Le procès serait une sorte de complot contre l’ex-président, les preuves auraient été récupérée de manière illégale, les accusés n’auraient rien commis. Dans le journal Le Figaro, les propos du philosophe sont bien agencés, la gravité des mots utilisés sont censés émouvoir le lecteur du cas Sarkozy dépeint comme la victime d’une « croisade ». Sauf que la plupart de ses arguments reposent sur des accusations fondées sur de faux faits. Non, les accusés n’ont pas été jugé pour rien. Comme le souligne Fabrice Arfi dans Médiapart, « Gilbert Azibert a bien livré des informations confidentielles, il a bien tenté d’influer sur des magistrats de la Cour de cassation, le tout au bénéfice de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog, qui lui ont bien promis un coup de main en retour ». Ces actes se sont bien déroulés. Non, la justice n’a pas mis tous les moyens pour coincer l’ex-président. Les écoutes ont été utilisés dans le cadre d’une autre affaire sur les financements libyens. Si, lors d’une affaire, des faits montrent des actes illégaux, il semble évident de condamner aussi ces actes dans le cadre d’une autre affaire. Alain Finkielkraut défend un monde qu’il ne veut pas voir disparaître. Celui d’une communauté politique et médiatique intouchable par la justice. Oui la justice est contraignante. Elle incite toute personne à se comporter selon des règles communes préétablies. Règles qu’un ex-président devrait connaître mieux que tout le monde et auxquelles il ne peut se soustraire. Le discours philosophique se décrédibilise lorsqu’il est pauvre en vérité factuelle. La prose, aussi travaillée qu’elle soit, perd toute sa fonction si elle relate un fantasme sans faits, ou factuellement falsifiée.
Immigration, décivilisation : la politique de la peur
Ces derniers temps les propos sécuritaires et dénonciateurs de l’immigration ont la côte en France. La banalisation des idées d’extrême droite se retrouve autant dans les discours du président que dans ceux des membres du parti Les Républicains. Emmanuel Macron a récemment employé le terme de « décivilisation » pour qualifier les faits de violences récents (agression d’une infirmière à Reims, agression du maire de Saint-Brevin-les-Pins, mort de trois policiers dans un accident de la route). Trois évènements isolés et incomparables ont suffi pour que le président parle d’une France devenue violente. Cela peut nous rappeller le terme "d’ensauvagement" de la société prononcé par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin en juillet 2020. Ces mots sont sinueux, ils annoncent une banalisation de la violence qui n’est pas fondée. Des études sociologiques démontrent que la violence inter-personnelle n’est pas plus forte qu’il y a vingt ou trente ans. Ces mots servent le fantasme d’une France violente et nourrissent les discours sur la décadence de l’Occident, très prisés de nos jours. Pour convaincre de la légitimité d’une société plus sécuritaire et d’une répression plus forte, il suffit de convaincre la population qu’elle vit dans un monde dangereux. Retournons à Thomas Hobbes, philosophe du XVIIème et auteur du Léviathan qui décrit l’Homme comme incapable de vivre en société sans un pouvoir autoritaire fort et incontestable. Son but premier était de stopper les guerres civiles en Angleterre et de prouver la légitimité d’un pouvoir sécuritaire monarchique. Si l’Homme est un être violent il devient plus facile de convaincre de la nécessité d’un tel pouvoir. La stratégie reste la même de nos jours. Elle raisonne dans les discours de personnalités politiques comme Sébastien Chenu, vice-président du rassemblement national ou Eric Ciotti, chef des Républicains. Lors d’une interview sur « Questions politiques » Sébastien Chénu ne cesse de parler de « lutte contre l’immigration ». Cela ne semble pas choquer. Lutter contre une immigration incontrôlée est une mélodie déjà moins agrressive. Mais lutter contre l’immigration signifie que l’immigration est un mal en soi. C’est faire le choix d’une France sans immigrés, de refuser l’entrée de personnes qui sont victimes de guerres religieuses ou civiles, qui ont traversé l’enfer pour arriver en France. Le discours sécuritaire se construit à partir d’une politique de l’entre-soi, du chacun pour soi. Cette politique, le Danemark la maitrise à merveille et plusieurs hommes politiques ont fait le déplacement pour leur demander des conseils. Éric Ciotti en fait partie. Lui et son parti récupèrent les idées d’extrême droite en souhaitant violer la constitution européenne sur les questions d’immigration. Le Danemark, qui a plusieurs fois dérogé aux règles européennes pour mener à bien sa politique d’immigration, est un modèle pour tout ces partis conservateurs. Au lieu d’utiliser toute l’énergie gaspillée à déverser la haine sur les migrants, ces partis pourrait penser des mesures pour améliorer les conditions de vie des personnes vivants sur le territoire français. L'épisode des retraites nous a montré que telles n'étaient pas leurs convictions. La stratégie de la droite nous prouvent deux choses. D'abord, l’impossibilité pour ces partis de rassembler des électeurs sans user de la peur du migrant. Ensuite, la puissance d’un tel discours qui séduit toujours autant les électeurs. Comme si, de manière sous-jacente, une grande partie de la population était convaincue de la véracité de ces idées. Dans le domaine philosophique nous pouvons observer une pensée profondément pessimiste sur la nature humaine qui serait de nature violente. Mais aussi une profonde conviction que les seules solutions deviennent celles de l’exclusion de la diversité et du recentrement sur soi. Le théoricien anarchiste Pierre Kropotkine se retournerait dans sa tombe s’il pouvait écouter de tels discours. Lui qui prônait l’entraide et était convaincu d’une nature humaine sociale, il combattrait aujourd'hui ces idées de toutes ses forces. Mais avant de donner raison à l’extrême droite ou à Kropotkine, il est nécessaire de se concentrer sur des faits et sur le ressenti de la société telle qu’elle est vécue. La réalité ne peut être déformée par des propos qui ne sont appuyés par aucunes statistiques. Dire que l’Homme est un être violent ou que l’étranger va détruire la culture française ne peut se justifier que par des chiffres et des études approfondies. Si tel n’est pas le cas, ces propos doivent être fermement condamnés et poursuivis en justice. Les termes de "décivilisation" et "d’ensauvagement" doivent eux-aussi être expliqués en détail. La banalisation ces termes ne doit pouvoir se réaliser que si ceux-ci sont détaillés et confirmés par la réalité des faits.
Références
Le Monde :
« Sur l’Europe, les Républicains seront bientôt méconnaissables »
Immigration : la « voie danoise » séduit les droites européennes
Immigration : la « main tendue » de Darmanin à la droite
Immigration : « La prise de position du parti LR met fin au consensus républicain »
Médiapart :
Les failles béantes de la réforme du RSA
Transférer les sans-abri de Paris : le projet qui inquiète
Alain Finkielkraut au secours de Nicolas Sarkozy : la corruption des mots
« Décivilisation » : la diversion extrêmement droitière de Macron
Libération :
Peut-on dire qu’il y a de plus en plus de violences en France depuis trente ans ?
Autres médias :
Questions politiques du 28/05/2023 sur France Inter
C ce soir du 25/05/2023 sur France TV