Lac d'Annecy

Revue de presse philosophique semaine du 05/06/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 5 au 11 juin 2023

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    Agression à Annecy : comment réagir ?

    Jeudi 8 juin matin dans la ville d’Annecy, un homme a attaqué six personnes au couteau avant d’être arrêté par la police. Les victimes sont deux septuagénaires et quatre jeunes enfants dont l’âge va de 22 mois à 3 ans. Malgré une attaque qui a laissé les victimes dans un état de santé critique, leurs vies ne sont plus en danger. L’agresseur se nomme Abdelmasih H., réfugié syrien ayant ses papiers en Suède où il vivait depuis dix ans. Il avait tenté à plusieurs reprises d’obtenir la nationalité Suédoise, en vain. Cependant, l’homme était en situation régulière lors de l'agression puisqu’il a le statut de réfugié. Lors d'une demande d’asile en France en 2022, il s’était lui-même présenté comme chrétien de Syrie. Cette demande lui avait été refusée.

    Ce drame a percuté l’esprit de beaucoup de Français. L’agression d’enfants perturbe l’imaginaire et suscite les plus vives colères face à l'immoralité de l'acte. Comme l’explique le philosophe Marc Crépon en citant Hannah Arendt, ce crime touche à une définition de notre humanité : « la responsabilité des nouveaux venus ». C’est une responsabilité du soin, de l’affection, c’est la fondation de l’humanité. Cette attaque est d’autant plus violente qu’elle s’en prend à des êtres qui vont nous succéder et dont nous avons la responsabilité. Les crimes ne peuvent être hiérarchisés, certaines victimes n’ont pas plus d’importance que d’autres. Mais le degré d'immoralité d’une agression influence fortement la réaction qui en découle.

    Maintenant, traitons de la réaction à cette agression. Alors que la minute de silence est respectée à l’Assemblée nationale, les réactions des députés ne tardent pas à briser ce calme pourtant nécessaire à la réflexion et au respect des victimes. Du côté des Républicains, le président Eric Ciotti appelle à une réaction, de peur que la nation ne soit détruite par l'immigration. Le président du Rassemblement National, Jordan Bardela, en profite pour faire la promotion de sa politique migratoire. Ceci pendant que Marine Lepen critique la politique européenne « inadaptée » face à ces questions. Chez le parti Reconquête! les propos sont tout aussi virulents. Éric Zemmour, abonné à la surenchère permanente sur le sujet de l’immigration, parle de « francocide » pour qualifier toute agression d’un non-français sur un Français. Sur les réseaux, les commentaires haineux déferlent et font écho aux discours que l'on entend dans les rues de plusieurs villes où des collectifs d’ultradroites s’invitent de manière régulière. Toutes ces réactions arrivent à un moment où le deuil n’est pas encore fait, où cette actualité terrifiante n’est pas encore digérée. Certes, une nouvelle aussi choquante ne peut qu’attiser des sentiments ancrés en chacun de nous. La tristesse d'abord, quand on pense aux victimes et à leurs familles. Mais aussi la colère que cet évènement n’ait pas pu être empêché. Enfin l’incompréhension, face un acte aussi immoral. Toutes les émotions sont nécessaires pour affronter des actes qui nous dérangent au plus profond de nous-même. Cependant, le trouble suscité par ces émotions doit rester personnel et ne pas être utilisé à des fins politiques.

    Dans l’émission C politique, Caroline Fourest déplore la réaction aussi vive de certains politiques qui ne prennent pas la peine de récolter des faits et d’attendre l’enquête pour s’exprimer sur cette agression. Que sont des commentaires sans diagnostics, sans faits, sans recul ? Tout simplement la victoire de l’émotion sur la raison, le refus d’expliquer mais seulement de juger en fonction de sa propre idéologie. Chacun voit en cet acte ce qu’il veut y voir. Certains parlent de terrorisme, d’autres de francocide, ailleurs on parle d’un acte de folie. Personne ne connaît cet homme, ce qu’il a enduré, qui il est et les raisons de cet acte. La réaction à chaud n’est bonne que pour l’émotion et la perte totale d’un raisonnement méticuleux. Les peurs prennent le dessus dans ces moments difficiles et tentent de donner une explication pour nous réconforter. La peur refuse une explication raisonnée allant parfois à contre-courant avec notre propre raisonnement. Ensuite, c’est l’amnésie qui s’invite. Caroline Fourest parle de certains habitants d’Annecy choqués par cet acte criminel inédit. Inédit ? Vraiment ? Questionne-t-elle. A-t-on déjà oublié l’affaire Merah à Toulouse, où des enfants se sont faits tirés dessus à bout portant ?

    Les discours conservatistes usent souvent de plusieurs émotions pour générer une adhésion à des principes qui n'ont parfois aucune argumentation derrière. La nostalgie, d'abord, pour rappeler une époque que personne n’a connue ou qui comportait parfois des inégalités plus grandes que celles présentes de nos jours. Vient ensuite l’usage de la colère, notamment contre des personnes que l’on ne connaît pas, généralisant des actes et les attribuant à des populations entières.

    Le racisme est une ignorance de l’inconnu, une peur de ce que l'on ne connaît pas ou peu. Le crime d’Annecy a témoigné de ce phénomène. La peur suscitée par les actes d’un homme a déclenché une vague de haine contre les immigrés en général. Comme si les Français ne pouvaient pas être des criminels, comme si tout immigré avait en lui plus de violence que le français lambda. Ce degré d’ignorance doit être combattu. Pour cela, il faudra aborder la question de l’immigration de manière sérieuse. Oui, des problèmes existent en matière de politique migratoire, ils sont nombreux et complexes. Mais la facilité par l’amalgame ou par l’émotion ne saurait régler cette question.

     

    Les efforts du gouvernement pour mater les contre-pouvoirs

    Lorsque l’on ne connaît pas le bord politique d’un gouvernement, il suffit d’observer ses efforts pour stopper certaines avancées. La hargne de certains gouvernement pour démenteler des groupes militants ou pour mater certaines contestations révèle son ennemi. En ce qui concerne le gouvernement Macron, les récents épisodes d’arrestations et de surveillance rapprochée démontrent une focalisation sécuritaire et judiciaire sur des groupes très précis. Le 20 mars dernier, ce sont des balises GPS qui ont été retrouvée sous des voitures servant d’approvisionnement pour le mouvement contre les mégabassines. Devant plusieurs lieux de réunion, des caméras ont été retrouvée. Bien évidemment, ces appareils ne sont pas directement reliés au ministère de l’Intérieur dont le dirigeant, Gérald Darmanin, avait promis de dissoudre des mouvements comme Les Soulèvements de la Terre. Il avait même ajouté qu’il empêcherait toute nouvelle ZAD de s’installer. Autre fait récent, l’amende de 500 euros écopée par cinq syndicalistes à Amiens pour avoir marqué la chaussée d’un « #Stop64 » à la peinture lavable lors d’une manifestation contre la réforme des retraites le 7 mars. Dernier fait, l’arrestation à leurs domiciles de quinze personnes soupçonnées d’avoir participer à une action militante sur le site de la cimenterie Lafarge à Bouc-Bel-Air. Les suspects ont tous été interrogés sur leurs idées politiques, leurs lectures, leurs connaissances historiques sur les mouvements radicaux. Tous relâchés, aucune charge n’a été retenue contre eux.

    Quel lien se tisse entre ces différents évènements ? C’est l'effort visible du gouvernement pour traquer tout mouvement actant une forme de résistance à sa politique. Ces trois évènements frôlent les limites de la liberté d’expression légale. L’action à la cimenterie investit un lieu sans autorisation et a causé quelques dommages matériels. Les Soulèvements de la terre, par leurs actions, peuvent être attaqués ou dissous si le gouvernement estime qu’il cause des troubles à l’ordre public. Enfin, les syndicalistes inculpés ont simplement « détérioré » la chaussée, ce qui est amendable. La limite entre ce qui est légal et ce qui est illégal est fine. Le ridicule de ces arrestations peut frapper lorsque les efforts pour les mener à bien prennent des proportions démesurées. Certes, la loi reste la loi. Cependant, assiste-t-on à autant de détermination lorsqu'il faut s'attaquer à des criminels de plus grande envergure ? Lorsque l’Etat fait perdre des millions d’euros à l’argent public en vendant les péages d’autoroute, n’est-ce pas là une infraction plus grave encore qu’afficher de la peinture sur des trottoirs ? La réponse est tellement évidente que la question en devient ridicule. Même chose concernant la volonté de dissolution de mouvements comme les Soulèvements de la Terre. Ne devrait-on pas poursuivre avec plus de virulence les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements en termes d’écologie et celles qui ne paient pas leurs impôts plutôt que de s’attaquer à quelques personnes qui bloquent des sites et des projets d’autoroutes ? Quelle est l’utilité d’espionner des personnes qui sont certes radicales dans leurs actes mais qui n’ont pas d'impact néfaste sur l’environnement et la cohésion sociale ? La réponse est évidente pour un gouvernement qui choisit un camp en vue de ses intérêts. Seules des mesures radicales permettront d’affronter une politique qui ne met pas en place des mesures suffisantes pour affronter le défi social et climatique. Mesurettes pour le logement et la santé, promesses non-tenues sur le climat. Les contre-pouvoirs rappellent ces promesses non-tenues et les dégâts causés par l’indifférence sur les questions sociales et climatiques.

    L’espionnage des militants, la volonté de dissolution de certains mouvements et les arrestations abusives témoignent d’une chose : les contre-pouvoirs n’ont pas lieu d’être en France. L’épisode des retraites a déjà illustré le peu de pouvoir que nous, citoyens, avons pour contester les décisions de l’exécutif. Le Parlement est ressorti faible de cette réforme, les manifestants n’auront pas été entendus, les sondages n’ont pas inquiété le président, les syndicats n’ont pas été consultés. Désormais, les seuls moyens d’actions se trouvent pour certains dans la désobéissance civile. Les défenseurs de la République en ont peur et parfois à raison. Une multitude de groupes peuvent naître du mécontentement. Il existe des mouvements pour la défense des espèces protégée et des espaces naturels. Mais nous avons aussi vu d'autres groupes d'ultradroite qui souhaitent détruire toute valeur républicaine. Le gouvernement est responsable de l’émergence de ces mouvements. A force de ne plus écouter une grande partie de son peuple et en allant à contre-courant avec la pensée écologiste, certains ont décidé d’agir directement pour transformer nos sociétés. Si le gouvernement souhaite diminuer l’ampleur de cette révolte, il devra composer avec l’opinion et jouer un rôle qu’il a longtemps oublié : celui d’écouter et de composer avec la volonté et les intérêts de son peuple.

    En attendant que le gouvernement tende l'oreille aux revendications d'une population désireuse de vivre dans un monde plus sain, les dégâts causés par les industries polluantes ne s'arrêtent pas. Il n'est donc pas surprenant que certains mouvements ou associations actent pour faire respecter une valeur morale qui est acceptée par tous. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut réduire nos émissions carbone, qu'il faut réduire les inégalités. Ces slogans sont répétés par tous les politiciens lors des périodes pré-éléctorales.

    Ne confondons pas les mouvements anti-républicains xénophobes et les mouvements radicaux qui actent pour la défense d'espèces protégées ou qui se dressent contre des projets d'autoroutes dont l'utilité est questionnable. La République doit défendre les valeurs d'un peuple souverain. Certes, ces mouvements écologistes sont physiquement minoritaires, mais les idées qu'ils défendent appartiennent à une conception morale de la société qui est devenue majoritaire. Il en est de même pour les contestations contre la réforme des retraites qui ont aussi été réprimées. En leur essence, ces combats défendent une conception de la société qui est largement acceptée. Qui souhaite encore travailler pour des sociétés qui polluent nos rivières et intoxiquent l'air que l'on respire ? Quelle personne censée ne souhaiterait pas transitionner son mode de vie vers moins de consommation pour sauver notre écosystème ? Si la réponse à ces questions est évidente, c'est parce qu'elle s'accorde avec ce qui est moral de faire. Les humains ne choisissent pas tout le temps de faire ce qui est moral en société. Ce pour diverses raisons souvent liées à leur plaisir personnel. Le gouvernement se doit d'être le garant de ces principes moraux. S'il ne le fait pas, d'autres s'en chargeront.

    Références