La nécessité morale de l’État chez Kant

·

    1. Introduction
    Si il serait exagéré de dire que la question de la légitimité de l’État est la question la plus importante de la philosophie politique, il s’agit néanmoins d’une des discussions les plus discuté avec des positions avec d’un côté une position critique de l’état, représenté par les anarchistes et les libertariens, et d’autre voyant une nécessité à ce dernier, comme chez Aristote car constitutif de l’être humain ou chez Thomas Hobbes pour des raisons instrumentales. Si il ne fait que peu de doute qu’Emmanuel Kant se situe dans la deuxième catégorique, le philosophe de Königsberg justifie cette nécessité, en parti, par la morale et, par l’article ici présent, je veux expliquer cette justification en analysant la morale kantienne, ainsi que les concepts qui lui sont attachés comme la volonté et le concept d’État. Par la suite, je m’interrogerai sur la question de la nécessité de l’État sur deux aspects : La possibilité de son existence et est-ce que celui-ci est souhaitable.

    2. La morale kantienne
    Au fondement de la morale Kantienne se trouve d’impératif catégorique que l’on peut résumer par : « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.» (Fondement de la métaphysique des mœurs - Sauf mention contraire, tous les ouvrages cités sont d’Emmanuel Kant).

    Pourquoi est-ce que la morale est reliée à une loi universelle ? Parce que Kant conçoit que la morale implique un devoir et que le devoir, d’un point de vue conceptuel, est dépendant de l’idée de loi (sans loi, pas de devoir). Or cette loi ne peut qu’être comprise que par la raison et donc se doit être qu’universelle et conforme à la raison, donc non-contradictoire. Ainsi, chez Kant, il est immoral de se tuer car, si on universalise cette maxime, nous entrerions en contradiction puisque pour que le concept de suicide puisse être, il faut le concept de vie, or si tout le monde se suicide, il n’y a plus de vie et donc le suicide est en contradiction avec lui-même. 

    L’autre point important de la morale kantienne est la volonté (aussi appelée “raison pratique” par Kant). Car il ne suffit pas que ma maxime soit non-contradictoire pour être universalisable, il faut aussi que je puisse le vouloir. Car c’est la volonté qui doit se donner sa propre loi, non les objets extérieurs à celle-ci, car si c’était l’inverse, alors l’impératif ne serait plus catégorique, il serait changeant en fonction des objets extérieurs, or la loi doit être catégorique et toujours la même. C’est ainsi que Kant considère comme immoral l’idée de vivre sans porter secours et préjudices à autrui :

    « Mais, bien qu'il soit parfaitement possible qu'une loi universelle de la nature conforme à cette maxime subsiste, il est cependant impossible de vouloir qu'un tel principe vaille universellement comme loi de la nature. Car une volonté qui prendrait ce parti se contredirait elle-même ; il peut en effet survenir malgré tout bien des cas où cet homme ait besoin de l'amour et de la sympathie des autres, et où il serait privé lui-même de tout espoir d'obtenir l'assistance qu'il désire par cette loi de la nature issue de sa volonté propre.» (fondement de la métaphysique des mœurs, trad. Victor Delbos, pp. 98)

    Cette idée de devoir moral n’est pas contraire à l’idée de liberté pour Kant, elle-même sa condition, car si j’obéie à la loi morale, j’obéie en fait à ma volonté et, à l’inverse, quand je désobéi à la loi morale, je ne suis plus libre car j’agis contre ma volonté. Il faut rajouter que la volonté chez Kant est libre, elle seule peut se donner sa propre loi et est donc autonome.

    Avant de conclure, l’action morale chez Kant ne peut être contrainte et être imposée de l’extérieur, puisque ceci ferait que j’agirai conformément au devoir, mais pas par devoir. La morale est un rapport avec soi-même

    3. L’État chez Kant
    Dans le Larousse, l'État, en politique, est défini comme « Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d'un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d'homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé. » ou comme « Éléments centraux de l'Administration, ensemble des pouvoirs publics, par opposition aux citoyens. ». Avec ces définitions, il nous semble ne pas avoir de lien entre la morale de Kant et la nécessité de l’État et nous commettrions ainsi une erreur, car l’État kantien ne correspond à ces définitions. En effet, l’État Kantien (civitas) se définie comme « la réunion d’une multiplicité d’hommes sous les lois juridiques. » (Métaphysique des mœurs) et le nom que Kant donne au tout formé par l’état civil, qui est l’état de relation où, au sein d’un peuple, chacun en relation à l’autre par le biais d’un ensemble de lois appelé par Kant constitutions. Nous analyserons chaque point en commençant par les lois, puis l’état civil pour finir par l’État.

    Comme pour la morale, la philosophie du droit de Kant pose qu’il y a n’y a qu’une loi qui est universelle, sauf qu’à l’inverse de la morale où c’est la volonté qui la donne, la loi du droit doit être donnée par le collectif, la volonté générale. Contrairement à la volonté générale de Rousseau, une législation est conforme à la volonté générale n’ont pas quand chacun donne son assentiment, mais seulement si ils pourraient le donner. Cette loi ne pourra être injuste car, nul ne peut être injuste envers lui-même et que la loi formée par la volonté générale qui s’applique à l’état civil que nous allons voir maintenant.

    L’état civil, chez Kant, est construit autour de trois grand principe qui forme le citoyen (Théorie et pratique) :

    1. La liberté légale comme obéissance qu’au seul loi que je consens.

    2. L’égalité légale comme acceptation de la contrainte que j’accepterais pour moi-même et pour les autres. Par ce principe, Kant refuse les contraintes basées sur des critères arbitraires comme la noblesse.

    3. L’autonomie ou indépendance comme capacité à ne dépendre pour exister qu’à mes propres moyens (biens, talents, etc…) et droits, compris ceux donner par l’État. Il s’agit du principe le plus étrange au vu de nos traditions démocratique, néanmoins, l’idée centrale ici est qu’une personne qui ne peut vivre de ses propres possessions s’aliène et cesse d’être maître de soi-même, ce qui implique qu’il ne peut légiférer. Il y a deux points qui me laissent perplexes sur ce principe. Le premier est l’exclusion des femmes sans vrai motifs qui peut être due au contexte historique misogyne et peut être enlevé sans rendre la pensée de Kant incohérente. Le second est ce qui concerne certains types d'employés. A moins que ce soit dû à la manière dont le « salariat » était codifié légalement, il me semble difficile de dire qu’un employé travaillant pour un patron, par exemple, ne dépend pas de d’autrui comme peut l’être un professeur envers ses clients. Il me semble que le travail est déjà en la possession de l’employé, in minima en puissance, et que, par un le contrat, celui-ci donne la possession en acte à un autre en échange d’autre chose. Ainsi, en dehors des esclaves et des jeunes enfants, il me semble que ce principe ne puisse s’appliquer à l’ensemble de l’humanité.

    Ces principes sont des conditions sine qua non de l’établissement de l’État qui se doit, pour un État d’être conforme à la raison et au droit des hommes. 

    Par les deux concepts précédents (Loi et état civil), il me semble que l’on peut exprimer l’état kantien comme une personne morale, dont la volonté est l’agglomération des volontés des individus du collectif et qui obéit à la même loi que la morale. Il dispose d’un pouvoir de contrainte sur les individus aussi qui lui permet d’appliquer la loi, mais, comme pour le devoir dans la morale, celle-ci n’est pas contraire à la liberté.

    Il aurait été intéressant de développer la forme de l’état avec sa séparation des trois pouvoir (souverain, exécutif, judiciaire) et le lien que Kant fait avec les trois propositions d’un syllogisme de la raison pratique (majeur, mineur et conclusion), néanmoins cela complexiserait plus que nécessaire cet article.

    4. Morale et État
    Nous l’avons vu, la morale kantienne se base sur une l’idée d’un impératif catégorique, compris comme un devoir envers la loi morale qui est universelle et que ma volonté doit respecter, de sorte que je serais libre qu’on y obéissant. Ainsi, pourquoi la fondation de l’État est une nécessité morale chez Kant. Il faut rajouter un point que je n’ai pas dit, qui la question du droit de propriété, compris non pas comme le rapport de moi avec un objet mais de moi avec les autres dans le sens où posséder revient à formuler la loi : Ceci est à moi, seul moi peut en avoir l’usage.

    Pour Kant, la propriété et son droit est une exigence inhérente à l’exercice de ma liberté, or toutes possessions sont, dans l’état de nature, temporaire dans le sens où si quelqu’un me les prend, je cesse d’en avoir la propriété. Il faut passer de l’état nature à un état où le droit de propriété n’est plus temporaire, où chaque membre reconnaît le droit de chacun, que Kant appelle l’état civil et dont le tout est appelé l’État. Cette sortie de l’état de nature est une nécessité morale qui se rapporte à l’individu car, comme je les écris plus, le droit de propriété est une exigence pour l’exercice de ma liberté et que donc, je ne peux vouloir ne pas avoir de droit de propriété. 

    5. Théorie et pratique
    Que l’on soit d’accord ou non avec sa conception de la morale, il reste à savoir si les conceptions théoriques de l’état de Kant sont possibles dans la pratique et, si oui, sont-ils souhaitables. A la première question, sur la faisabilité de ceci, il me semble que la réponse la plus adéquate serait de dire que celui-ci est difficile par le fait de ce qu’il faut prendre les hommes telles qu’ils sont et que, à l’heure actuelle, on ne peut dire que ceux-ci sont des êtres parfaitement rationnels capables de briser leurs inclinaisons pour agir par devoir et non seulement en accord avec le devoir, voire même, si on prend une position anthropologique pessimiste comme Machiavel ou Hobbes, contraire au devoir. Mais cette contestation anthropologique sur l’État Kantien car « La formation de l’État … n’est pourtant pas insoluble, même si il s’agissait d’une peuple de démon (pourvus qu’ils aient quelques intelligences) » (Projet de paix perpétuelle) en raison que, par le désir de chacun de conserver ses intérêts, respectera la constitution de peur de perdre. Paradoxalement, on retrouve ici une forme de ressemblance avec les thèses de la nécessité de l’État chez Hobbes mais dont la différence serait sur la forme de l’État. Toutefois, il y a une limite à l’argument, à savoir ce qui est écrit entre les parenthèses, à savoir l’intelligence. Si il serait exagéré de nier toutes intelligences à l’être humain, il me semble que l’on ne peut partir du principe que les être humains aient en conscience la connaissance de leurs intérêts et des règles à suivre pour les conserver. A titre d’exemple empirique, on pourrait voir dans les phénomènes électoraux des contradictions entre les intérêts propres à des individus ou à des catégories d’individus et leurs votes, que l’on peut voir comme une action. (A titre d’exemples : Clivages politiques et inégalités sociales de Thomas Piketty, Clara Martinez-Toledand et Amory Gethin ou Frank Thomas Pourquoi les pauvres votent à droite et Pourquoi les riches votent à gauche)

    Ainsi, contrairement à ce qu’a pu écrire Kant, son argumentaire à besoin, au moins pour justifier de la praticabilité de sa théorie, de certain présupposé anthropologique.

    Concernant si il est souhaitable de former l’État et d’être sous son autorité, je souhaite plutôt répondre à l’inverse : Serait-il souhaitable de ne pas avoir d’État ? Il me semble que non en vue de deux arguments de deux natures différents. Premièrement, pour rendre une vie sans état souhaitable, il faudrait que chacun agisse toujours de manière à qu’il ne porte jamais préjudice aux autres et que chacun n’ait, au minimum, besoin de l’autre que de manière passagère. Or, à moins de se séparer de quasiment tous nos objets et nos services, il nous faut diviser entre nous les tâches et les relier entre elles, ce qui réclame une forme d’organisation et d’accord qui, si ce n’en ait pas, ressemble énormément à l’état civil. Sans compter que, à moins d’avoir une anthropologie optimiste, il est toujours possible qu’un individu ou qu’un groupe d’individus cherchent à dominer les autres, nous compris, ce qui est une situation que nous ne souhaitons nullement accepter car elle mettrait notre liberté, dans le sens négatif de celle-ci, dans la volonté d’un autre. Ainsi, il souhaitable d’établir l’État pour obtenir une liberté comme non-domination (Républicanisme, Philip Pettit).

    Le second argument est directement lié à la philosophie de Kant, car si l’on revient à l’État Kantien, celui-ci est en établie par la volonté générale de sorte que, si les lois sont faîtes selon ce principe, la loi qu’y s’applique à moi est celle que je dois rationnellement accepter et qu’y désobéir serait comme désobéir à moi-même. Bien sûr, cela implique que nous acceptions la philosophie de Kant et sa définition de l’État, mais, si nous acceptons celles-ci, il me semble que l’on ne peut que considérer l’État kantien souhaitable, sauf à être en contradiction avec soi-même.

    6. Conclusion
    A travers l’analyse de la morale de Kant et sa conception de l’État, j’ai essayé de montrer en quoi la fondation de l’État est une nécessitée morale. Néanmoins, dans l’avant dernier chapitre de ce travail, j’ai discuté les limites de la praticabilité de cette théorie sur cette question en prenant en compte la question de l’anthropologie qui nous as amené à voir une certaine nécessité d’une forme de rationalité chez les êtres humains pour que l’État puise se mettre en place. J’ai aussi interrogé la question si l’État était souhaitable en réfléchissant plutôt à son absence et répondant que l’absence d’état n’est pas souhaitable sauf en cas d’une anthropologie optimiste et une vie avec peu ou pas de division du travail et, surtout, si l’on refuse la définition de l’État chez Kant.