Revue de presse philosophique semaine du 03/07/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 3 au 9 juillet 2023

    Après les émeutes, comment reconstruire ?

    Comment se relever de ces dernières semaines, révélatrices de maux que la France connaît si bien sans pour autant les soigner. Les émeutes qui ont fait suite au décès de Nahel Mezrouk, adolescent tué par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre, ne naissent pas d’une colère vide de sens. L’origine de cette colère est plus ancienne et traverse les esprits de plusieurs générations qui vivent dans des banlieues où la situation est plus que critique. Emmanuel Macron va devoir faire face à plusieurs crises qu’il ne pourra pas ignorer plus longtemps, sous peine d’en subir à nouveau les conséquences.

    Tout d'abord une crise sociale qui ne fait que s'amplifier de par les inégalités croissantes. L’accumulation des personnes les moins aisées dans certaines zones ne fait qu’entraîner un phénomène de ghettoïsation. La construction, à l’extérieur des villes, de dizaines d’immeubles composés d’HLM (habitation à loyer modéré) en est le symbole. Ces logements sont moins chers et attirent forcément les personnes qui ont le moins de ressources.  Au lieu d’aller à contre-courant de ce phénomène de ségrégation spatiale, l’Etat ne fait que l’accentuer en continuant d’investir ou de rénover ces lieux. La ville est un lieu de mixité sociale, de vivre ensemble, une fourmilière où chacun vit sa vie mais côtoie l’autre. Rien ne sert de prôner la mixité sociale si par ailleurs les logements sont attribués en fonction des revenus des personnes candidates. Pour résoudre cette crise sociale, il faut repenser l’espace public, créer plus de logements sociaux au cœur de la ville, mélangés à d’autres logements plus onéreux. Comme le dit Luc Broner dans Le Monde : « Dans les discours du gouvernement, le traitement de la ghettoïsation s’est traduit par la mise en avant de la lutte contre le séparatisme religieux. D’où une forme de double peine : non seulement, cette jeunesse est la première victime de la ghettoïsation ; et c’est ensuite pour être accusée d’en être responsable à travers la religion. » La première tâche sera donc de renouer le lien social. Depuis longtemps existe une fracture territoriale entre les habitants de ces quartiers et une France urbaine jouissant pleinement de l'argent public. La ségrégation spatiale affecte tout le monde. Elle touche en premier lieu les habitants de ces quartiers qui sont laissés à leur sort. Mais elle touche aussi la société entière qui ne parvient pas à vivre ensemble et qui, de ce fait, subit ce ''malaise''. Le malaise de la fracture, de l’incompréhension, des inégalités visibles qui ne laissent pas indifférent. Une société plus mixte permettrait de freiner l’hémorragie en offrant les mêmes chances de réussite à tous.

    Vient ensuite la crise politique. La promesse Républicaine n’est pas tenue. Les jeunes des quartiers populaires ne vivent pas leur éducation scolaire de la même façon, n’entrent pas dans le monde du travail avec les mêmes armes et font face à des discriminations dans la rue et à l’embauche. Ce constat est le même chaque année et pourtant rien ne change. Les problèmes des quartiers populaires sont toujours secondaires pour l’Etat. Pourtant, des associations existent et font des propositions concrètes pour améliorer la vie des habitants de ces quartiers. Médiapart a récemment publié un article avec plusieurs propositions provenant d’anciens conseillers municipaux, d’animateurs sociaux, de personnes syndiquées. Il existe, au niveau local, une réelle volonté politique de faire bouger les choses. Plusieurs collectifs s’emploient à faire entendre la voix de ces habitants. Par exemple, le collectif « Front des Mères » est un syndicat qui lutte contre les discriminations et violences subies par les enfants dans les quartiers populaires. Nous pouvons aussi citer le collectif et syndicat « Pas sans Nous », représentatif des habitants de ces quartiers, qui tente de répondre aux appels à projets, de favoriser l’échange et de soutenir les luttes en cours. Des solutions existent, qu’elles soient temporaires pour éviter que la situation ne se détériore détérioration ou qu’elles soient plus radicales pour transformer la société en profondeur sur ces questions. Mais encore une fois, seul le courage politique peut amener à de réelles transformations. Un petit pansement sur une grosse plaie ne stoppe pas l’hémorragie. Rester sourd à ces revendications, c’est accepter que ces personnes continuent de vivre de façon précaire. La crise est donc politique, pour deux raisons. Parce que la promesse politique n’est pas respectée. Le modèle républicain n’est pas censé tolérer de pareilles inégalités et discriminations. Et parce que la politique politicienne de nos responsables politiques ne fait qu'aggraver cette crise. Les enjeux politiques et carriéristes qui se cachent derrière chaque décision empêchent toute initiative ou décision courageuse d’émerger sur ces questions. Prendre des mesures radicales pour transformer notre société, c’est accepter de se faire des ennemis idéologiques. En aidant les habitants des quartiers populaires après les émeutes, Emmanuel Macron se mettrait à dos le Rassemblement National, Les Républicains et une partie de son gouvernement. Mais ce serait une formidable preuve d’écoute et l’aveu d’un échec politique. Ce serait une prise de risque considérable car personne ne s’est attaqué à un si gros chantier. Il y aurait forcément des moments de doutes, parfois de la maladresse. Les opposants politiques ne se priveraient pas de commenter chaque faux pas pour dénigrer ce projet. Mais cela relèverait d'un véritable courage politique, rare, qui ne pourrait qu'être applaudi car traduisant un réel engagement envers les populations jusque-là délaissées.
    Cependant, pour faire preuve d’un tel courage, il faut être animé d’une conviction personnelle quant à ces combats. Ce n’est pas le cas de notre chef d’Etat actuel. Demander à Emmanuel Macron de s’attaquer à la crise sociale dans les banlieues semble aussi vain que de lui demander de s’attaquer à la crise climatique. Pour s'engager sur ces questions, il faut être convaincu que notre système met en danger le climat, il faut être persuadé que les crises dans les banlieues sont le résultat d'un échec politique. Nous sommes loin de constater une telle prise de conscience parmi les membres du gouvernement. Depuis le début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron n’a cessé d’aider ceux qui sont responsables de la crise climatique et sociale. Pour que la reconstruction puisse démarrer, il faut d’abord accepter le diagnostic et les erreurs politiques qui vont avec. Pour le moment, la faute est rejetée sur les familles de ces quartiers. Le chantier est donc loin de commencer.

    Enfin, il existe une crise sécuritaire qui elle aussi n’est pas nouvelle. Reconstruire après les émeutes, c’est faire face à un dysfonctionnement de l’appareil policier systémiquement violent et raciste. Les faits sont là, que nous faut-il de plus ? Deux tiers des policiers ont voté Marine Le Pen au premier tour en 2017. Les principaux syndicats Alliance et UNSA ont publié un communiqué dans lequel ils veulent imposer le calme aux « nuisibles » et ne pas « capituler » pour ne pas subir la « chienlit ». Le contrôle au faciès est fréquent lors des contrôles d’identité. Déjà en 2009, une étude du CNRS révélait que les contrôles policiers reposaient plus sur la couleur de peau que sur le comportement des interpellés. Les personnes perçues comme « Arabes » étaient contrôlées 7 fois plus que les « Blancs ». Les jeunes sont les plus contrôlés, notamment ceux ayant déjà participé à de précédentes émeutes et identifiés comme tels. Ce sont aussi les jeunes qui figurent le plus souvent parmi les victimes des meurtres policiers. Il y a quelques jours, le frère d’Adama Traoré (abattu par la police en 2016 alors qu’il tentait d'échapper à un contrôle d’identité), Yssoufou Traoré, a été interpellé violemment par la BRAV-M (brigade de répression de l’action violente motorisée). Cette unité a déjà été pointée du doigt pour ses méthodes brutales lors des manifestations contre la réforme des retraites. Dans une vidéo prise le jour de la marche pour Adama ce samedi 8 juillet, nous voyons les brigadiers plaquer violemment Yssoufou Traoré au sol et écarter à coups de matraque les journalistes postés autour de la scène. 

    La police répond à une volonté politique lorsqu'elle protège exclusivement les institutions et non les citoyens. Le dernier rapport de La Ligue des Droits de l’Homme relate la violence subie par les manifestants à Sainte-Soline en mars dernier. Des observateurs sur place ont témoigné de l'usage excessif des grenades lacrymogènes et explosives. L’opération de Saint-Soline a clairement été « d’empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain. » Plus de 5000 grenades ont été utilisées en moins de deux heures. Des gendarmes en quad ont visé des personnes déjà blessées. Les forces de l’ordre ont voulu justifier ces tirs par la légitime défense. Seulement, comme pour le cas de Nahel, des témoignages contredisent cette version. Ces mensonges ne sont jamais réellement condamnés. Il existe toujours deux poids deux mesures. Une fois encore nous faisons le constat d'une justice à deux vitesses. Alors que des activistes du climat et leurs associations sont rapidement interpelés et menacés de dissolution, alors que des jeunes sont jugés en comparution immédiate pour des vols à l'étalage, des policiers qui tuent ou font preuve d'une violence démesurée bénéficient d'une justice au ralenti. Alors que les quatre gendarmes impliqués dans l’affaire Traoré ne sont toujours pas jugés, la justice américaine a quant à elle jugé et emprisonné les deux policiers responsables de la mort de Georges Floyd alors que cette dernière affaire est plus récente. Comme le décrit le sociologue Didier Fassin dans Médiapart, la mentalité de la police est différente en France. « La police aux États-Unis est locale et a une responsabilité à l’égard de sa population, ce qui est le contraire de la France où elle est nationale et rend compte au gouvernement. » Pour reconstruire, il faudra donc s’attaquer à l’entité policière. Mais, une fois encore, cela ne semble pas faire partie des priorités du gouvernement. Le racisme et la violence ne peuvent que se développer lorsque nos institutions alimentent sciemment les peurs de nos concitoyens et n'apportent pour seule réponse qu'un discours et une politique sécuritaires. Aucun membre du gouvernement n’ose s’en prendre à la police. Le courage politique manque à nouveau. En choisissant de ne pas répondre aux violences de la police et en ne prenant que des mesures autoritaires, le gouvernement s'en remet à la volonté policière en matière de sécurité publique. Ce n’est pas pour déplaire à certains membres du gouvernement, comme Gérald Darmanin, qui soutiennent cette politique sécuritaire qui punit sans volonté de comprendre tout en pointant du doigt ceux qui subissent les violences en les accusant d’être l’origine des maux de la société.

    Comment reconstruire après les émeutes ? Comment faire face à ces différentes crises ? Il faudrait pour cela fournir des efforts dantesques et y consacrer beaucoup d'argent, mais les politiques d'austérité ont bien souvent raison de telles volontés. Il nous faudra nous rapprocher, nous écouter, continuer à soutenir les associations locales, multiplier les efforts à tous les niveaux, sur tous les fronts. L’aide ne viendra pas d’en haut. Elle ne pourra se faire que collectivement, à de plus petites échelles, avec peu de moyens. Le changement passera par la colère mais aussi par la volonté de débattre, de manifester et de s’entraider. Tous les moyens devront être mis en oeuvre pour pallier aux carences du gouvernement qui ne souhaite aucunement se remettre en question et qui ne fait preuve d'aucun courage lorsqu'il s'agit de passer de la parole aux actes.

     

     

    Références